Mise à jour le 12 juillet 2021 : Pierre Ménès a annoncé à l'AFP qu'il ne reviendrait sur Canal + en septembre. Suspendu par la chaîne cryptée après la diffusion du documentaire Je ne suis pas une salope, je suis journaliste de Marie Portolano, le chroniqueur sportif a indiqué le 12 juillet avoir trouvé un « arrangement financier » avec Canal.
Dans la foulée, il donnait une interview filmée au Figaro, dans laquelle il persistait à se poser en victime et à récuser l'accusation d'agression sexuelle dont il a été l'objet, estimant que « dix ans pour chialer sur un baiser, c'est long quand même, non ? »
Alors voilà, on voulait interviewer Pierre Ménès à la suite de la censure de son passage dans le documentaire Je ne suis pas une salope, je suis journaliste, de Marie Portolano et Guillaume Priou. Sauf qu’avant même qu’on puisse lui demander un petit entretien, le gonze nous a bloquées sur Twitter. Tristesse ! Du coup, rien que pour vous, on vous résume sa ligne de défense donnée hier à l’antenne de C8, dans Touche pas à mon poste, afin que vous n'ayez pas à vous imposer ce naufrage. Mais de rien, vraiment.
19h45, on attend qu’Hanouna lance le sujet Menès mais dieu que c’est long. Après le passage de Fabrice di Vizio, un avocat nous expliquant que la saturation des unités de réanimation des hôpitaux d'Île-de-France était pure fake news parce que dans les Yvelines, un médecin de sa connaissance lui a dit que moult lits étaient encore vacants, il a fallu se coltiner Richard, un type monté expressément de Marseille pour dire sa fierté d'avoir participé au carnaval démasqué de La Plaine dimanche dernier. « Qu'on ne vienne pas me dire qu'on a été égoïstes face aux soignants [qui triment dans des hostos saturés depuis plus d'un an, donc], de toute façon, ils allaient mal avant le covid et tout le monde s'en fichait », pérore le soixantenaire échevelé à qui Hanouna offre un quart d'heure de gloire 100% YOLO. Notez que notre avocat des Yvelines et le Che Gevariant de la Canebière se retrouvent sur une convergence des luttes très 2021 : les masques en extérieur, c'est la règle qu'ils vomissent et les feront de concert, nous n'en doutons pas, voter contre Emmanuel Macron en 2022. « Envoyez la pub », comme il se disait sur le canal cathodique la dernière fois qu’on a regardé la télé, en 1920.
20h, le cas Ménès est le "gros doss" du jour chez Hanouna. Dans Touche pas à mon poste, tous les jours, il y a les doss puis les gros doss, une hiérarchie de l’infotainment un peu comme à la récré quand on décrétait ce qui relevait du « guedin » et du « guedin de ouf ». Et franchement, on est d’accord : les agressions sexuelles à coups d’embrassades forcées et autres mains aux fesses après soulevage de jupe de Ménès, c’est un gros doss. Même si Cyril Hanouna s’astreint à introduire le coup de la jupe comme « un comportement limite avec Marie Portolano ». Dans la même veine, on se régale des précautions prises par l’animateur, qui indique que Ménès « aurait porté atteinte à la journaliste », conditionnel vaporeux quand aucun des protagonistes ne nie l'existence de ce moment de 2016 où Ménès, sur un plateau télé (hors antenne), a soulevé la jupe de Marie Portolano pour lui saisir les fesses.
Une amie humiliée
Entrons donc dans le vif du sujet, avec, avant d’accueillir Pierre Ménès, l’intervention d’une autre femme agressée par lui il y a quelques années. Il s’agit de Francesca Antoniotti, embrassée contre son gré par Ménès lors d’un Touche pas à mon sport de 2016. Ce moment est rediffusé en direct. Dans les yeux de la journaliste sportive, la stupeur et la honte, tandis que tout le monde, public compris, se gondole de la “bonne farce” de Ménès de l’époque. Ce lundi soir sur C8, la présentatrice télé « embrassée de force par Pierre Ménès s’explique dans TPMP », comme le dit le carton. Si on peut se permettre, elle n’a pas à s’expliquer, mais passons. Francesca Antoniotti explique donc qu’elle aurait « préféré revenir ici dans d’autres circonstances » mais ne pas avoir le choix face à l’ampleur de « la polémique ». « Je vais vraiment être transparente, poursuit-elle, sur le moment, je ne l’ai pas du tout vécu comme une agression sexuelle – c’est le terme que j’entends et qui est employé sur les réseaux sociaux. C’est la définition d’une agression sexuelle, moi je ne l’ai pas du tout vécu comme ça. » On se dit que sa parole doit faire du bien au petit cœur de Pierre Ménès qui patiente dans les loges (si si, il en a forcément un), mais, hélas, pas pour longtemps. « Mais il faut aussi se dire les choses, reprend Antoniotti. Je l’ai vécu comme une humiliation. » Aïe. ça doit râler en coulisses. « Parfois, en tant que journaliste sportive, on se sent humiliées, insiste-t-elle. Parce qu’il y a des mots qui sont blessants, des comportements, et le fait qu’on soit une femme autorise certains à nous manquer de respect. Et ce geste là, quand je le revois, c’est pas agréable. » Courageux et malin. Francesca Antoniotti a beau maintenir des liens amicaux avec Pierre Ménès et l’admirer professionnellement comme nous l’apprendrons juste après, elle ose valider l’avis de celles et ceux qui l’abhorrent : c’est marrant, le comportement de Ménès a tout de celui d’un porc. Car la dernière partie du témoignage d’Antoniotti ressemble à un – amical – détricotage du nœud de l’affaire. « C’est un journaliste que j’admire… c’est vrai que dans ce milieu, il y a des gens qui sont des décideurs, y a des gens qui comptent et y a des gens, on n’ose pas leur dire… Sur le moment, j’aurais dû lui dire “mais qu’est-ce que tu fais, t’es fou” ». A ce train-là, il ne va même pas être besoin d’inviter les ennemis de Ménès pour se faire une idée du problème de sa toute-puissance dans le milieu du journalisme footballistique à la télé. « Mine de rien, quand on est dans le journalisme sportif, on n’a pas trop la possibilité de dire ce qu’on pense, ce qu’on ressent quand on est gênée par un comportement », achève-t-elle de dézinguer non plus seulement Ménès, mais le système qui fait son pouvoir. Francesca Antoniotti, précise-t-elle, n’a « jamais » trouvé bon de reparler de cette scène avec l’agresseur, mais il faut dire qu’elle n’a pas pu longtemps s’appesantir sur le sujet : dans sa carrière, elle a eu quelques autres occasions de « [s’en] prendre plein la tronche », et pas qu’avec Menès, jusqu’à finir par « s’éloigner du journalisme sportif ». Francesca Antoniotti garde néanmoins espoir. Elle sait « que Pierre est intelligent, va s’excuser et ne va plus recommencer ce genre de choses ». C’est peut-être ce qui fait d’elle une véritable amie, croire en cette rédemption. Hold on, Francesca.
Pierre, Cyril et Vincent
Cyril, lui, enchaîne sur la fameuse séquence censurée par Canal + lors de la diffusion du docu dimanche soir. Bim, la prestation de Ménès va être diffusée en direct, parce que Cyril a soufflé à l’oreille de la direction du groupe Canal (dont C8, sur laquelle règne en maître Cyril, fait partie) que « c’était la meilleure chose à faire » et c’est comme pour Pierre, pas grand monde ne s’oppose à Cyril, pas même Vincent (Bolloré). Oui, ça fait une demi heure qu’on regarde Touche pas à mon poste, et on n'y peut rien, on se prend facilement au jeu d’appeler tout le monde par son prénom, c'est plus convivial. Pardon, on s’égare, silence, ça diffuse, et voilà qu’on frissonne de pénétrer le secret des dieux hertziens en ayant accès à ce moment qu’on a d’abord voulu nous cacher.
Après un dernier petit ajustement teint pour Pierre, on le voit donc prendre place face à son intervieweuse, Marie Portolano. Laquelle est là pour lui demander des comptes sur l’agression publique qu’il lui a fait subir en 2016 lors d’un plateau Canal – encore eux. Portolano attaque dans le lard : « T’as une image de journaliste misogyne, comment tu l’expliques ? » Pierre est décontenancé, d’ailleurs, sa main tape sur la table et ses épaules se plient sous le désarroi. « Je ne l’explique pas. » On peut attribuer plusieurs dizaines de petites phrases sexistes à ce mec, mais il ne se l’explique pas. « Je suis peut-être sexiste mais je suis aussi le seul mec qui a essayé de faire une émission foot avec que des filles, donc elle est où la vérité ? » « Essayer » n’est pas réussir, et l’émission en question, 19h30 PM, a tenu un an en 2018, mais c’est quand même pas la faute de Pierre si les téléspectateur·trices ne sont pas emballé·es par une bande de meufs qui « essaient » de parler foot en tenant le crachoir à Pierre, dont l’aura ferait de l’ombre à quiconque. S’ensuivent de très banals propos tels que « on ne peut plus rien dire », mais comme il se trouve que c’est ce que Ménès redira par la suite en long en large et en travers sur le plateau d’Hanouna, on aura tout le loisir de vous en reparler. Avançons.
A l'aise comme un mec qui fait peur aux femmes
« Je veux dire, dire à une fille qu’elle a un beau décolleté, c’est plutôt gentil ? » sonde-t-il auprès de Portolano. « Oui, se crispe-t-elle. Pour toi, c’est un compliment. » « Bah oui. D’ailleurs, toi aujourd’hui, niveau décolleté, tu m’as pas gâté », observe-t-il en lorgnant sur le sweat de la journaliste. Laquelle essaie de remettre l’église au milieu du village et le décolleté au fin fond du cerveau de Ménès : « C’est parce que je ne suis pas là pour ça. » « Oui, c’est parce que tu savais que c’était moi que tu interviewais aujourd’hui. » Moment clef. Le mec avoue tranquillement qu’il sait que les femmes adaptent leurs tenues le matin en fonction de si elles vont devoir lui adresser la parole au cours de la journée, et lui est complètement à l’aise avec cette crainte qu’il leur inspire.
Passons les justifications suivantes sur « c’est ma manière à moi d’intégrer les gens et de mettre l’ambiance sur le plateau » pour en venir au cœur du sujet. Marie Portolano lui demande s’il se souvient du « moment où [ils se sont] embrouillés parce [qu’il] avait soulevé [sa] jupe sur le plateau. » « Pas du tout », répond-il du tac au tac. Simple, basique : le coup de l’amnésie, ça vous sauve des situations les plus pénibles, on s’en rappellera la prochaine fois que la maréchaussée souhaite nous verbaliser parce qu’on porte notre masque en dessous du nez. Après, pas sûr qu’on ait le cran de Ménès. A la question a priori rhétorique de « est-ce que tu le referais aujourd’hui ? », Ménès répond sans cligner : « Oh oui. » Portolano insiste : « Même si tu sais que ça peut humilier ? » « ça t’a humiliée ? », s’étonne le journaliste-qui-était-pourtant-censé-être-intelligent-nous-avait-promis-Francesca-Antoniotti. « Oui », rétorque Portolano. « Ah bon, hausse-t-il les épaules. Bah j’en suis désolé. Mais faut aussi prendre les gens comme ils sont. J’ai été embauché parce que j’étais un personnage. Je ne joue pas un personnage, j’ai été embauché parce que je suis comme ça. » Moment révélation. Pour être embauché chez Canal, vos qualités d’agresseur sexuel pourraient être un petit plus qui fait la différence sur le CV. « Ah bah c’est sûr que si t’avais été un mec, j’aurais pas soulevé ta jupe », insiste-t-il, car il manquerait plus qu’on s’imagine qu’il n’est pas qu’un danger public hétéro-beauf et qu'il bouffe à tous les râteliers.
Ce moment où Pierre a failli nous mind-fucker
Et puis là, soudain, advient le moment où Ménès va tenter de nous retourner le cerveau dans un exercice de manipulation de haute volée (rappelez-vous, il est particulièrement intelligent). « Si on peut plus chambrer une meuf parce qu’elle est une meuf, c’est insupportable. “Ah non, je te chambre pas, parce que t’es une fille.” C’est pas choquant, ça ? ça, c’est super choquant ! » Oh waw, on vient de se faire mind-fucker le cerveau par Pierre, qui étale devant nous un syllogisme a priori redoutable. Si on veut l’égalité qu’on réclame à grands cris bande de féministes reloues que nous sommes, si donc meuf = mec et que mec = se faire bizuter à grand renfort de blagues potaches, alors meuf = se faire bizuter elles aussi, comme des mecs, des vrais. Enfin presque. Le truc qui ne tient pas dans cette superbe démonstration machiste, c’est précisément que les hommes, comme l’a pointé Ménès, ne se font pas soulever les jupes. Ni baisser les pantalons, au demeurant.
Retour au plateau d’Hanouna pour le (douloureux) SAV de cette défense, assuré donc par Pierre lui-même en direct. « Déjà, Pierre, comment tu te sens ? », amorce, prévenant au possible, Cyril. « C’est horrible. Horrible déjà pour moi, ensuite pour ma femme, qui se fait insulter dans des proportions qui dépassent tout ce qu’on peut me reprocher probablement à juste titre. » Ah, ça attaque fort. Tirer de son chapeau “Madame Ménès” qui n’en demandait certainement pas tant et en faire un bouclier humain contre l’adversité d’une horde de Twittos rassemblé·es sous le mot d’ordre en top tendance #PierreMenesOut tout au long de la journée de lundi, fallait y penser. Malin, on vous dit.
Qui fait un bingo avec nous ?
Il reste encore vingt minutes avant la fin de l’émission, on n’en peut plus et vous non plus : il est temps de rythmer un peu ce papier. Voici un bingo de défense à l’usage du petit harceleur sexuel, tel que proposé par Pierre en ce funeste lundi soir de troisième vague. « Déferlement de haine » (Cyberharceler c’est mal, n’essayez pas de reproduire cela à la maison). « Dans cette séquence [du documentaire], je dis une seule connerie : que je le referai » (Mais sinon, tout le reste est nickel, « on ne peut plus rien dire », et agresser est un droit constitutionnel). « Lorsque Marie m’assène cette histoire de jupe, je suis estomaqué. Maintenant, je sais pourquoi je ne m’en rappelle plus : parce que les faits remontent au 28 août 2016, dernière émission avant que je tombe malade et que je disparaisse des écrans pendant sept mois » (Totem d’immunité absolu : subir une maladie grave me donne le droit d’être lubrique et déplacé, c’est mon médecin qui l'a dit). « Ce soir là, je n’étais pas dans mon état normal […], j’avais le masque de la mort sur moi » (Risqué niveau décence mais je la tente avec panache). « Le baiser à Isabelle Moreau pour la centième du CFC, ça date, ça a dix ans » (Je suis un homme qui vit avec son temps, mon respect des femmes fluctue au gré des avancées de l’époque). « Je ferais plus ça aujourd’hui parce que le monde a changé » (Exactement ce que je disais tout à l’heure, moi je m’adapte, à regrets, mais je m’adapte). « C’est #MeToo, on peut plus rien faire, on peut plus rien dire » (Voilà, si vous voulez mon avis, l’époque est sinistre). « J’ai accepté de faire son truc [sic], à Marie, si ça pas été diffusé, ce n’est pas de mon ressort, c’est un choix éditorial » (Voyez avec mes patrons, je ne suis qu’un pauvre petit salarié sans influence). « Ma vie professionnelle a été jalonnée de filles […] et j’ai jamais eu de problèmes avec personne » (Enfin bon, hormis les trois recensées pour l’heure). « Je le vis mal parce que c’est pas moi, je ne suis pas comme ça » (Vous n’êtes rien que des méchants). « Je le regrette de ne pas pouvoir me comporter comme il y a cinq ans, je me freine » (Avec toutes vos conneries #MeToo, vous brimez la créativité des artistes). « Ce qu’on me reproche est intolérable dans le logiciel de 2021 » (Rendez-moi les années Sardou). « Je trouve que placé dans ce qui se passe au niveau national, ça me paraît malgré tout une forme de détail » (Pendant que vous m’incriminez, le virus circule, vous feriez mieux de respecter les gestes barrières en me laissant me comporter avec les femmes comme je l’entends). « Mais voilà, je suis connu, je suis clivant, je suis le chroniqueur numéro un de l’émission de foot la plus importante donc quelque part je suis l’homme à abattre, il faut juste que je fasse attention à ne pas prêter le flan à ça, quoi » (Alors, contrairement à ce que je vous disais plus haut, c’est vrai que je suis quelqu’un d’important, on veut ma mort sociale) « Entre Canal et moi, c’est une histoire d’amour » (Donc si vous pensiez que ces deux-trois affaires d’agressions vont me déboulonner de mon poste, reprenez un verre d’eau). « Vu ce que je vis aujourd’hui, j’aurais préféré que la séquence reste dans le docu » (Je découvre et déteste l’effet Streisand).
Fort heureusement, les chroniqueurs masculins de TPMP étaient là pour apporter un soutien des plus couillus. Gilles Verdez parle de l’ami Pierrot, « toujours là pour les mauvais moments », avant de se reprendre car, c’est vrai, « là n’est pas le débat ». « Il est sans limite, il n’a aucun filtre, parfois ça dérape, dans les mots ou dans les gestes mais fondamentalement, c’est la même personne que là. » On ne comprend pas trop où il veut en venir mais c’est vrai que c’est gentil, Gilles. Un certain Guillaume Genton enfonce le clou de la bienveillance entre keums, parce que, hein, il faut le souligner, « Pierre Ménès a beaucoup de courage d’être sur le plateau ce soir, parce que c’est pas facile ». Il n’y a finalement qu’une seule personne – et surprise, c’est une femme – pour mettre un peu le holà face à la larmoyante victimisation de Ménès. « Vous n’êtes pas une victime, rappelle Géraldine Maillet. C’est quand même plus difficile pour les femmes que vous avez embrassées de force. » Merci à elle.
On sait pas vous, mais il est temps de conclure. « Merci Pierre, merci Francesca, lance Cyril. Ma mère me dit que vous êtes magnifique. » « Moi je peux pas le dire », glisse Ménès. Oui, il est vraiment temps de conclure.