Gérard Depardieu sera jugé en octobre pour des agressions sexuelles qui auraient été commises sur le tournage du film Les Volets verts. Marine Turchi, journaliste à Mediapart, qui a révélé la plupart des témoignages de femmes accusant l'acteur, revient pour Causette sur cette nouvelle échéance.
Causette : En quoi le procès qui se tiendra en octobre est inédit ?
Marine Turchi : Pendant longtemps, en France, les grandes personnalités accusées de violences sexuelles étaient intouchables. On avait cette impression, notamment parce que les affaires qui ont été médiatisées juste après #MeToo, comme l’affaire Gérald Darmanin ou l’affaire Luc Besson par exemple, n’ont pas donné lieu à des suites judiciaires : il y a eu des classements sans suite, des non-lieux… #MeToo est également un phénomène assez récent par rapport à la lenteur du temps judiciaire.
Aujourd’hui, nous sommes face à un cas assez inédit où Gérard Depardieu, un acteur d’une grande envergure, dont Macron a dit qu’il “rendait fière la France”, qualifié de “monstre du cinéma” et considéré comme une partie du patrimoine français, va être jugé au tribunal. C’est un tournant important, je pense, pour le mouvement #MeToo en France et aussi, plus précisément, pour l’affaire Depardieu que nous suivons, à Mediapart, depuis la plainte de l’actrice Charlotte Arnould en 2018. Donc, évidemment c’est important, parce que Gérard Depardieu est l’une des personnalités françaises les plus connues au monde. Ce procès envoie un signal positif, je pense : celui de dire que personne n’est au-dessus des lois et qu’on doit répondre de ses actes quand on est mis en cause pour de potentiels crimes et délits.
Gérard Depardieu conteste les faits qui lui sont reprochés, il se défendra pour donner sa version, mais c’est déjà une avancée énorme d’obtenir un procès. La plupart des dossiers sur lesquels je travaille au quotidien, n’atteignent pas cette étape et ne dépassent pas celle de l’enquête préliminaire.
Quelle est, selon vous, la valeur symbolique de ce procès ?
M.T. : L’une des plaignantes dont j’ai révélé le récit, celle qui témoigne sous le nom d’emprunt de Sarah, a décidé de porter plainte après avoir témoigné à Mediapart et elle m’a dit : “Gérard Depardieu est un exemple.” Selon elle, durant des années, on a fermé les yeux sur son comportement dans le cadre du travail. Montrer aujourd’hui qu’il est visé par des plaintes, que la justice s’en saisit, que les femmes parlent, c’est envoyer un signal à d’autres hommes, sur les tournages et ailleurs, et dire que ce n’est pas à prendre à la légère. Ce sont des comportements potentiellement délictueux dont ils doivent répondre.
Il y a aussi une autre dimension importante : Gérard Depardieu est un acteur. Les personnes s’identifient énormément aux acteurs et aux actrices. Quand Adèle Haenel parle, par exemple, c’est important parce que les gens se reconnaissent, s’identifient à son récit. De la même manière, il y a, je pense, beaucoup d’hommes qui se sont identifiés à Gérard Depardieu. Et aujourd’hui, c’est aussi envoyer un signal : on a beaucoup rigolé de certaines choses quant à son comportement en marge, lors de la promotion d’un film ou dans la vie de tous les jours, et il a pu y avoir un phénomène d'identification très fort car c'est une star. Ce procès remet les choses à leur place et il donne l'exemple : on a pu en rire mais, en réalité, beaucoup de femmes se sont plaintes et il va devoir répondre de ça, il va être jugé. Quand il y a des suites pour ce type d'affaire, ça retentit beaucoup. Le monde du cinéma n’est pas un secteur comme un autre, il rentre dans les foyers, dans les télévisions, dans la culture populaire. Donc il y a un devoir d’exemplarité.
Ce procès interroge aussi le rôle des témoins et renvoie à des choses que chacun et chacune a pu connaître dans la vie de tous les jours. Quand on voit des scènes comme ça, beaucoup de monde rigole. Dans à peu près tous les récits de tournages des différents films où il est mis en cause, on rapporte que tout le monde a rigolé, minimisé et banalisé ce qui se passait en disant “oui, mais c’est Gérard”. Ça, c’est une phrase que j’ai beaucoup entendue. Et que peut-être on entendra moins désormais.
En quoi cette affaire est-elle importante, selon vous, dans ce qu’elle raconte de la force du mouvement #MeToo ?
M.T. : Déjà, elle démontre le travail de la presse qui existait déjà avant le mouvement #MeToo. Ce volet de l’affaire est 100 % dû à la presse et en l’occurrence, propre à Mediapart. Sans le témoignage sur le tournage des Volets verts, il n’y aurait rien eu. Quand ces deux femmes, indépendamment et sans se connaître, me contactent, pour l’une au mois d’avril et en octobre pour l’autre, elles n’ont pas dans l’idée de porter plainte. Elles veulent appuyer, par leur témoignage, ceux d’autres femmes qui sont apparus dans mes enquêtes, apporter leur pierre à l’édifice pour que ça s’arrête et qu’il ne recommence pas. Et c’est au fil des mois qu’elles décident de porter plainte, voyant que j’arrive à amasser des éléments qui corroborent leurs récits, que c’est très solide et étayé. J’ai par exemple réussi à démontrer qu’il lui a été demandé de s’excuser sur le plateau.
Aujourd’hui, on est accusés de tenir un tribunal médiatique, de faire une chasse à l’homme, comme l’a dit Emmanuel Macron lui-même, donc c’est important de souligner qu’en fait les journalistes qui travaillent sérieusement sur ces affaires font un travail minutieux, sérieux, d’intérêt public, et dont la justice, la société et les institutions peuvent ensuite se saisir, avec des conséquences très concrètes. #MeToo est sorti de la presse écrite, il faut quand même rappeler ça. Le mouvement a permis de mettre des mots sur des choses. En l’occurrence, aujourd’hui, Depardieu est accusé de harcèlement sexuel, d’agression sexuelle, de viol. Donc non, les violences sexuelles, ce n’est pas des blagues ou de la drague.
Que risque Gérard Depardieu ?
M.T. : C’est difficile à dire, parce qu’en fait, tout va être exploré, y compris d’éventuelles circonstances aggravantes. Je ne sais pas quelle est sa version, puisqu’il ne nous l’a pas donnée. Il a simplement contesté tout fait délictueux, tout comportement répréhensible.
On peut néanmoins se référer au maximum de peine là-dessus. Les agressions sexuelles autres que les viols sont punies de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Mais là-dessus, on ne peut pas faire des plans sur la comète. Il faudra attendre l’audience.
Au-delà du procès, je pense que, aujourd’hui, les producteurs vont y réfléchir à deux fois avant de l’embaucher pour un tournage. Alors même qu’il était mis en examen pour viol dans le dossier Charlotte Arnould, il continuait d’être embauché sur des films. Je crois que, désormais, ça va être beaucoup plus compliqué, voire impossible. Après notre enquête l’année dernière, Le Parisien a demandé à cinq grands réalisateurs ou producteurs ou réalisatrices qui l’avaient fait tourner s’ils le referaient et tous disaient : “Bien sûr, je l’engagerai à nouveau.” C’était il y a simplement un an. Donc on voit bien que le retentissement de l’affaire, la pédagogie qui a été faite autour d‘e cette affaire d’elle, a permis aux gens de réfléchir.
Depuis la sortie de votre livre Faute de preuves, avez-vous le sentiment que le système judiciaire a évolué sur ces affaires ? Ce procès en est-il la preuve ?
M.T. : On voit que certains dossiers médiatiques connaissent des avancées importantes. Je pense au dossier Stéphane Plaza, qui, après l’enquête de ma collègue, a généré une enquête de justice qui aboutit à un procès cet été.
Donc, il y a des choses qui bougent et, forcément, la justice n’est pas complètement sourde à ce qui se passe dans la société. Mais la justice quotidienne pour des gens plus “lambdas”, c’est plus difficile. Il y a encore des gens qui n’ont pas de nouvelles de leur dossier pendant des mois ou des années. Il y a encore un tri des dossiers qui s’effectue…
Par contre, je pense que certains professionnels de justice, de police, ont réfléchi à leur pratique. Ou peut être réfléchi aux préjugés qu’ils pouvaient eux-mêmes avoir.
Depuis mon livre, les policiers sont encore davantage formés, etc. Mais on n’y est quand même pas encore. Les taux de classement sont très importants. Quand j’avais fait mon livre, on était à 73 % de plaintes classées sans suite. Là, j’ai vu récemment des chiffres bien plus importants, parce que c’est aussi l’effet #MeToo. Il y a de nombreux dossiers avec des faits moins graves, donc, forcément, le taux de classement grossit. Mais c’est un peu trop tôt pour tirer un bilan.
Gérard Depardieu est déjà mis en examen depuis décembre 2020 pour viols et agressions sexuelles sur la comédienne Charlotte Arnould. Le juge d’instruction a clôturé ses investigations le 17 avril 2024 et a transmis le dossier au parquet de Paris. Quelles sont les suites à envisager ?
M.T. : Alors là, l’information judiciaire est bouclée, les deux parties peuvent faire des observations écrites. Le parquet va rendre ses réquisitions et, de son côté, la juge va rendre sa décision. Et là, elle a deux options. Soit un non-lieu, donc l’affaire s’arrête, comme c’était le cas dans l’affaire Luc Besson. Ou alors, elle peut décider de renvoyer cette affaire en procès. Et là, il y a deux cas de figure. La cour criminelle, puisque normalement, c’est une accusation de viol. Ou alors, une correctionnalisation de ce viol présumé.
La différence, c’est qu’aux assises ou en cour criminelle, on juge des crimes. Donc on reconnaît que ce que vous avez vécu, c’est un crime quand il y a une condamnation. Alors que le tribunal correctionnel juge des délits. En l’occurrence, ici, un délit plutôt d’agression sexuelle. C’est-à-dire que le viol est requalifié en agression sexuelle. Donc la peine, s’il est condamné, est moindre.