Rencontre avec Luce Lebart et Marie Robert les deux cher­cheuses à l’origine d’« Une Histoire mon­diale des femmes photographes »

Entretien avec Luce Lebart et Marie Robert, à l’origine d’Une his­toire mon­diale des femmes pho­to­graphes, somme magis­trale qui visi­bi­lise le tra­vail de trois cents femmes pho­to­graphes à tra­vers le monde.

couverture femmes photographes
Couverture pho­to­gra­phie de Pushpamala N. © Pushpamala N.

C’est d’une voix una­nime et com­plice que Luce Lebart et Marie Robert parlent avec enthou­siasme de l’ouvrage réfé­rence dont elles sont les heu­reuses autrices, Une his­toire mon­diale des femmes pho­to­graphes, édi­té chez Textuel. Les deux his­to­riennes ont effec­tué un fabu­leux et monu­men­tal tra­vail pré­sen­tant le par­cours par­fois com­plè­te­ment invi­si­bi­li­sé de trois cents femmes pho­to­graphes à tra­vers le monde. Pour en par­ler, elles ont convo­qué cent soixante écri­vaines. Ce pro­jet de recherche a été mené pen­dant un an et réa­li­sé dans le cadre des Rencontres pho­to­gra­phiques d’Arles et de Women in Motion, un pro­gramme créé par le groupe Kering, visant à mettre en lumière les femmes dans les arts et la culture. L’ouvrage a été réa­li­sé avec le sou­tien des minis­tères de la Culture et de l’Égalité entre les femmes et les hommes. Nous avons sou­hai­té ren­con­trer Luce Lebart, his­to­rienne de la pho­to­gra­phie et com­mis­saire d’exposition, et Marie Robert, conser­va­trice en chef au musée d’Orsay et char­gée des col­lec­tions de pho­to­gra­phie, pour en savoir plus sur ce livre qui fera date.

Causette : C’est la pre­mière fois que vous tra­vaillez ensemble et votre pro­jet a été un véri­table suc­cès. Comment vous êtes-​vous ren­con­trées ? 
Luce Lebart : J’ai ado­ré l’exposition Qui a peur des femmes pho­to­graphes, au Musée d’Orsay en 2015, dont Marie était com­mis­saire. Ce fut une révé­la­tion pour moi, alors que je tra­vaillais sur des fonds du XIXsiècle. J’ai été agréa­ble­ment sur­prise de décou­vrir qu’il y avait pas mal de femmes pho­to­graphes à cette époque.
Marie Robert : Oui, tout comme dans la pre­mière par­tie du XXe et jusqu'à nos jours, Luce ! En Europe et en Amérique du Nord, prin­ci­pa­le­ment. Nous nous sommes très vite enten­dues et nous sou­hai­tions vrai­ment faire les choses ensemble, à l’image de notre pro­jet, qui est venu natu­rel­le­ment au vu de nos domaines d’expertise respectifs.

L’idée d’un ouvrage met­tant en valeur des par­cours fémi­nins est donc née…
L.L. et M.R. : Oui ! Il est né aus­si de la ren­contre par­faite de nos deux envies : celles d’initier une his­toire de la pho­to­gra­phie par le prisme du genre et de ren­trer plus pré­ci­sé­ment dans des ques­tion­ne­ments que nous avions déjà explo­rés cha­cune de notre côté. Nous sommes très heu­reuses d’avoir mutua­li­sé nos tra­vaux et notre vision sur des femmes dont on ne parle pas assez.

Pensez-​vous qu’il y ait une inci­dence à être une femme dans la pra­tique pho­to­gra­phique ?
L.L. et M.R.  : Oui, clai­re­ment. Déjà dans l’approche de l’appareil pho­to lui-​même, qui est un véri­table outil d’émancipation. Mais aus­si dans le regard por­té sur l’image et les dis­cours qui y sont asso­ciés. C’est la rai­son pour laquelle nous avons éga­le­ment sol­li­ci­té uni­que­ment des autrices, par­fois de natio­na­li­té dif­fé­rente, pour par­ler des trois cents femmes pho­to­graphes et avoir ain­si une vision 100 % fémi­nine. Il était très impor­tant de don­ner la parole à des femmes par­fai­te­ment qua­li­fiées pour le faire, qui doivent être recon­nues dans l’ensemble de leur talent.

Comment avez-​vous fait ce tra­vail de sélec­tion ?
L.L. et M.R.  : Il y avait énor­mé­ment de matière ! On ne soup­çonne pas à quel point le tra­vail pho­to­gra­phique fémi­nin est riche, et ce, à tra­vers le monde entier. Nous avons dû faire des choix, cir­cons­tan­ciés et très dif­fi­ciles ! Nous avons tra­vaillé sur la consti­tu­tion d’un réseau d’expertes, en créant ain­si un pro­jet col­la­bo­ra­tif, col­lec­tif et orga­nique, de Cuba au Groenland en pas­sant par l’Inde.

selfie luce et marie
Luce Lebart et Marie Robert aux Rencontres d'Arles 2020 © Marie Robert

Donc vous sou­hai­tiez à la fois réta­blir la pari­té dans un pan­théon de pho­to­graphes presque entiè­re­ment mas­cu­lin, mais éga­le­ment sor­tir d’une approche occidentalo-​centrée, n’est-ce pas ?
L.L. et M.R.  : Tout à fait. Cela était même essen­tiel dans notre démarche. Un décen­trage cultu­rel, intel­lec­tuel et géo­gra­phique qui encou­rage la recherche pour les femmes pho­to­graphes, car il y en a par­tout. Au Panama, nous avons trou­vé une femme qui avait déjà écrit un livre sur les femmes artistes de son pays, ce qui a été une res­source très pré­cieuse pour nous. Dans cer­tains pays, cela s’est révé­lé par­fois plus dif­fi­cile de ren­trer en contact, mais nous avons pu consti­tuer une car­to­gra­phie large grâce à des experts locaux.

Après avoir trou­vé ces femmes pho­to­graphes, com­ment avez-​vous choi­si les femmes autrices qui par­le­raient d’elles ?
L.L. et M.R.  : Concrètement, les autrices ont été choi­sies selon plu­sieurs cri­tères : pas­sion­nées par leurs sujets, sou­vent spé­cia­li­sées dans le domaine de la pho­to­gra­phie et, bien sûr, avec une belle plume. L’idée étant aus­si de créer des ponts entre des femmes artistes de natio­na­li­té dif­fé­rente. Il nous parais­sait impor­tant que le regard ne soit pas sys­té­ma­ti­que­ment occi­den­tal dans un sou­ci d’authenticité. Certaines écri­vaines nous ont ren­voyées vers d’autres et le réseau s’est consti­tué de fil en aiguille.

Vous avez accom­pli ce tra­vail en une année, c’est impres­sion­nant ! 
L.L. et M.R.  :
Un véri­table mara­thon en effet. À par­tir des finan­ce­ments de notre édi­teur, Textuel, qui y a cru dur comme fer, et la sor­tie de l’ouvrage, il y a eu treize mois. Il y a eu un moment culmi­nant, en octobre 2019, où nous avions lan­cé beau­coup de demandes qui se sont répan­dues très vite, nous étions boos­tées à bloc, c’était trop chouette ! C’était un défi pour tout le monde, y com­pris notre édi­trice, pour qui c’était un pro­jet des plus ambitieux.

Votre ouvrage est volu­mi­neux, à l’image du tra­vail effec­tué mais aus­si de la pro­fu­sion d’archives pho­to­gra­phiques. Y a‑t-​il une volon­té sym­bo­lique der­rière ?
L.L. et M.R.  : Oui, très cer­tai­ne­ment. Pour deve­nir un ouvrage de réfé­rence, il faut sym­bo­li­que­ment que le livre pèse son poids et trouve sa belle place dans les biblio­thèques, mais aus­si dans le monde de la recherche his­to­rienne. Le papier a un très bon grain aus­si, ce qui est très impor­tant pour la pho­to­gra­phie évidemment.

En par­lant du livre en lui-​même, com­ment avez-​vous choi­si la pho­to de la pre­mière de cou­ver­ture, qui est très forte ?
L.L. et M.R.  : L’image a été choi­sie par consen­sus et elle est poly­sé­mique. Il s’agit d’une artiste indienne qui, à la fois, porte une robe de prin­cesse dorée et tient en joue celui qui la regarde. Cette pho­to s’inscrit dans une tra­di­tion d’images mas­cu­lines avec l’idée du pré­da­teur, à tra­vers une arme ou un objec­tif d’appareil pho­to. La force revient ici à une femme et donne le ton pour le conte­nu de l’ouvrage, que l’on assume comme féministe.

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