Le commissariat et le tribunal de Colmar, dans le Haut-Rhin, ont reçu, le 15 juin, l’actrice Sandrine Bonnaire, présidente de l’association La Maison des âmes, qui vient en aide aux victimes de violence. Causette a pu assister à cette rencontre dont l’objectif était de présenter les récents dispositifs mis en place conjointement par les forces de l’ordre et le parquet pour lutter contre les violences conjugales.
Journée particulière pour le commissariat et le parquet de la préfecture du Haut-Rhin qui accueillent, ce 15 juin, l’actrice Sandrine Bonnaire. Celle qui est aussi la présidente de La Maison des âmes, créée il y a un an, est venue avec quatre des cofondatrices de l’association découvrir leurs dispositifs de lutte contre les violences conjugales. Encore sous le choc, quelques jours après qu’un homme a défenestré du 8e étage son ex-compagne dans un quartier de la ville – signant ainsi le 49e féminicide de l’année –, les forces de l’ordre et la magistrature ont en effet tenu à présenter leurs mesures de coordination pour faire de ce fléau leur cheval de bataille.
Pour les victimes, tout commence par une prise en charge personnalisée au sein du commissariat de police de Colmar. Le processus mis en place depuis janvier est simple. Une affiche collée sur la porte vitrée à l’entrée de la structure en indique d’ailleurs la marche à suivre : pour porter plainte, les victimes d’infractions à caractère sexuel, violences conjugales, harcèlement et violences familiales n’ont qu’à désigner du doigt la pastille jaune collée sur le bureau de l’agent·e d’accueil. Parce que les femmes victimes de violences conjugales redoutent, très souvent, d’exposer leur calvaire avant même le dépôt de plainte, ce modèle évite d’ajouter du traumatisme au traumatisme. Sans un mot ni un échange, la victime est, dès cet instant, systématiquement et automatiquement, prise en charge par un·e policier·ère.

l'affiche collée sur la porte d'entrée pour mieux recevoir les victimes. © A. T.
Discrétion et confidentialité
« Cette procédure spécifique garantit la discrétion, la confidentialité et la protection de la femme victime de violences conjugales. Elle n’a pas à répéter son histoire plusieurs fois à plusieurs personnes », confirme la brigadière Céline, à l’origine du dispositif inspiré du modèle qui fait ses preuves depuis 2020 au commissariat du Mans (Sarthe). C’est ensuite au tour de Marie, policière formée aux violences conjugales, d’écouter et de prendre la plainte de la victime dans une pièce isolée et fermée. Nadia est présente également. Intervenante sociale, elle assiste au dépôt de plainte afin de répondre aux nombreuses questions que se posent les femmes victimes de violences. « Elles sont très angoissées quand elles arrivent, je dois parfois prendre le rôle de psy », confie Nadia. Pour apaiser leurs appréhensions, le commissariat de Colmar a demandé le renfort d’un·e psychologue. Une aide qui se fait encore attendre. « On attend le feu vert de la préfecture », souffle Virginie Perrey, la commissaire.
Après avoir déposé plainte, ces femmes peuvent reprendre leur souffle dans la salle « Petits pas » spécialement créée et mise à leur disposition. Un canapé, des plantes et des jouets pour les enfants. « Ici, on prend le temps de les écouter, de les rassurer, de leur expliquer ce qu’il va se passer, souligne Céline. On sort du cadre froid d’une salle d’audition. » Parallèlement, les forces de l’ordre contactent l’association d’aide aux victimes Espoir, qui aidera le·la procureur·e à déterminer les besoins de protection adaptés à la femme, c’est à dire le bracelet anti-rapprochement, le téléphone grave danger ou l’éviction du conjoint.

« C’est un projet formidable qui donne de l’espoir et dont devraient s’inspirer tous les commissariats de France, a déclaré la présidente de la Maison des âmes, Sandrine Bonnaire, au terme de la présentation du dispositif. Les victimes peuvent se sentir soutenues et écoutées, c’est important. » Plus important encore, cette procédure spécifique semble porter ses fruits depuis son installation au début de l’année. « Rien que la semaine dernière, on a reçu quatre plaintes en six jours », indique la procureure, Catherine Sorita-Minard, à la tête du parquet de Colmar. « On a remarqué que les femmes sont davantage rassurées et en confiance lorsqu’elles ressortent de la salle Petits pas », précise Marie. Une réussite, donc, même si, Céline et Marie ont dû batailler avec quelques collègues récalcitrants au début du projet. « Certains, en service depuis vingt ou trente ans, n’étaient pas forcément ravis qu’on vienne bousculer leurs habitudes, confie Marie. Mais finalement, aujourd’hui, ils viennent nous voir pour nous remercier. »
Les policières de Colmar espèrent, avec cette meilleure prise en charge, convaincre davantage de femmes de déposer plainte. Mélanie, victime de violences conjugales, est présente lors du déjeuner organisé par le commissariat en marge de la présentation. Pendant des années, cette jeune femme de 35 ans a subi les insultes, les humiliations, les coups et les noyades de son compagnon et aujourd’hui, des années après la fin du calvaire, elle ne souhaite toujours pas porter plainte malgré les encouragements des policières. « J’ai encore peur des représailles, je n’ai plus confiance en personne », confie Mélanie à Sandrine Bonnaire, qui a elle-même subi des violences conjugales il y a vingt ans. Elle témoigne à Mélanie : « Il m’a strangulée, je suis tombée dans les pommes. Je me suis réveillée avec huit dents cassées, les os de la mâchoire brisés, témoigne l’actrice. J’ai réussi à porter plainte car j’estime que la honte doit changer de camp. »
Manque de moyens
Autre volet du projet mis en œuvre à Colmar, le commissariat organise également depuis décembre 2020 une formation des policier·ères sur les violences conjugales avec Véronique Laouer, directrice de Solidarité Femmes 68 (Causette a pu assister à la formation qui fera l’objet d’un reportage prochainement sur Causette.fr). Pour aller plus loin, le commissariat souhaite en effet constituer une brigade entièrement dédiée au traitement des violences conjugales. « On aimerait s’investir davantage mais pour l’instant, on manque de moyens, on aurait besoin d’au moins trois ou quatre enquêteurs supplémentaires », constate la commissaire Virginie Perrey.
À l’instar de la commissaire, la procureure de Colmar pointe également le manque de moyens dont dispose le parquet. « On a les bons réflexes à Colmar, mais ça ne veut pas dire que tout est parfait, nuance Catherine Sorita-Minard. On ne pourra jamais empêcher tous les féminicides, mais on y travaille conjointement avec les forces de l’ordre. Cela dit, nous avons besoin, par exemple, de magistrats spécialisés à l’image de ce qui se fait en Espagne. »
Un dispositif expérimental pour prévenir les violences
Dans le cadre de cette chaîne coordonnée entre les forces de l’ordre et la justice, la procureure a donné des instructions fermes au début de l’année 2021 : toutes les plaintes doivent être automatiquement remontées au parquet. « Une fois que la victime est dans la boucle, on ne la lâche plus, souligne Catherine Sorita-Minard. J’ai demandé que toutes les plaintes soient envoyées sur une boîte mail dédiée pour qu’elles soient ensuite saisies. »
Une volonté et une politique commune de la plainte au jugement. Tel est l’objectif de ces mesures. « Accompagner les victimes est indispensable, mais il faut aussi prendre en charge les auteurs de ces violences, appuie la vice-procureure en charge des victimes de violences intrafamiliales, Nathalie Kielwasser. Ce n’est plus à la femme de quitter le domicile conjugal, et puis c’est important de prévenir la récidive, car un homme violent fait en moyenne quatre victimes dans sa vie en réitérant son comportement sur toutes ses compagnes successives. »
Ce constat a incité le parquet de Colmar à concevoir un projet de prise en charge globale dans l’éviction des auteurs de ce type de violences. Baptisé « Équilibre », le dispositif expérimental, pensé depuis janvier 2019 par la justice, les associations Espoir et Argile (Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie) ainsi que le Spip (Service pénitentiaire d’insertion et de probation) a débuté en janvier 2021, grâce au financement de la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP). Concrètement, ce sont quatre appartements accueillant chacun trois hommes en colocation, placés dans la foulée de leur défèrement au parquet. Actuellement, le plus jeune a 25 ans, le plus âgé, 81 ans. Ils y résident soit jusqu’à leur jugement dans le cadre d’un contrôle judiciaire, soit dans le cadre d’un aménagement de peine. « Équilibre » ne concerne cependant pas tous les auteurs de violences. « Ce sont des personnes ayant déjà commis des violences conjugales récurrentes avec un risque élevé de récidive, une absence de reconnaissance des faits et un besoin de soin », précise Nathalie Kielwasser.
Apprendre à gérer les frustration du quotidien

Causette a pu visiter l’un de ces appartements. Situé au 15e étage d’un bâtiment HLM de la rue Saint Niklas, le logement paraît tout à fait ordinaire de prime abord. Ce n’est qu’en pénétrant à l’intérieur qu’on en comprend le dispositif. Derrière la porte d’entrée, un ruban adhésif orange au sol et une caméra dans l’angle du plafond. « Les hommes sont obligés d’être présents dans l’appartement de 19 heures à 7 heures, explique la vice-procureure. La caméra filme en direct les allées et venues et transmet automatiquement une photo par mail à l’agent d’astreinte. » Car, si les auteurs ont pour voisins des familles sans histoires, ils ne sont pas pour autant en colonie de vacances. Ils ne peuvent recevoir personne ni apporter de l’alcool. Les auteurs doivent aussi suivre un programme de soin psychologique. « En plus du rapport envoyé aux magistrats chaque mois, le Spip relaie immédiatement au parquet le moindre écart au règlement, précise Nathalie Kielwasser. Un des hommes a été récemment incarcéré car il s’est absenté tout un week-end et s’est présenté alcoolisé à son rendez-vous avec la psychologue. »

L’objectif d’« Équilibre » est de mettre ces auteurs face à leurs mécanismes de violences qui surviennent souvent à la suite de difficultés banales du quotidien. « Ici, ils apprennent à gérer leurs sautes d’humeur et leurs frustrations. » Pour l’heure, la cohabitation se passe bien et semble même porter ses fruits. À l’instar du récent jugement de l’homme de 81 ans qui a fait vivre un demi-siècle de violences à sa compagne. « Quand il est arrivé, il niait complètement les faits, se rappelle la vice-procureure. À l’audience, il était métamorphosé : il a reconnu avoir violenté sa femme et que celle-ci n’avait absolument rien demandé. » Il effectuera ses quatre mois ferme au sein du dispositif.
Toujours en phase d’expérimentation, le parquet de Colmar espère maintenant que la Chancellerie pérennise le projet. « On devrait avoir la réponse très prochainement, indique Nathalie Kielwasser. On sait bien qu’il y a une part d’hommes violents qui ne changeront jamais, mais ce dispositif permet tout de même de prévenir et ainsi de diminuer les féminicides. »
La Maison des âmes, une association récente pour aider les femmes victimes de violence
C’est un projet et un engagement que Sandrine Bonnaire porte depuis longtemps déjà. Victime de violences conjugales, il y a vingt ans, l’actrice française s’est donné pour mot d’ordre de venir en aide à d’autres femmes dont la sérénité et le quotidien ont volé en éclats. Mis en place en janvier 2020 avec sept cofondatrices, toutes bénévoles, la Maison des âmes propose via une ligne d’écoute d’astreinte, un accompagnement médical, psychologique, administratif, social et juridique. Au total, quatre-vingts bénévoles répartis dans toute la France viennent en aide aux femmes victimes de violences conjugales et plus largement à toutes les personnes victimes de violences intrafamiliales. Au-delà d’une ligne téléphonique, la Maison des âmes a l’ambition d’ouvrir une maison d’accueil dans le Nord-est de Paris pour accueillir physiquement les femmes et leurs enfants.