Le musée Jean-Honoré Fragonard, à Grasse, consacre une exposition de peinture à la redécouverte des sœurs Lemoine et de leur cousine Chaudet, une fratrie de femmes artistes du XVIIIème siècle. Brillantes, engagées, toutes les cinq furent talentueuses … et longtemps invisibilisées.
Qui écrira les aventures des expos ? Car tout n’est pas simple quand on veut constituer une exposition. Il ne suffit pas de piocher dans les caves d’un musée pour en extirper des toiles, de jouer du plumeau et d’accrocher les tableaux ! Pour raconter quelque chose qui vaille la peine, montrer des œuvres qui prendront tout leur sens, il faut parfois se livrer à de véritables jeux de piste pour les retrouver.
C’est le cas ici, comme le raconte Carole Blumenfeld, commissaire de l’exposition Je déclare vivre de mon art qui se tient au musée Jean-Honoré Fragonard de Grasse jusqu'en octobre. Pour mettre en place cet évènement, la commissaire a dû explorer les greniers d'un musée breton qui détenait un tableau dormant dans les remises, ou encore se rendre chez des héritier·ières pour authentifier une toile accrochée, incognito, dans le salon familial.
Faire redécouvrir les soeurs Lemoine et leur cousine
L’enjeu de l’expo était au départ ambitieux : faire redécouvrir la fratrie exceptionnelle des sœurs Lemoine – et de leur cousine Chaudet- qui ont brillé au tournant des XVIIIe et XIXe siècles. Leur histoire est romanesque et singulière : celle de quatre sœurs peintres de grand talent – une situation déjà assez originale – rejointe par leur cousine très douée elle aussi. Mais leurs œuvres furent longtemps attribuées à leurs professeurs. Des artistes de renom, les profs, en l’occurrence : David, Girodet ou encore Elisabeth Vigée-Lebrun.
Aujourd’hui, la vague féministe influence les grands musées du monde, qui recherchent des œuvres de femmes, spécialement dans les siècles passés. La France est dans le peloton de tête car elles y étaient bien plus nombreuses que ce que l’on a admis jusque-là, selon le grand principe de l’invisibilisation. Les sœurs Lemoine sont très représentatives de ce cas de figure, elle qui furent reconnues, fêtées et soutenues par d’importants mécènes à leur époque, mais dont l’Histoire a longtemps oublié l’existence.
Enfance parisienne
Filles de perruquier, elles ont grandi dans le quartier parisien sulfureux du Palais Royal et ont très vite montré des dispositions pour la peinture. D’abord Marie-Victoire, qui consacrera sa vie à sa carrière, choisissant le célibat et s’escrimant à « vivre de son art », profession de foi qui donne son titre à l’exposition de Grasse. Elle y parviendra, ce qui reste exceptionnel pour une femme au XVIIIème siècle.
Elle initie Marie-Élisabeth et Marie-Denise (Marie était alors la hype du prénom). Leur sœur Marie-Geneviève, qu’on a longtemps cru hors du coup, se révéla talentueuse elle-aussi. Mais signant rarement, elle passa inaperçue jusqu’à la découverte par Carole Blumenfeld de son nom sur un portrait, « sous une épaisse couche de poussière et de vernis jaunie par le temps ». Découverte qui à tout à coup permis d’attribuer nombre de toiles conservées par la famille Lemoine, faites d’une main singulière mais jusque-là inconnue. Leur cousine Jeanne Élisabeth les rejoignit pour gravir en famille les échelons de la célébrité.
Faire passer des messages politiques
Traversant les remous de la Révolution, les sœurs Lemoine et leur cousine ont habilement usé de leurs talents et de leur notoriété pour glisser dans leurs œuvres des messages politiques engagés. « Elles livrèrent adroitement leurs propres questionnements et leurs positions quant aux grands débats qui agitaient l’époque, précise Carole Blumenfeld dans sa présentation de l’exposition. Qu’elles s’expriment sur la fragilité de l’enfance, sur les qualités morales et physiques de la femme d’alors ou simplement sur l’actualité politique, les sœurs Lemoine et Jeanne-Élisabeth maniaient un langage subtil destiné à des initiés. »
Un langage qui ajoute encore à la qualité de leurs œuvres, pour la première fois rassemblées, alors qu’elles étaient toutes dispersées dans des musées ou des collections privées, et pour certaines rarement montrées. Je déclare vivre de mon art est une exposition à savourer en découvrant l’histoire de cette fratrie époustouflante et en décryptant les messages secrets des toiles exposées, qui pour la première fois se répondent et s’enrichissent mutuellement.
Je déclare vivre de mon art, 1789, dans l'atelier des soeurs Lemoine et Chaudet, une exposition à voir au musée Jean-Honoré Fragonard de Grasse (14, rue Jean Ossola) jusqu'au 8 octobre prochain. Entrée libre.