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© Christophe Abramowitz / Radio France

Cyberharcèlement raciste de Nassira El Moaddem : "Ce qui m'est arri­vé n'est rien par rap­port à ce qui va nous arri­ver col­lec­ti­ve­ment", alerte la journaliste

Victime d'une violente campagne de cyberharcèlement raciste initiée et nourrie par le député RN Julien Odoul, la journaliste Nassira El Moaddem a adressé un courrier à la présidente de l'Assemblée Nationale, Yaël Braun-Pivet, resté sans réponse. Un silence qui montre le déni de la société française à l'égard d'une extrême droite toujours plus présente, estime la journaliste.

Causette : La vague de harcèlement que vous avez subie s’est-elle tarie?
Nassira El Moaddem : Oui, ça s’est calmé. De toute façon ça ne pouvait que se calmer parce que c’était un tsunami de message de menaces, donc je crois qu’on ne peut pas faire pire. En tout cas moi je n’avais pas connu ça à ce niveau-là de violence répétée. Mais ça continue. Parce que je suis quand même régulièrement la cible de messages de haine raciste, xénophobe, islamophobe sur les réseaux sociaux. Ce n’est pas une nouveauté pour moi. Là, en revanche, il y a clairement une mécanique industrielle, avec à la fois cette prestation audiovisuelle de ce député du RN Julien Odoul, combiné à ce passage en direct sur la chaîne  d’extrême droite Cnews, puis les autres passages sur CNews et chez Cyril Hanouna. C’est ça qui fait que ça prend autant d’ampleur. D’ailleurs, avant ce passage en direct sur CNews de M. Odoul, le tweet en question faisait l’objet de réponses de certains membres de la fachosphère, mais pas plus que d’habitude.

Diriez-vous que cette vague de harcèlement, par son ampleur et sa violence, marque un tournant?
N. E. M. : Je ne suis pas la première. Les confrères journalistes qui couvrent l’extrême droite et la fachosphère le racontent aussi, ce n’est pas nouveau. En revanche, me concernant, c’est la première fois que ça atteint un tel niveau de violence et de haine. J’ai eu un certain nombre de menaces de mort - pas une ou deux. Je n’ai même pas encore pu tout regarder, c’est ça qui est assez dingue - et là je parle uniquement des messages privés. Mais encore une fois, c’est lié à la mécanique des médias Bolloré.

Vous envisagez de porter plainte?
N. E. M. : Avec les avocats, on est en train d’étudier les messages. Malheureusement, on est obligé de cibler, parce qu’il y en a tellement…. En réalité, quasiment tous ceux que j’ai reçus - je ne compte évidemment pas les messages de soutien, qui sont nombreux mais qui représentent une goutte d’eau dans l’océan de haine que j’ai reçu - sont des messages délictueux, il n’y a pas de doute là-dessus. C’est “sale bougnoule, rentre chez toi”, “sale pute de musulmane, rentre en Afghanistan”, jusqu’à “on va venir t’égorger chez toi, fais attention à ta famille”. Le constat que je fais, qui est vraiment terrible, c’est qu’on en est à devoir cibler les plus graves, c’est-à-dire ceux qui sont menaçants et peuvent potentiellement attenter à ma vie ou à celle de ma famille. Alors que tous ces gens devraient répondre de leurs propos. C’est là où il y aurait, à mon avis, quelque chose à réformer dans les procédures. Car la responsabilité nous incombe à nous, victimes, de faire le tri - ce qui nous prend du temps, de l’énergie et de l’argent. C’est un énorme boulot de tout lire. Et j’estime que ce n’est pas aux victimes d’avoir ce poids-là à gérer. 

Qu’en est-il de l’impact psychologique ? 
N. E. M. : Ce qui est sûr, c’est que ça a un impact sur la vie au quotidien, on ne peut pas faire fi de ce qu’on reçoit, surtout quand il y a des menaces de mort. Je ne suis pas toute seule, j’ai une famille, donc ça implique un certain nombre de choses. Maintenant, je suis une personnalité exposée, je suis journaliste et on sait malheureusement qu’à un moment ou à un autre, on va être confronté à ça. Ma particularité, c’est que je suis une femme, en plus  d’origine immigrée, maghrébine, musulmane. Donc c’est terrible à dire, mais je sais que ça fait partie de mon quotidien. C’est un très gros poids, dont j’aimerais volontiers me départir. Après, j’ai le cuir solide. Évidemment que ça touche, mais ça ne m’atteint pas car je sais que, dans le fond, si ce que je dis suscite autant de réactions, c’est qu’il y a une grande part de vérité. Et c’est ça qui dérange.

Le 7 mai, vous avez écrit à Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée Nationale, et Jordan Bardella, président du RN, au sujet du harcèlement initié et nourri par le député Julien Odoul. Qu’attendiez-vous de leur part ? 
N. E. M. : D’abord les informer des propos tenus, réitérés, et des insultes racistes proférées par Julien Odoul. Je peux comprendre que, quand on est présidente de l'Assemblée Nationale, on n'a pas forcément le nez sur les réseaux sociaux ni, j'espère, sur CNews. Donc j'avais besoin de leur expliquer que ce député, en plus d'avoir eu les propos racistes qui sont les siens sur une chaîne nationale en me demandant de quitter mon pays, répétait son harcèlement à mon égard. Et que la question du harcèlement, qui plus est à l'égard d'une journaliste, et encore plus à l’égard d’une journaliste française d'origine marocaine comme moi, ce n'est pas acceptable. Il m'apparaît important que les responsables politiques de ce député soient a minima informés et, au mieux, puissent lui rappeler les règles de bonne conduite en tant que député. Qu’ils fassent un rappel à la loi condamnant le harcèlement raciste et, en plus de ça, qu’ils puissent rappeler que mettre en danger la vie d'une journaliste dans une démocratie comme la nôtre, ce n'est absolument pas acceptable.

Vous n'avez pas eu de réponse à votre courrier. Comment analysez-vous ce silence ?
N. E. M. : C'est un silence qui, pour moi, est à l'image de la manière dont, collectivement, nous gérons la place de l'extrême droite dans la société française, c'est à dire dans le déni ou la complaisance. Soit ils refusent de voir le poids que l'extrême droite représente et son influence dans le débat public, soit ils l'accompagnent, comme nous l'avons vu, avec le vote de la loi immigration, qui est une victoire politique sans précédent pour l'extrême droite. Je pense aussi très régulièrement à cet ancien rugbyman international argentin, Federico Martín Aramburu, qui a été assassiné par deux militants d'extrême droite en plein Paris, boulevard Saint-Germain, en mars 2022. Comment expliquer qu'il n'y ait pas eu de déclaration officielle en haut lieu condamnant l'assassinat d'un homme par des militants d'extrême droite ultra violents, déjà condamnés par la justice et sous contrôle judiciaire au moment des faits ?
Alors, évidemment, je ne mets pas les deux événements sur le même plan, loin s’en faut. Aujourd'hui, on tombe sur une journaliste qui pointe du doigt le racisme profond qui gangrène notre société, pourtant démontré depuis des décennies par de nombreux experts. Tout comme nous nous accommodons du rassemblement néofasciste du comité du 9 mai, qui se déroule tous les ans à Paris, avec des personnes cagoulées qui font des saluts nazis, qui ont des tatouages fascistes, racistes et qui se pavanent dans la capitale. Ça fait froid dans le dos. Si j'ai voulu interpeller la présidente de l'Assemblée Nationale c’est aussi parce que je crois que ce qui m'est arrivé n'est rien par rapport à ce qui va nous arriver collectivement si nous laissons l'extrême droite et ses idées prospérer. 

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