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© Illustration Emmanuel Polanco pour Causette

Violences conju­gales : la parole comme thérapie

Le 25 novembre, c’est la Journée pour l’élimination de la vio­lence à l’égard des femmes. L’un des moyens de lutte contre ce fléau est la prise en charge thé­ra­peu­tique des auteurs de vio­lences conju­gales. À Tours, des psy­cho­logues s’efforcent de les faire sor­tir du déni pour qu’ils ne répètent plus leurs comportements. 

C’est une petite salle aux vitres opaques, non loin de la gare de Tours (Indre-​et-​Loire). De l’extérieur, on dis­tingue seule­ment quelques sil­houettes. Une dizaine d’hommes sont assis autour d’Emmanuelle Doineau et Julie Bonhommet, les psy­cho­logues du ser­vice d’Accueil thé­ra­peu­tique pour hommes bat­tants (Athoba) de l’association Entraide et Solidarités.
Sur le tableau, des phrases ins­crites en cou­leur sont sou­mises aux par­ti­ci­pants : « Quand on s’engueule, elle me suit par­tout dans la mai­son, je finis par la bous­cu­ler pour qu’elle me laisse tran­quille. » « Violence phy­sique », com­mente l’un d’eux. « Mais, si elle le har­cèle, à un moment il faut arrê­ter », s’emporte un autre. « Elle veut des réponses », explique Emmanuelle Doineau. « On s’engueule, d’accord, mais si elle me cherche, elle me trouve. Une fois, je l’ai balan­cée sur le cana­pé », pour­suit le jeune homme à qui la phrase évoque visi­ble­ment sa situa­tion per­son­nelle. « Et ce n’est pas de la vio­lence ? » inter­roge posé­ment la pro­fes­sion­nelle. « Si, mais c’est une juste réponse à ce qu’elle fait », assène-​t-​il. Un troi­sième inter­vient : « Ce n’est pas une réponse pro­por­tion­née. Il y a peut-​être moyen de désa­mor­cer autre­ment. »
Amener les auteurs à par­ler pour qu’ils mesurent leur vio­lence et faire en sorte qu’ils ne répètent plus ces com­por­te­ments, tel est l’objectif d’Athoba. « Pour qu’il n’y ait plus de vic­times de vio­lences conju­gales, il faut éra­di­quer les auteurs. On ne va pas les flin­guer ! Donc, fai­sons en sorte que les hommes ne soient plus des auteurs », tem­pête Véronique Livéra, la cheffe du ser­vice, der­rière ses lunettes vio­lettes. C’est dans cet esprit qu’elle a répon­du ban­co à la pro­po­si­tion de Nadine Lorin, délé­guée dépar­te­men­tale aux droits des femmes, de mettre en place ce dis­po­si­tif de suivi.

“Des pros de la manipulation”

Depuis 2008, une cin­quan­taine d’hommes sont accom­pa­gnés chaque année. 77 % y sont contraints par la jus­tice. Les autres sont « volon­taires ». « Mon amie m’a orien­té ici. C’était une condi­tion pour conti­nuer ensemble », admet Jonathan *, un arti­san de 32 ans, qui s’est mon­tré violent psy­cho­lo­gi­que­ment et ver­ba­le­ment et fré­quente le ser­vice depuis un an et demi.
Chaque patient fait l’objet d’une éva­lua­tion, puis signe un contrat de res­pon­sa­bi­li­sa­tion par lequel il s’engage à renon­cer à toute forme de vio­lence. Mais lorsque débute leur sui­vi, en séance indi­vi­duelle ou col­lec­tive, la plu­part n’en sont pas moins dans le déni. « Ce sont sou­vent des pros de la mani­pu­la­tion. Notre tra­vail est de repé­rer toutes leurs ten­ta­tives de mini­mi­sa­tion, de bana­li­sa­tion et de poin­ter la vio­lence. On est tou­jours dans le rap­pel à la loi », pré­cise Julie Bonhommet. Les ame­ner à che­mi­ner est tout sauf facile. « Ils font sou­vent preuve d’une grande rigi­di­té de pen­sée, ont des dis­cours très sté­réo­ty­pés et des per­son­na­li­tés égo­cen­trées. Beaucoup ont du mal à ima­gi­ner ce que la vic­time peut res­sen­tir », sou­ligne Emmanuelle Doineau.
Au sein du groupe, où se mêlent des hommes de toutes ori­gines socio­pro­fes­sion­nelles, même les plus tai­seux résistent dif­fi­ci­le­ment à l’envie de don­ner leur avis. « Au départ, je ne me sen­tais pas à ma place. Et puis, à un moment, je me suis iden­ti­fié à un gars et j’étais content de venir échan­ger », raconte Youri *. Voilà plus de quatre ans que cet infor­ma­ti­cien par­ti­cipe aux séances. « J’ai agres­sé mon ex-​compagne. Nous étions sépa­rés mais vivions sous le même toit depuis plu­sieurs mois. C’était une situa­tion mal­saine et explo­sive. Je l’ai vio­lée », explique-​t-​il sans détour.
Le groupe per­met des échanges fruc­tueux entre ceux qui com­mencent tout juste leur sui­vi et les plus anciens. « Le retour des autres per­met de se remettre en ques­tion. On ne le reçoit pas de la même façon quand c’est un autre gars qui dit : “Tu peux pas réagir comme ça, pense à ta femme, à tes gamins.” Et si le groupe ne pro­pose pas de solu­tions, les psy­cho­logues le font », sou­ligne Youri. À l’aide de textes, d’images, elles font naître les débats sur des ‑thé­ma­tiques variées comme le couple, le cycle de la vio­lence, les sté­réo­types hommes-​femmes, la paren­ta­li­té et les réper­cus­sions des vio­lences conju­gales sur les enfants. L’une des règles est de par­ler pour soi et de ses propres com­por­te­ments.
En mon­trant un cylindre colo­ré où figurent la colère, la tris­tesse, la peur et la joie, Jonathan raconte : « On com­mence avec cette roue des émo­tions par dire com­ment on se sent et pour­quoi. » L’exercice est moins simple qu’il n’y paraît. « Beaucoup d’auteurs n’ont pas appris à mettre de mots sur leurs émo­tions. Certains ne savent même pas recon­naître quand ils sont en colère », révèle Emmanuelle Doineau. « Quand je suis arri­vé, mes émo­tions étaient dans ma poche, avec un mou­choir des­sus. Pire, je les confon­dais : j’ai pris pour de l’amour ce qui n’en était pas. C’est mal­heu­reu­se­ment ici, à plus de 40 ans, que j’ai appris à gérer la colère, la frus­tra­tion et com­pris que ces émo­tions néga­tives, si on ne fait rien, rem­plissent une mar­mite qui finit par explo­ser », confirme Youri.

“Se repro­gram­mer”

Ceux qui acceptent de témoi­gner ont déjà avan­cé dans leur prise de conscience. Mais cela prend du temps. Le sui­vi dure en moyenne deux ans et, chaque année, Véronique Livéra peine à réunir les 60 000 euros néces­saires au fonc­tion­ne­ment du ser­vice. Les patients paient une par­ti­ci­pa­tion sym­bo­lique de 30 euros par mois, voire moins selon leurs res­sources. Le reste pro­vient, pour l’essentiel, de sub­ven­tions, qui se tarissent. Pourtant, les thé­ra­peutes voient leurs patients évo­luer. Certains arrivent à envi­sa­ger le céli­bat, qui, aupa­ra­vant, les angois­sait. D’autres ont assi­mi­lé les méca­nismes à com­battre. « Il s’agit de repé­rer à par­tir de quel moment nous ris­quons de pas­ser à l’acte. Il faut essayer d’anticiper et se dire : “Je suis en train de mettre la cocotte sur le feu.” On repère ce moment-​là et il faut alors faire autre chose que mettre une gifle. En quelque sorte, se dépro­gram­mer, puis se repro­gram­mer autre­ment », résume Alain *, un qua­dra­gé­naire sui­vi trois ans à Athoba après avoir bat­tu sa femme à plu­sieurs reprises.
De son côté, Jonathan estime que son sui­vi a chan­gé les choses non seule­ment dans sa rela­tion de couple, mais aus­si avec ses filles ou ses amis. « Pour eux, je suis pas­sé de la brute, à qui per­sonne n’osait dire les choses, au hip­pie, dit-​il avec le sou­rire tout en res­tant lucide. Je sais que la clé, c’est de ne pas réagir sur le coup de l’émotion. Ça paraît simple, mais il y a encore du bou­lot », recon­naît le tren­te­naire. « Rien n’est jamais acquis », confirme Emmanuelle Doineau. Toutefois, d’après l’association, 80 % des patients ayant été sui­vis n’ont pas réité­ré leurs com­por­te­ments vio­lents. Malgré ces résul­tats, seule une tren­taine de centres comme celui-​ci existe en France.

* Les pré­noms des par­ti­ci­pants ont été modifiés.

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