Après le coup de tonnerre mondial provoqué par la décision de la Cour suprême de révoquer le droit à l’avortement aux États-Unis, une vague considérable de solidarité s’est répandue sur les réseaux sociaux, où des femmes d’États progressistes et du monde entier proposent leur aide aux femmes empêchées d'avorter.
« If we go down, we go down together [Si nous tombons, nous tombons ensemble] », chante le groupe Chainsmokers dans leur tube Paris. Une expression rapidement devenue le cri de ralliement de nombreuses Américaines, et du monde entier, pour venir en aide à leurs concitoyennes ayant besoin d'une IVG, depuis la décision de la Cour suprême américaine de révoquer ce droit vendredi 24 juin. L’élan de sororité mondiale a eu lieu sur les réseaux sociaux, notamment Tik Tok où une marée de vidéos virales circule sur la plateforme depuis vendredi.
Sous le hashtag #wegodowntogether, des centaines de femmes provenant d’États où l’avortement est toujours légal, comme le Colorado, l’Illinois ou la Californie, se mettent en scène pour proposer de loger, de nourrir, d’organiser le voyage et plus largement d’aider d’autres femmes désirant avorter mais vivant dans des États qui vont désormais l’interdire. Après l’annonce du démantèlement de l’arrêt Roe v. Wade qui garantissait le droit à l’avortement dans tout le pays, treize États américains ont déjà mis en place des procédures pour pénaliser l’accès à l’IVG.
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Des vidéos aux messages codés
Dans ces vidéos un peu particulières, les internautes utilisent des messages codés, une manière pour elles d’éviter d’être traçables et de permettre aux femmes de traverser les frontières entre les États sans dire qu’elles se déplacent pour avorter. On retrouve par exemple l’idée de voyager pour le « tourisme », pour aller faire du « camping », dans les États où l’avortement est encore sanctuarisé.
Une vidéo montre par exemple une mère et sa fille, sur la bande son de la chanson des Chainsmokers. On peut lire les phrases suivantes : « A mes amies américaines, je vis à Philadelphie où les "steaks au fromage" sont toujours légaux. Si vous vous surprenez à avoir besoin d’un steak au fromage, vous pouvez venir le manger ici. » Vidéo accompagnée du hashtag #wegodowntogether et #RoevWade.
Autre exemple. Sur fond de la même musique devenue l’hymne du mouvement, une femme se trouve devant son camping-car : « Je vis dans le Colorado, qui est un État où le camping est protégé. […] Donc si vous avez besoin de venir camper au Colorado, sachant que le Colorado est entouré de quatre autres États où le camping va devenir très compliqué à faire, je peux venir vous chercher à Denver pour aller camper. Et nous prendrons soin l’une de l’autre. »
En plus de ces messages plus ou moins explicites, beaucoup d’utilisatrices du monde entier continuent de partager des vidéos de soutien aux Américaines mais aussi à celles d’autres pays où l'accès à l'avortement est extrêmement restreint, comme la Pologne. Les internautes proposent tout ce qu’elles peuvent pour fournir une aide matérielle et psychologique aux femmes désirant voyager pour avoir accès à une IVG : emmener la personne depuis l’aéroport à une clinique, ou simplement un bout de canapé pour venir dormir, des vêtements, des produits d’hygiène, et même un test de grossesse négatif comme preuve si les femmes en ont besoin pour sortir de leur État.
Les associations appellent à la vigilance
Une vague de soutien tout à fait noble, mais les associations mettent en garde contre cette belle intention. Selon le média phys.org, il serait bien plus efficace si tou·tes ces internautes faisaient des donations aux associations déjà existantes, fiables, et spécialisées dans l’aide à l’IVG. Comme le préconisent les réseaux associatifs, celles et ceux qui souhaitent aider pourraient se renseigner auprès de l’organisation la plus proche de chez elles et eux, et s’engager en tant que bénévole ou apporter des fonds.
« Si vous êtes indigné et si vous souhaitez agir, on ne veut pas freiner cette envie. Mais il y a trop d’enjeux pour que la santé des femmes repose sur des non-professionnels », a rappelé Elicia Gonzales, la directrice exécutive du Fonds pour la libération de l’avortement de Pennsylvanie, qui œuvre depuis 1985 pour aider les patientes les plus précaires à couvrir les coûts d’une IVG. « Les personnes qui avortent doivent être prises en charge avec attention, par des professionnels de santé qui ont de l’expérience sur ces situations. » En effet, la décision de la Cour suprême touche en premier lieu les femmes les plus démunies, socialement et financièrement. Toutes n’ont pas la possibilité de voyager à des milliers de kilomètres pour obtenir une IVG.
En l’état actuel, le mouvement sur Tik Tok pourrait concurrencer les services adaptés et aliéner les populations vulnérables dont un·e non-professionnel·le n’appréhende pas suffisamment les besoins spécifiques. « L’hypothèse qu’il y aurait un manque du système d’aide professionnelle discrédite la prévoyance, l’intelligence, le travail acharné et la collaboration des spécialistes », surtout celles des femmes noires, a alerté Beulah Osueke, la directrice des Nouvelles voix pour la justice reproductive, qui se focalise sur les besoins des femmes afro-américaines et de la communauté LGBT+ en Pennsylvanie et dans l’Ohio. « Les femmes noires et les personnes pauvres en particulier font face à de nombreux obstacles dont les personnes blanches, les personnes avec plus de moyens financiers, n’ont pas conscience. »
Le planning familial de Toronto a partagé sur son compte Instagram un post intitulé « Ce qu'il ne faut pas faire face au démantèlement de Roe v. Wade ». Parmi la liste des recommandations figurent des conseils comme : « Ne créez pas de nouveaux réseaux informels » ; « Ne supposez pas que vous comprenez la complexité du problème », ou encore « ne jouez pas les héros ». L'organisation préconise plutôt de soutenir les ONG avec de l'expérience, et d'écouter plus attentivement les pistes d'action proposées par les associations.
Pour venir en aide aux femmes qui désirent avorter, Lizbeth Rodriguez, la coordinatrice du Women’s Center de Pennsylvanie – un réseau national de professionnel·les de santé sur l’avortement – recommande de s’engager en tant que volontaire dans leurs centres. Par exemple, « nous avons besoin de personnes pour escorter les patientes vers les cliniques » face à la violence des rassemblements des groupes anti-IVG devant ces édifices. Selon les associations, malgré les bonnes intentions de ces vidéos de soutien, l’impact des internautes pourrait être encore plus significatif s’il était adapté aux personnes à qui iels s’adressent, et passait par des canaux spécialisés.