Photo 2 Levante ∏ Wilssa Esser
© Rezo Films

Levante, Kokomo City, Bâtiment 5, Fremont… les sor­ties ciné de la semaine

Une bande de filles insoumises au Brésil, un quatuor de femmes noires et trans aux Etats-Unis, une citoyenne résolument engagée en banlieue parisienne, une réfugiée afghane en quête d’amour à San Francisco… Voici les sorties ciné du 6 décembre.

Levante

"Levante" signifie "soulèvement" en portugais. Un titre on ne peut plus approprié pour ce premier film brésilien : il y flotte tout le long un sentiment tenace de révolte, d’autant plus stimulante qu’elle s’incarne à travers une bande de filles joyeusement insoumises !
Le contexte n’est pas forcément très allègre, pourtant, au départ. Passée l’irrévérencieuse séquence d’ouverture, l’intrigue nous projette au côté de Sofia, une joueuse prometteuse de volleyball âgée de 17 ans, qui apprend qu’elle est enceinte juste avant un championnat qui pourrait sceller son destin. Ne voulant pas de cette grossesse, elle cherche à se faire avorter illégalement (puisque l’IVG est criminalisée au Brésil, à de très rares exceptions près) et se retrouve la cible d’intégristes, bien décidés à l’en empêcher. Mais ni Sofia ni ses proches n’ont l’intention de se soumettre à cette ferveur aveugle…
La force de Levante, précisément, c’est cette énergie collective. Nul hasard si Lillah Halla, sa réalisatrice, s’est choisi pour cadre un club de sport : ici l’on s’entraine ensemble, uni.es vers un objectif commun… gagner ! Nul hasard, non plus, si l’équipe dans laquelle joue Sofia est une équipe queer, inclusive et solidaire : la convergence des luttes (féministe, antiraciste, Lgbt+, et même écologiste) nourrit de façon naturelle ce récit très physique (les joueuses sont filmées sous la douche, frontalement, de façon répétée, la caméra offrant à leurs corps la visibilité que la société leur refuse). Par-delà le charisme de Sofia, il s’agit bien d’un portrait de groupe, aussi coloré que généreux !
Sans doute parce qu’un double enjeu politique anime ce récit enlevé. Premier niveau de lecture, littéral : l’histoire de Sofia permet à Lillah Halla de dénoncer sans ambages la dérive fasciste sinon fanatique du Brésil (le film a été tourné sous l’ère Bolsonaro, juste avant l’élection de Lulla, en octobre 2022). Deuxième niveau de lecture, plus métaphorique : la cinéaste nous montre que faire corps peut être une réponse salutaire, et même une solution. Jeu, set et match pour les filles du club… en quelque sorte !

LEVANTE 120 X 160 HD 1

Levante, de Lillah Halla.

Kokomo City

Le regard est cru, lucide, souvent teinté d’humour ; le filmage est en noir et blanc, sublime d’intelligence et de dépaysement. Impossible de résister ! La raison est simple : Kokomo City est un documentaire rare, qui nous parle d’une dichotomie poignante, celle que vivent les femmes noires transgenres, aux États-Unis, avec leur communauté. Cette bichromie n’est donc pas seulement élégante, visuellement parlant ; elle nous éclaire sur les peurs, les tabous et les discriminations dont ces femmes font l’objet (le côté sombre), tout en nous révélant leur douceur, leur finesse et leur beauté (le côté éclatant). Et c’est bouleversant !
Réalisé et produit par D. Smith, elle-même concernée par ces enjeux, ce film donne à voir Daniella, Dominique, Koko et Liyah, quatre femmes extraordinaires qui se livrent avec autant de franchise que d’émotion sur la transidentité et la façon dont elle est perçue par une communauté afro-américaine imprégnée de valeurs machistes (grosso modo, elles cessent d’être noires aux yeux de leurs proches comme de leurs voisins dès lors qu’elles sont trans, et sont aussitôt mises à l’écart). Nul jugement amer sur leurs frères, pères, cousins ou amants pour autant ! Leurs témoignages, qui abordent très simplement le travail du sexe, les rapports hommes/femmes et l’amour, sidèrent par leur courage, leur brio… et leur proximité. Un peu comme si l’on entamait une conversation avec elles, si drôles et si futées ! Grâce en soit rendue à la mise en scène dynamitée et explosive de D. Smith, également à la B.O. géniale du film, et, surtout, à l’intelligence absolue du discours de ces quatre héroïnes du quotidien : autant d’atouts qui permettent de créer ce sentiment de communion immédiat avec elles. Par-delà les frontières et les différences.

KOKOMO CITY Affiche

Kokomo City, de D. Smith.

Bâtiment 5

Quatre ans après avoir enflammé le festival de Cannes avec Les Misérables, grand film brûlant et bouillonnant, Ladj Ly s’en revient avec une nouvelle chronique, très personnelle, sur la vie dans les quartiers populaires de la banlieue parisienne. Un quotidien qu’il connait bien puisqu’il vit, aujourd’hui encore, dans une cité de Montfermeil, en Seine-Saint-Denis.
Le sujet est différent, mais pas inintéressant au départ : avec Bâtiment 5, le cinéaste français, toujours très engagé, s’attaque en effet à la crise du logement sur fond d’expulsions, de démolitions et de relogements (lointains) pour les habitants les plus pauvres, opérations menées en catimini, nous dit-il, par des hommes politiques avides de gentrification. Autant dire que les tensions sociales sont de mise dans son scénario !
Réalisé et monté avec efficacité, son deuxième opus ne retrouve que rarement, pourtant, l’intensité – et la densité – du premier. La faute à une écriture certes ambitieuse, mais pas complètement maitrisée. S’inspirant sans doute de séries phares américaines, Ladj Ly a voulu la jouer film choral, multipliant intrigues et points de vue. Malheureusement, l’ensemble finit par manquer de cohérence, les parcours des protagonistes ne s’emboitant pas toujours très clairement, quand ils ne donnent pas le sentiment d’avoir été survolés, sinon sacrifiés. On en veut pour preuve le personnage-pivot de Pierre Forges, un jeune pédiatre propulsé maire (de droite) qui, d’emblée, va se lancer dans un bras de fer forcené, caricatural, avec les habitants d’une cité. Même l’excellent Alexis Manenti, pourtant familier de l’univers de Ladj Ly, semble perdu dans la peau de ce petit bourgeois méprisant (on le voit se goinfrer ostensiblement de saucisson, au cas où l’on n’aurait pas compris de quelle idéologie il se réclamait).
On regrette d’autant plus ce manichéisme facile que Bâtiment 5 sait aussi surprendre, cette fois favorablement, avec Haby, un personnage féminin autrement plus inattendu (soyons honnêtes, Les Misérables ne brillait pas par ses héroïnes !). Cette jeune femme, très impliquée dans la vie de sa commune, donc porteuse, a contrario, des valeurs républicaines délaissées par le maire, séduit d’autant plus qu’elle est incarnée avec force et bagout par une nouvelle venue : Anta Diaw. Rien que pour elle, ce film bancal mérite d’être vu.

Affiche 120x160 Batiment5 France Info

Bâtiment 5, de Ladj Ly.

Fremont

Un peu de subtilité, d’espoir et de burlesque tendre pour finir… Fremont concentre son drôle de récit pince-sans-rire, lui aussi en noir et blanc, autour de Donya, une réfugiée afghane de 20 ans qui travaille pour une fabrique de « fortune cookies », au service des restaurants chinois de la banlieue de San Francisco. La jeune femme a du mal à dormir et se sent très seule, jusqu’au jour où son patron lui confie la rédaction des petits messages contenus dans ces fameux gâteaux. Ce changement de routine va bouleverser sa vie : c’est ainsi qu’un beau jour, elle se décide à rédiger un message spécial, très personnel…
On ne sait ce qui séduit le plus, le long de cette douce quête du bonheur (ne ratez pas la dernière séquence, qui voit sa rencontre inopinée avec un jeune mécanicien, elle est à tomber de charme !). Le visage imperturbable d’Anaita Walli Zada qui, dans le rôle de Donya, semble s’être inspirée du flegme « mélancomique » de Buster Keaton ? La mise en scène, lente et planante, de Babak Jalali, cinéaste anglo-iranien à suivre de toute façon ?  Ou le message du film, qui donne de l’espoir aux réfugiés du monde entier ? Les trois sans doute… raison pour laquelle, incidemment, Fremont a obtenu le prix du jury au festival de Deauville cette année.

AFF FREMONT WEB

Fremont, de Babak Jalali.

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