Ce jeudi, la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations Aurore Bergé a présenté un nouveau plan de lutte contre la prostitution, qui tire les conclusions des échecs de la loi de 2016 contre le système prostitutionnel et qui tente d'apporter des réponses au phénomène vertigineux de la prostitution des mineur·es.
D'abord annoncée pour septembre 2023, la première "stratégie nationale de lutte contre la prostitution" a été lancée par Aurore Bergé ce jeudi 2 mai. Pour la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, il s'agit de "s’adapter aux nouvelles formes de prostitution sans changer la loi", a‑t-elle indiqué dans un entretien au journal La Croix.
De fait, ce plan de lutte consiste avant tout à “renforcer l’application de la loi de 2016”, qui avait mis fin aux poursuites judiciaires envers les prostitué·es pour, à l’inverse, pénaliser le·la client·e en plus des proxénètes. En parallèle, la loi instaurait un “volet social”, c’est-à-dire un dispositif de Parcours de sortie de la prostitution (PSP) afin d’accompagner financièrement et professionnellement les prostitué·es souhaitant arrêter d’exercer.
Saluant une loi “courageuse” portant “les valeurs abolitionnistes de la France” auprès de La Croix, Aurore Bergé a reconnu qu’elle était encore “appliquée de manière inégale” sur le territoire. Ce sont les préfectures de chaque département qui sont chargées d’organiser et d’orchestrer le travail des commissions consacrées à l’octroi de ces PSP, lesquels sont ensuite accompagnés par des associations agréées. En 2019, une enquête de Causette avait ainsi montré que plusieurs préfectures n’avaient pas créé leurs commissions, que certaines octroyaient les PSP et les autorisations provisoires de séjour (APS) associées au compte-gouttes et que d’autres encore n’avaient aucun hébergement à proposer aux femmes qui, le plus souvent, désiraient s’extraire d’un système d’exploitation.
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Cinq ans plus tard, le gouvernement se montre sévère envers l’implication actuelle de certaines préfectures : “Malgré de réelles avancées, [un] état des lieux a conclu [en février 2023, ndlr] à une mise en œuvre hétérogène du volet social de la loi selon les départements”, précise même le dossier de presse sur le nouveau plan gouvernemental : “14 départements n’ont pas réuni leur commission et 26 ne l’ont réunie qu’une fois.” Face à ce constat, le gouvernement entend donc remobiliser les préfectures, en les obligeant à réunir leurs commissions “au moins deux fois par an même en l’absence de demande de PSP” et en leur octroyant une nouvelle mission : l’élaboration de stratégies départementales de lutte contre la prostitution afin de cibler des formes de prostitution locales. Les associations agréées à l’encadrement des PSP seront invitées à participer à ces travaux car, note le plan de lutte, il est urgent de “réaffirmer leur rôle de partenaire essentiel” alors même qu’elles ont pu ressentir “une certaine défiance des commissions départementales à l’égard des dossiers qu’elles présentent”. Ambiance.
Autre annonce censée améliorer l’application du volet social de la loi de 2016 : “Améliorer les délais de délivrance des autorisations provisoires de séjour (APS) lorsqu’un PSP est attribué”, dans un contexte où, selon Aurore Bergé, “on estime que 47 % des personnes prostituées sont issues de l’immigration”.
Mais le principal problème dans l’application de ces PSP – qui ont bénéficié à 1 747 personnes depuis 2017, précise le gouvernement – réside dans l’allocation allouée aux personnes y entrant : 343 euros par mois, ce qui dissuade bon nombre de concerné·es. Le gouvernement n’entend pourtant pas revaloriser cette allocation, arguant par la voix d’Aurore Bergé qu’elle “a le mérite d’exister” : “Nous sommes le seul pays au monde à la proposer”, rappelle la ministre. À la place, le plan du gouvernement propose d’“étendre les solutions d’hébergement d’urgence dédiées aux femmes victimes de violences aux victimes du système prostitutionnel”, de manière à soulager les associations qui peinent à trouver un logement aux personnes en PSP. Bien que ces structures d’urgence soient déjà saturées, le gouvernement assure que leur nombre continue de croître, promettant de passer de 10 000 places actuelles à 11 000 d’ici à juin 2024.
Pointant que les associations qui aident les prostitué·es "font état d’une qualité d’accueil disparate des victimes de prostitution dans les commissariats et gendarmeries" dans un contexte où "ces victimes sont l’objet de menaces très lourdes et spécifiques qui peuvent les dissuader de se tourner vers les forces de l’ordre", le nouveau plan prévoit de former les forces de l'ordre amenées à interroger des personnes victimes de traite "à l’accueil et au recueil de la parole des femmes victimes du système prostitutionnel".
Autre chantier visant à améliorer l’application effective de la loi de 2016 : alors que le gouvernement admet “une quasi-absence de la pénalisation des clients” avec seulement “1 160 verbalisations de clients pour achat d’acte sexuel auprès de majeurs en 2023 et 230 dossiers établis à l’encontre d’individus pour recours à l’exploitation sexuelle d’une personne mineure”, le plan affirme l’urgence de “sanctionner effectivement”. Cela passera par une harmonisation des pratiques des forces de l’ordre sur le terrain, mais aussi par un travail mené par le ministère de l’Intérieur pour “repenser les modalités de judiciarisation de la verbalisation des clients afin de tenir compte de l’accroissement de la prostitution en lieu privé”.
Concernant ces lieux, la stratégie nationale entend s’attaquer au phénomène des salons de massage, longtemps tolérés par les autorités, en renforçant “les fermetures administratives d’établissements abritant la prostitution, notamment par des contrôles de l’inspection du travail”. De la même manière, alors que la prostitution dite “logée” représenterait actuellement “80 % de la prostitution”, le plan de lutte prévoit de “développer des échanges avec le secteur privé (plateformes d’hébergement, réseaux sociaux, entreprises de conciergerie, entreprises de transport, etc.) afin de faciliter la coopération opérationnelle et notamment la réponse aux réquisitions judiciaires”.
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Mais c’est surtout le phénomène, en pleine expansion et qui concernerait jusqu’à 10 000 enfants dans le pays, de prostitution des mineur·es qui inquiète les autorités. Ainsi, le gouvernement veut “prévenir les risques prostitutionnels en sensibilisant les jeunes du secondaire” dans le cadre des séances d’éducation à la vie affective et sexuelle ou des cours d’éducation aux médias et à l’information. Dans le même temps, il annonce “des actions de formation à destination des personnels de l’éducation nationale, les services de police et de gendarmerie, les magistrats référents TEH, les professionnels de santé” pour repérer les jeunes “victimes d’exploitation sexuelle”. Cette prévention s’accompagnera d’une nouvelle campagne de communication ciblée sur les mineur·es, la dernière datant de 2022. Côté prise en charge, le gouvernement veut “développer un réseau national de lieux d’accueil et de prise en charge des mineurs victimes d’exploitation sexuelle” piloté par une association spécialisée.
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Enfin, dans le cadre des Jeux olympiques de Paris 2024, qui attisent les craintes des autorités au sujet d’une hausse du phénomène, le gouvernement promet la diffusion “d’une campagne nationale de prévention à destination du grand public sur les risques prostitutionnels et l’interdiction de l’achat d’actes sexuels”.