Projet V Diptyque C Pascal Gely
© Pascal Gely

Projet V : une pièce vibrante dans le quo­ti­dien d’un Ehpad

Projet V est un petit bijou de sen­si­bi­li­té contant la (fin de) vie dans un Ehpad. Une pièce à la fois drôle, émou­vante et créa­tive qui fait évi­dem­ment écho à la sinistre actua­li­té des révé­la­tions autour du groupe Orpea. À aller voir d’urgence en fin de semaine au théâtre de la Reine Blanche à Paris.

C’est à la fois déli­cat et for­cé­ment un peu triste, comme l’est la caresse d’une main rose et fraîche pour une autre jau­nie et fri­pée par le temps. La pièce de théâtre Projet V, du Diptyque col­lec­tif, est un écrin de sen­sible cap­tu­ré sur le vif durant de longues heures d’échange et d’observation dans une mai­son de retraite. Projet V comme pour Vieux, Vieillesse mais aus­si – disent par­fois les spectateur·rices qui sortent de la pièce – pour Vie, car c’est bien de cela dont il s’agit.

Que se passe-​t-​il der­rière les fenêtres sou­vent lugubres de ces endroits où finissent nos aînés ? Le Diptyque s’est posé la ques­tion bien avant la défla­gra­tion de la publi­ca­tion des Fossoyeurs du jour­na­liste Victor Castanet révé­lant l’ampleur de la mal­trai­tance ins­ti­tu­tion­nelle du groupe pri­vé Orpea en jan­vier 2022. Pendant plu­sieurs mois en 2019 et 2020 avant le confi­ne­ment, le col­lec­tif plu­ri­dis­ci­pli­naire com­po­sé de comédien·nes, metteur·ses en scène, musicien·nes, plasticien·nes, pho­to­graphes et vidéastes a réa­li­sé des ate­liers artis­tiques dans un Ehpad (éta­blis­se­ment pour per­sonnes âgées dépen­dantes) d’Arcueil (Val-​de-​Marne). De ces moments où les liens se sont tis­sés entre les artistes, les résident·es et les salarié·es de l’établissement, Le Diptyque a créé une pièce com­po­sée en plu­sieurs scé­nettes comme autant de facettes de ce qu’est le long quo­ti­dien de ces lieux. 

Logorrhées et bruits d'ascenseur

Les échines cour­bées, les regards déso­rien­tés, les pertes de mémoire ou les logor­rhées sur le pas­sé sans cesse recom­men­cées sont dans Projet V autant de mani­fes­ta­tions sen­sibles de l’ennui et de la perte d’autonomie qui assaillent les pen­sion­naires. On brosse aus­si la culpa­bi­li­té des enfants de ces pen­sion­naires, qui n’arrivent plus à com­mu­ni­quer avec les vieux de leur cœur tant l’embarras et le cha­grin mettent de la dis­tance dans ces rela­tions d’amour. Ou encore le marasme des aides-soignant·es et des infir­mières qui n’ont pas le temps de bien faire, le tout au son régu­lier des bruits glauques d’un ascen­seur, qui rap­pelle avec constance au cas où on l’aurait mira­cu­leu­se­ment oublié que nous ne sommes pas à la mai­son. « L’Ehpad où nous avons tra­vaillé était cor­rec­te­ment tenu et les soi­gnants étaient bien­veillants avec les rési­dents, raconte Tessa Bazin, comé­dienne et co-​fondatrice du Diptyque col­lec­tif à Causette. Mais je ne crois pas que le prin­cipe même de l’Ehpad – celui d’imposer une vie en col­lec­ti­vi­té à des per­sonnes âgées qui ne l’ont pas choi­sie – puisse ne pas pro­duire de souffrance. »

Pourtant, rien n’est plom­bant dans Projet V. Au contraire, le sou­rire monte sou­vent aux lèvres. « L’aide soi­gnante : “Mam’ Cristofoli ?! La rési­dente : Hein ? L’aide soi­gnante : Y a M’sieur Vasquez qui vous a dit bon­jour. La rési­dente : Comment ? L’aide soi­gnante : C’est M’sieur Vasquez qui vous dit… Roh, c’est laquelle d’oreille qui marche déjà. » C’est l’effet de l’écriture sen­sible, sub­tile et jamais jugeante de ses auteur·rices, ain­si que du talent des comédien·nes qui changent à chaque nou­velle scé­nette de per­son­nage, comme pour sou­li­gner qu’un beau jour nous aus­si nous serons le·la vieux·vieille d’autrui. L’ensemble est por­té par un créa­tif jeu de mise en scène, dans lequel des pan­neaux d’une toile-​écran sont régu­liè­re­ment dépla­cés pour signi­fier les espaces insi­pides et l’omniprésence de la télévision. 

Bref, Projet V est une oeuvre magni­fique et per­cu­tante, dont on res­sort secoué·es après avoir pas­sé une heure à oscil­ler entre rires et pro­fonde mélan­co­lie. À l’image de ce moment sublime où un chan­teur de varié­té déter­mi­né vient ten­ter de réchauf­fer l’après-midi. On rit de ses efforts déployés pour mettre l’ambiance. On pleure de ce soleil arti­fi­ciel mal­adroi­te­ment mis dans les cœurs de son public involontaire.

Projet V, du Diptyque col­lec­tif, au théâtre de la Reine Blanche à Paris les 10 et 11 juin, avec deux repré­sen­ta­tions chaque jour. Toutes les infos.

Vous êtes arrivé.e à la fin de la page, c’est que Causette vous passionne !

Aidez nous à accom­pa­gner les com­bats qui vous animent, en fai­sant un don pour que nous conti­nuions une presse libre et indépendante.

Faites un don
Partager

Cet article vous a plu ? Et si vous vous abonniez ?

Chaque jour, nous explorons l’actualité pour vous apporter des expertises et des clés d’analyse. Notre mission est de vous proposer une information de qualité, engagée sur les sujets qui vous tiennent à cœur (féminismes, droits des femmes, justice sociale, écologie...), dans des formats multiples : reportages inédits, enquêtes exclusives, témoignages percutants, débats d’idées… 
Pour profiter de l’intégralité de nos contenus et faire vivre la presse engagée, abonnez-vous dès maintenant !  

 

Une autre manière de nous soutenir…. le don !

Afin de continuer à vous offrir un journalisme indépendant et de qualité, votre soutien financier nous permet de continuer à enquêter, à démêler et à interroger.
C’est aussi une grande aide pour le développement de notre transition digitale.
Chaque contribution, qu'elle soit grande ou petite, est précieuse. Vous pouvez soutenir Causette.fr en donnant à partir de 1 € .

Articles liés