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Des femmes brandissant des banderoles du MLF participent à une manifestation durant la journée internationale de la femme, le 8 mars 1982, place de la République, à Paris. Photo JOEL ROBINE / AFP

Mais au fait, pour­quoi le 8 mars est-​il le 8 mars ?

Véritable date char­nière du calen­drier fémi­niste, chaque année depuis 1977, on célèbre la Journée inter­na­tio­nale des droits des femmes le 8 mars. En réa­li­té, l’histoire de cette date remonte à plus d’un siècle et a même fait l’objet de débats his­to­riques. Causette remonte le temps avec l’historienne spé­cia­liste de l’histoire des femmes, Françoise Thébaud, coau­trice du livre, Les Féminismes, une his­toire mon­diale, publié le 6 mars chez Textuel. 

28 février 1909. Sous l’impulsion de l’ouvrière socia­liste juive amé­ri­caine Theresa Serber Malkiel, le Parti socia­liste des États-​Unis fait le choix d’organiser chaque année, le der­nier dimanche de février, une “Journée natio­nale des femmes” (National Woman’s Day). Cette déci­sion s’inscrit dans un mou­ve­ment de reven­di­ca­tions pour les droits et l’amélioration des condi­tions de tra­vail des ouvrier·ères dans les usines. 

27 août 1910. C’est dans l’esprit d’une fémi­niste socia­liste alle­mande, Clara Zetkin, que naît l’idée d’une jour­née inter­na­tio­nale célé­brée en même temps dans plu­sieurs pays. Idée qui se concré­tise lors de la deuxième édi­tion du Congrès inter­na­tio­nal des femmes socia­listes à Copenhague, au Danemark. Le 27 août 1910, Clara Zetkin, la cin­quan­taine, pro­nonce un dis­cours puis­sant dans lequel elle pro­pose de créer une “Journée inter­na­tio­nale des femmes” qui serait orga­ni­sée chaque année par les socia­listes de tous les pays du monde afin de reven­di­quer les droits civiques des femmes. Au sein du Congrès, la pro­po­si­tion pro­voque bien des dis­cus­sions hou­leuses, Clara Zetkin ne sou­hai­tant pas lut­ter main dans la main avec les fémi­nistes bour­geoises. Sa pro­po­si­tion est votée et fina­le­ment adop­tée. Aucune date n’est pour autant fixée, rap­pelle l’historienne Françoise Thébaud à Causette. “L’idée, c’est de se mettre d’accord sur une jour­née annuelle pour encou­ra­ger la pro­pa­gande en faveur du droit qui est le plus deman­dé dans les années 1910, à savoir le droit de vote”, explique-t-elle.

19 mars 1911. Un mil­lion de femmes et d’hommes par­ti­cipent à la pre­mière jour­née inter­na­tio­nale des femmes, célé­brée à la fois en Allemagne, en Autriche, au Danemark et en Suisse. “À l’époque, les mou­ve­ments mili­tants fémi­nistes sont mino­ri­taires dans les socié­tés occi­den­tales, donc on ne peut pas dire que cette jour­née est très sui­vie en France, pointe Françoise Thébaud. Mais il y a tout de même plu­sieurs jour­nées qui sont orga­ni­sées avant la Première Guerre mon­diale, tou­jours à des dates dif­fé­rentes, à la fin du mois de février ou au début du mois de mars.” 

23 février 1917. Dans les rues de Petrograd, alors capi­tale de l’empire russe (aujourd’hui Saint-​Pétersbourg), les femmes sonnent le pre­mier coup d’une révo­lu­tion de février qui embra­se­ra tout un empire. Les ouvrières se mettent en grève et des­cendent dans les rues. Sur les ban­de­roles, on demande du pain, le droit de vote et la paix, après trois années d’un conflit mon­dial, dont le bilan humain ne cesse de s’alourdir. On choi­sit ensuite cette date du 23 février pour com­mé­mo­rer la par­ti­ci­pa­tion des femmes à la révo­lu­tion russe, mais aus­si plus lar­ge­ment pour reven­di­quer les droits des femmes. Dans le calen­drier julien, en vigueur en Russie jusqu’en 1918, le 23 février cor­res­pond au 8 mars du calen­drier gré­go­rien uti­li­sé dans les pays occi­den­taux, ce qui explique le choix du 8 mars. La Journée inter­na­tio­nale des droits des femmes est fixée au 8 mars à par­tir de 1921. “C’est déjà pen­sé, à l’époque, comme une jour­née de reven­di­ca­tions”, affirme Françoise Thébaud. Pour autant, cette jour­née est sur­tout fêtée dans le monde com­mu­niste avant tout. 

26 février 1955. Dans les années 1950 et 1960, le 8 mars perd peu à peu son attrait révo­lu­tion­naire. En France, il reste confi­né aux milieux mili­tants fémi­nistes. “Le 8 mars, on donne des fleurs aux femmes, mais ce n’est pas for­cé­ment une jour­née de grandes reven­di­ca­tions”, pointe l’historienne. C’est aus­si à cette époque que le choix de la date a fait l’objet de débats his­to­riques et de spé­cu­la­tions. “L’origine de cette jour­née remonte au 8 mars 1857, où à New York, pour la pre­mière fois, des femmes tra­vailleuses, des ouvrières de l’habillement mani­fes­tèrent pour leurs reven­di­ca­tions”, écrit la séna­trice com­mu­niste Yvette Dumont dans le jour­nal France nou­velle. L’information est ensuite reprise dans les colonnes de L’Humanité et dans L’Humanité dimanche la semaine sui­vante. Des his­to­riennes et des fémi­nistes la reprennent aus­si à leur compte. Des recherches his­to­riques effec­tuées à la fin des années 1970 révèlent cepen­dant que cette grève amé­ri­caine du 8 mars 1857 n’a en réa­li­té jamais exis­té. “C’est un mythe”, rap­pelle Françoise Thébaud. Cet évé­ne­ment n’est d’ailleurs men­tion­né dans aucune source his­to­rique avant 1955. 

Comment expli­quer la créa­tion d’une légende amé­ri­caine et la dis­pa­ri­tion de l’ascendance russe ? Et il y a‑t-​il un lien avec la guerre froide, qui oppose depuis 1947 le bloc de l’Ouest, mené par les États-​Unis, au bloc de l’Est, l’URSS ? Pour l’historienne, “l’hypothèse est pos­sible”. “On ne sait pas exac­te­ment, mais on peut effec­ti­ve­ment for­mu­ler l’hypothèse qu’on aurait inven­té cette grève amé­ri­caine pour déta­cher l’image du 8 mars de l’URSS”, ajoute-​t-​elle. Dans un article sur l’origine du 8 mars publié sur le site du CNRS en 2010, l’historienne Françoise Picq for­mule une autre hypo­thèse : “Notre ana­lyse est dif­fé­rente puisque c’est dans la presse du Parti com­mu­niste fran­çais [L’Humanité, ndlr] que nous avons vu appa­raître le mythe des che­mi­sières new-​yorkaises”. Pour elle, cette grève amé­ri­caine fac­tice pour­rait être le résul­tat “d’un conflit interne” à la famille com­mu­niste française. 

8 mars 1975. Les Nations unies décident que l’année 1975 sera celle “de la femme”. En Islande, le mou­ve­ment est sui­vi. Le 8 mars, 90 % des Islandaises cessent toute acti­vi­té pour défendre leurs droits. En France, le pré­sident de la République Valéry Giscard d’Estaing (UMP) charge Françoise Giroud – qu’il vient de nom­mer secré­taire d’État char­gée de la Condition fémi­nine – d’organiser l’événement. Accueil gla­cial des fémi­nistes. Les mili­tantes du Mouvement de libé­ra­tion des femmes (MLF) jugent l’appellation d’une “année de la femme” scan­da­leuse (il n’existe pas une seule femme) et dénoncent une “mas­ca­rade”, une récu­pé­ra­tion poli­tique par un gou­ver­ne­ment de droite. Elles sont alors des mil­liers à des­cendre dans les rues de Paris le 8 mars 1975 et à défi­ler de la place de la Bastille à celle d’Italie. Dans les rangs, on chante : “Les hommes savent plus quoi faire/​Pour nous remettre au pas/​Voilà qu’ils nous libèrent/​Il nous man­quait plus que ça/​Ils causent de nous dans les forums/​Ils nous pré­parent des p’tites réformes…”. Les mili­tantes reven­diquent une jour­née de lutte pour reven­di­quer leurs droits sexuels et repro­duc­tifs : l’accès à la contra­cep­tion et à l’avortement libre et gratuit. 

8 mars 1977. Les Nations Unies offi­cia­lisent la Journée inter­na­tio­nale des droits des femmes le 8 mars. En sacra­li­sant cette jour­née, l’instance invite tous les pays du monde à s’emparer de ces droits. “En France, ce n’est tou­jours pas une jour­née offi­cielle, indique cepen­dant Françoise Thébaud. Elle est tou­jours célé­brée presque uni­que­ment par les mili­tantes du MLF. Les jour­naux n’en parlent pas énormément.” 

8 mars 1982. C’est Yvette Roudy, ministre des Droits des femmes d’un François Mitterrand tout juste élu, qui fait du 8 mars une jour­née offi­cielle. “Le 8 mars 1982 est une jour­née gran­diose, se sou­vient Françoise Thébaud. Il y a eu énor­mé­ment de choses ce jour-​là. Des remises de la Légion d’honneur à des femmes, des expo­si­tions de pho­to­graphes femmes au minis­tère des Droits des femmes et une grande récep­tion à l’Élysée de femmes tra­vailleuses et de membres d’associations fémi­nines.” Dans son dis­cours, Yvette Roudy fait aus­si quelques annonces, comme le lan­ce­ment d’une cam­pagne d’information sur la contra­cep­tion, l’élimination de la dis­cri­mi­na­tion entre les femmes et les hommes dans la Fonction publique, ou encore la lutte contre les vio­lences faites aux femmes. “Depuis le 8 mars 1982, que ce soit la gauche ou la droite au pou­voir, on parle du 8 mars et les poli­tiques font, en géné­ral, quelques annonces, par­fois vite oubliées”, lance Françoise Thébaud. 

Les Féminismes-​Une his­toire mon­diale 19e-​20e siècles, sous la direc­tion de Yannick Ripa et de Françoise Thébaud. Textuel, 320 pages.

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