Cinq femmes peintres d'une même famille à redé­cou­vrir à tra­vers une exposition

Le musée Jean-​Honoré Fragonard, à Grasse, consacre une expo­si­tion de pein­ture à la redé­cou­verte des sœurs Lemoine et de leur cou­sine Chaudet, une fra­trie de femmes artistes du XVIIIème siècle. Brillantes, enga­gées, toutes les cinq furent talen­tueuses … et long­temps invisibilisées.

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Jeanne‑Élisabeth Chaudet (1767−1832)
Jeune fille tenant le sabre de son père
Huile sur toile, 73,3 x 60,5 cm
Paris, col­lec­tion Farida et Henri Seydoux
©Guillaume Benoit

Qui écri­ra les aven­tures des expos ? Car tout n’est pas simple quand on veut consti­tuer une expo­si­tion. Il ne suf­fit pas de pio­cher dans les caves d’un musée pour en extir­per des toiles, de jouer du plu­meau et d’accrocher les tableaux ! Pour racon­ter quelque chose qui vaille la peine, mon­trer des œuvres qui pren­dront tout leur sens, il faut par­fois se livrer à de véri­tables jeux de piste pour les retrouver. 

C’est le cas ici, comme le raconte Carole Blumenfeld, com­mis­saire de l’exposition  Je déclare vivre de mon art qui se tient au musée Jean-​Honoré Fragonard de Grasse jusqu'en octobre. Pour mettre en place cet évè­ne­ment, la com­mis­saire a dû explo­rer les gre­niers d'un musée bre­ton qui déte­nait un tableau dor­mant dans les remises, ou encore se rendre chez des héritier·ières pour authen­ti­fier une toile accro­chée, inco­gni­to, dans le salon familial. 

Faire redé­cou­vrir les soeurs Lemoine et leur cousine 

L’enjeu de l’expo était au départ ambi­tieux : faire redé­cou­vrir la fra­trie excep­tion­nelle des sœurs Lemoine – et de leur cou­sine Chaudet- qui ont brillé au tour­nant des XVIIIe et XIXe siècles. Leur his­toire est roma­nesque et sin­gu­lière : celle de quatre sœurs peintres de grand talent – une situa­tion déjà assez ori­gi­nale – rejointe par leur cou­sine très douée elle aus­si. Mais leurs œuvres furent long­temps attri­buées à leurs pro­fes­seurs. Des artistes de renom, les profs, en l’occurrence : David, Girodet ou encore Elisabeth Vigée-Lebrun.

Aujourd’hui, la vague fémi­niste influence les grands musées du monde, qui recherchent des œuvres de femmes, spé­cia­le­ment dans les siècles pas­sés. La France est dans le pelo­ton de tête car elles y étaient bien plus nom­breuses que ce que l’on a admis jusque-​là, selon le grand prin­cipe de l’invisibilisation. Les sœurs Lemoine sont très repré­sen­ta­tives de ce cas de figure, elle qui furent recon­nues, fêtées et sou­te­nues par d’importants mécènes à leur époque, mais dont l’Histoire a long­temps oublié l’existence.

Enfance pari­sienne

Filles de per­ru­quier, elles ont gran­di dans le quar­tier pari­sien sul­fu­reux du Palais Royal et ont très vite mon­tré des dis­po­si­tions pour la pein­ture. D’abord Marie-​Victoire, qui consa­cre­ra sa vie à sa car­rière, choi­sis­sant le céli­bat et s’escrimant à « vivre de son art », pro­fes­sion de foi qui donne son titre à l’exposition de Grasse. Elle y par­vien­dra, ce qui reste excep­tion­nel pour une femme au XVIIIème siècle. 

Elle ini­tie Marie-​Élisabeth et Marie-​Denise (Marie était alors la hype du pré­nom). Leur sœur Marie-​Geneviève, qu’on a long­temps cru hors du coup, se révé­la talen­tueuse elle-​aussi. Mais signant rare­ment, elle pas­sa inaper­çue jusqu’à la décou­verte par Carole Blumenfeld de son nom sur un por­trait, « sous une épaisse couche de pous­sière et de ver­nis jau­nie par le temps ». Découverte qui à tout à coup per­mis d’attribuer nombre de toiles conser­vées par la famille Lemoine, faites d’une main sin­gu­lière mais jusque-​là incon­nue. Leur cou­sine Jeanne Élisabeth les rejoi­gnit pour gra­vir en famille les éche­lons de la célébrité.

Faire pas­ser des mes­sages politiques 

Traversant les remous de la Révolution, les sœurs Lemoine et leur cou­sine ont habi­le­ment usé de leurs talents et de leur noto­rié­té pour glis­ser dans leurs œuvres des mes­sages poli­tiques enga­gés. « Elles livrèrent adroi­te­ment leurs propres ques­tion­ne­ments et leurs posi­tions quant aux grands débats qui agi­taient l’époque, pré­cise Carole Blumenfeld dans sa pré­sen­ta­tion de l’exposition. Qu’elles s’expriment sur la fra­gi­li­té de l’enfance, sur les qua­li­tés morales et phy­siques de la femme d’alors ou sim­ple­ment sur l’actualité poli­tique, les sœurs Lemoine et Jeanne-​Élisabeth maniaient un lan­gage sub­til des­ti­né à des ini­tiés. »

Un lan­gage qui ajoute encore à la qua­li­té de leurs œuvres, pour la pre­mière fois ras­sem­blées, alors qu’elles étaient toutes dis­per­sées dans des musées ou des col­lec­tions pri­vées, et pour cer­taines rare­ment mon­trées. Je déclare vivre de mon art est une expo­si­tion à savou­rer en décou­vrant l’histoire de cette fra­trie épous­tou­flante et en décryp­tant les mes­sages secrets des toiles expo­sées, qui pour la pre­mière fois se répondent et s’enrichissent mutuellement.

Je déclare vivre de mon art, 1789, dans l'atelier des soeurs Lemoine et Chaudet, une expo­si­tion à voir au musée Jean-​Honoré Fragonard de Grasse (14, rue Jean Ossola) jusqu'au 8 octobre pro­chain. Entrée libre.

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