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Dans ce premier épisode, nous vous proposons le portrait de Stéphanie Frappart, arbitre qui brise tous les records. Elle vient d'ailleurs d'être sélectionnée pour l'Euro masculin 2021, qui débute le 11 juin. Une première pour une femme.
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« Elle est souriante et menue… Mais sait se faire respecter sur un terrain. » Voilà comment était décrite Stéphanie Frappart en septembre 2016, en introduction d’une interview dans La Nouvelle République1. Si la formule est sexiste, elle a au moins pour mérite de rappeler, cinq ans plus tard, que la place des femmes dans le football est tout sauf une évidence. Le parcours de l'arbitre n'en est alors que plus remarquable. Désignée en janvier à la première place des « Trente qui font le football français » par L'Équipe, et fraîchement sélectionnée pour faire partie des arbitres de l’Euro 2021, Stéphanie Frappart paraît désormais partie pour marquer de son empreinte le football international.
Née le 14 décembre 1983, c’est d’abord par le jeu que Stéphanie Frappart
intègre le football, sur les terrains du Val d'Oise (95). D’après les mots d’un des entraîneurs de son passé de joueuse2, « Stéphanie avait une mentalité de gagnante, elle était le moteur de l’équipe, en soutien de l’attaquante, elle organisait le jeu. » D’organiser à superviser, il n’y a eu qu’un pas : l'adolescente mêle rapidement jeu et arbitrage, en supervisant des matchs de poussins et de benjamins. C’est à l’entrée à la fac de sport qu’elle se tourne définitivement vers l’arbitrage. Dans un contexte de médiatisation du football féminin moins importante qu’aujourd’hui, elle développe une envie d'être celle qui tranche sur le terrain, et le football masculin lui ouvre ses pelouses. Après le CFA (Championnat de France de football de National 2) et le National, elle devient à 31 ans en 2014 la première femme à superviser un match professionnel masculin en Ligue 2. La même année, elle est nommée meilleure arbitre féminine aux trophées de l'Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP).
Dans les compétitions féminines, Stéphanie Frappart acquiert une renommée internationale dès 2015 avec la Coupe du monde. La suite s’enchaîne : ce seront les Jeux olympiques en 2016, l’Euro féminin en 2017, puis la finale de la Coupe du monde féminine U20 (compétition regroupant les moins de 20 ans) en 2018. 2019 sera l’année de la consécration. D’abord dans le championnat de France : c’est lors d’Amiens-Strasbourg qu’elle devient la première femme à arbitrer une rencontre de Ligue 1. À l’international ensuite, avec la finale de la Coupe du monde féminine, mais aussi sa première rencontre internationale masculine en Ligue des nations (Malte – Lettonie), et la Supercoupe de l’UEFA (Liverpool – Chelsea). La carrière de Stéphanie Frappart s'envole. En 2020, ce sera le choc OL-OM en Ligue 1, la Ligue Europa (Leicester – Zorya Louhansk) et la Ligue des champions (Juventus Turin – Dynamo Kiev). 2021, sera donc l'année de l'Euro. Et 2022, celle du Mondial ?
Elue "meilleure arbitre féminine du monde" deux années successives
Devenir « la femme en noir » de compétitions aussi prestigieuses et médiatisées que la Coupe du monde ou la Ligue des champions intensifie inévitablement les regards portés sur vous. La reconnaissance vient du football d’abord – elle est élue meilleure arbitre féminine du monde en 2019 et en 2020 par la fédération internationale de l'histoire et de la statistique du football (IFFHS) - mais aussi de l’État français et des médias : elle est faite chevalier de l’ordre national du Mérite en 2019, et donc couronnée première des « Trente qui font le football français » pour L’Équipe. La renommée de Stéphanie Frappart dépasse le seul cadre du ballon rond.
Il est impossible de ne pas lier cette médiatisation au statut de « première femme arbitre » dans de nombreuses compétitions. En novembre 2020, Stéphanie Frappart disait elle-même : « Depuis que je suis dans ce milieu, je porte sur mes épaules le lourd poids du statut de la femme dans le sport et dans la société »3. Les interviews qu’elle donne laissent (heureusement) penser que le sexisme du monde du football s’efface, du moins dans le monde professionnel, face à une arbitre : « Hormis des "monsieur l'arbitre", je n'ai encore pas eu à subir de remarques sexistes, ni de tentatives de drague. Il m'est tout de même arrivé sur un match en Ligue régionale, je devais avoir 18 ans, d'être accueillie par un "on ne peut pas faire pire qu'une femme’’ ». Une femme donc, face à qui, elle l’admet, les joueurs seraient moins virulents dans leur contestation. Mais surtout une arbitre, pour qui « La seule chose qui compte, c'est de prendre les bonnes décisions, c'est là-dessus qu'on est jugé »1
Sa patte ? Le "laisser jouer"
La reconnaissance dont elle est l’objet, tant par ses pairs que par les observateurs, ne laisse aucun doute sur ses compétences. Son premier match en Ligue 1, où elle était sûrement davantage le centre d’attention que les vingt-deux joueurs sur le terrain, fut qualifié de « première idéale » par L’Equipe. Ses « premières » ou ses « records » ne se cantonnent pas à l’arbitrage féminin : pendant la Supercoupe d'Europe, elle parcourt 16,1 kilomètres lors du match opposant Liverpool et Chelsea. C'est à ce jour la plus grande distance enregistrée pour un arbitre en Coupe d’Europe ! Un record non genré donc.
Pour les spectateurs et spectatrices du football, Stéphanie Frappart c’est avant tout une arbitre qui cherche à laisser jouer. La fluidité qu'elle donne au jeu est un atout considérable des rencontres qu’elle dirige. Ce qui ne l'empêche pas de ressentir une certaine pression. Dans L'Équipe, elle confiait être consciente « qu’au moindre coup de sifflet de travers, le public, les dirigeants, les médias et les joueurs [lui] tomberont sur le dos ». Pour un coup de sifflet, ou pour son absence peut-être : le débat autour du but accordé à l'équipe de Montpellier au stade Vélodrome, le 6 janvier dernier, aura largement animé l’après-match. Mais finalement, elle aura ainsi donné aux supporters et supportrices l’occasion de s’adonner à leur activité préférée : râler contre l’arbitre.
La FFF veut plus d'arbitres femmes
Alors faut-il revendiquer l’étiquette « arbitre femme » ou dégenrer la fonction ? « J’incarne un modèle désormais, et je ne peux pas faire comme si ce n’était pas le cas. Si je joue un rôle, autant le mettre en avant », a‑t-elle notamment déclaré. Mais avec 3 % de femmes arbitres dans les rangs de la Fédération française (d’après des chiffres de 2018), le chemin semble encore long. La médiatisation d’une figure comme Stéphanie Frappart peut ainsi être une force motrice de cette évolution. Elle-même s’engage sur cette question, en dirigeant la commission de développement de l’arbitrage féminin au sein de la Fédération. Cette dernière revendique une véritable stratégie de professionnalisation pour les femmes arbitres. Alain Sars, directeur technique adjoint de l’arbitrage à la Fédération de Football Français (FFF) a ainsi déclaré dans Ouest France : « L’objectif est d’augmenter nos effectifs d’arbitres féminines de 15% par an environ »4. Cela passe notamment par un plan de professionnalisation, qui a concerné pour son lancement huit arbitres de D1 féminine.
Si l’arbitrage féminin a besoin de symboles, comme Stéphanie Frappart, pour se développer, il peut en trouver partout dans le monde. Pour un petit retour historique, on pourrait citer Nicole Petignat (Suisse), qui avait officié dans une rencontre des tours préliminaires de la Coupe de l’UEFA (ancêtre de la Ligue Europa), dès 2003. Bibiana Steinhaus (Allemagne) a également marqué l’histoire de l’arbitrage, en devenant la première femme à arbitrer dans un grand championnat masculin en Europe, la Bundesliga, en 2017. En-dehors du continent européen, on retrouve Bouchra Karboubi au Maroc, devenue arbitre de première division en octobre dernier, déjà arbitre internationale depuis 2016 et en lice pour la Coupe du monde féminine 2023 et la Coupe d’Afrique des Nations. En février 2021, c’est une Brésilienne qui a incarné un nouveau tournant : Edina Alves est devenue la première femme à diriger une rencontre majeure organisée par la FIFA, lors du Mondial des Clubs.
Face à un monde du football parfois lassant, dans une année particulièrement difficile pour le sport et l’ensemble de ses acteurs, une figure comme Stéphanie Frappart paraît pouvoir aussi incarner un élan d’optimisme. Avec toutes ces personnalités aux parcours inspirants et particuliers, l’avenir de l’arbitrage semble s’engager sur une bonne voie, et le football retrouver une partie de son charme. Les supportrices et les journalistes femmes ont amorcé le mouvement, c’est visiblement au tour des arbitres de dépasser le caractère d'exception de Stéphanie Frappart.
Chloé Michel
- “Stéphanie Frappart : l’arbitre est une femme”, Caroline Devos, publié dans La Nouvelle République le 25 septembre 2016[↩][↩]
- Propos recueillis par Robin Richardot pour Le Monde, article publié le 6 janvier 2021[↩]
- Propos recueillis par Anne-Sophie Bourdet dans L’Equipe, article publié le 27 novembre 2020[↩]
- “Derrière la pionnière Stéphanie Frappart, l’arbitrage féminin se professionnalise”, publié dans Ouest France, le 3 décembre 2020[↩]