Le gouvernement français a reconnu mercredi des “manquements collectifs” ayant permis des adoptions internationales illicites, après la publication d’un rapport interministériel, jugé “décevant” par les collectifs d’adopté·es, qui attendaient des excuses de l’État.
Un petit pas vers la reconnaissance de la souffrance des personnes victimes des dysfonctionnements de l’adoption internationale ? “Le gouvernement reconnaît qu’il y a eu des manquements collectifs dans la protection due aux enfants et qu’ils ont pu avoir des conséquences jusqu’à leur vie d’adulte”, indique le secrétariat d’État à l’Enfance dans un communiqué, après la remise d’un rapport, mercredi 13 mars, sur les pratiques illicites dans les adoptions internationales, généralement réalisées depuis la Seconde Guerre mondiale à travers des organismes agréés pour l’adoption (OAA), mais aussi via l’adoption directe individuelle dans des circonstances parfois très opaques.
Une mission d’inspection interministérielle (Affaires étrangères, Justice, Enfance), mandatée en novembre 2022, a rendu mercredi un rapport de 118 pages à la ministre chargée de l’Enfance et des Familles, Sarah El Haïry, et au ministre délégué chargé de la Francophonie et des Français·es de l’étranger, Franck Riester. Elle appelle la France à “reconnaître” officiellement et “sans détours” des “carences collectives” et à prendre “en considération” les “conséquences” dommageables pour les adopté·es.
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“L’essor de l’adoption internationale dans un contexte non ou peu régulé s’est accompagné d’importantes dérives”, reconnaissent les inspecteur·rices, qui ont procédé à 179 auditions. L’adoption est devenue “un marché potentiellement très lucratif, suscitant l’émergence de nombreux intermédiaires. Le versement d’importantes sommes d’argent pour faciliter les opérations ou le recueil d’un consentement parental en réalité très peu éclairé, semblent avoir été des pratiques courantes”, ajoutent les auteur·rices du rapport.
"Trafic" et "production" d'enfants
L’adoption a “donné lieu à de véritables trafics fondés sur la falsification de pièces pour rendre un enfant adoptable, la ‘production’ d’enfants pour adoption, le vol d’enfants à la maternité…”, poursuivent-ils·elles. Il est “établi” que “les autorités publiques avaient été précocement alertées et ont tardé à prendre les mesures qui s’imposaient”, observe la mission.
120 000 Français·es ont été adopté·es à l’étranger depuis 1945, selon ce rapport. L’adoption internationale s’est développée à partir des années 1960, avec un pic de 4 079 enfants adoptés en France en 2004, avant de refluer, à mesure qu’elle était encadrée par des traités internationaux et davantage contrôlée, pour s’établir à 232 enfants en 2022.
"intermédiaires douteux"
Mais si la procédure d’adoption internationale est “aujourd’hui organisée du côté français de façon à minimiser les risques”, juge la mission, le rapport évoque néanmoins des “risques nouveaux”, au rang desquels des “simulations de grossesse” et de potentielles dérives autour de la GPA.
Par ailleurs, les personnes adoptées devenues adultes sont nombreuses aujourd’hui à vouloir se reconnecter à leur histoire. Dans ce contexte, la recherche des origines constitue “le défi majeur des années à venir”, prévient la mission, qui observe le “développement d’un nouveau marché de la recherche des origines” où “prospèrent des intermédiaires parfois douteux”. Les inspecteur·rices préconisent de mettre en place “un cadre organisé et sécurisé pour la recherche des origines” : la porte d’entrée pourrait être le “Conseil national pour l’accès aux origines personnelles” (CNAOP), discret organisme gouvernemental existant depuis 2002.
Le rapport recommande en outre “d’engager une réflexion” sur l’usage des tests ADN interdits en France. Les associations d’adopté·es réclament de pouvoir recourir sans tarder, pendant que leurs parents biologiques sont encore vivants, à ces tests, seul moyen de vérifier leur filiation. Parmi les vingt-huit recommandations, la mission recommande enfin de disposer dans chaque pays d’origine d’un “interlocuteur reconnu” pour accompagner les adopté·es partant en quête de leurs origines. Ces dernier·ères disent se trouver livré·es à elles·eux-mêmes, quarannte ans après les faits, sans parler la langue, face à des administrations peu coopératives.
Déception des associations
Le gouvernement demande au Conseil national de l’adoption (CNA) et au CNAOP de “débattre des recommandations formulées” et donner “un avis conjoint, dans un délai de six mois”, indique le communiqué du ministère de l’Enfance.
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Du côté des associations, la communication autour du rapport laisse un goût amer. “La reconnaissance des manquements des autorités et du caractère systémique des pratiques illégales est importante. Mais pour les victimes et ceux qui ne retrouveront jamais leur famille, des excuses publiques étaient attendues”, regrette Céline Breysse, fondatrice du Collectif des adoptés du Sri Lanka. “Nous attendons de voir comment les préconisations seront mises en œuvre et si les collectifs d’adoptés vont y être associés. Il s’agit de trafics d’êtres humains, d’enfants volés, de parents abusés. Pour les milliers de personnes que nous représentons, c’est le combat d’une vie”, a déclaré Marie Marre, fondatrice du Collectif des adoptés français du Mali, qui se dit “déçue” et “indignée”. En 2022, l’ONU avait affirmé que les adoptions illicites pourraient relever de crimes contre l’humanité.