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© Andreas Meixensperger / Wikimedia Commons

Lassée de voir son art pillé, la chan­teuse FKA Twigs reprend le pou­voir sur l’intelligence arti­fi­cielle et crée sa propre deepfake

La chan­teuse et dan­seuse anglaise FKA Twigs s’est inquié­tée, fin avril, des dérives de l’intelligence arti­fi­cielle devant le Sénat amé­ri­cain, appe­lant à mettre en place une légis­la­tion pour pro­té­ger le tra­vail des artistes. Elle a éga­le­ment révé­lé avoir pro­duit son propre double numé­rique pour reprendre le pou­voir sur les nou­velles tech­no­lo­gies, selon ses propres règles.

“Twigs” (brin­dille, en fran­çais), le sur­nom que la chan­teuse Tahliah Debrett Barnett s’est réap­pro­prié pour créer son nom de scène FKA Twigs, s’affiche impri­mé en lettres noires sur une feuille blanche dans une petite salle du Sénat amé­ri­cain. L’artiste anglaise était invi­tée, ce mar­di 30 avril, devant une sous-​commission judi­ciaire de la chambre haute du Congrès amé­ri­cain, qui planche sur une nou­velle légis­la­tion sur la pro­prié­té intel­lec­tuelle. Dans sa ligne de mire, l’intelligence arti­fi­cielle (IA), qui cham­boule depuis plu­sieurs mois l’industrie musi­cale avec de fausses chan­sons, pour cer­taines bluf­fantes, repro­dui­sant trait pour trait la voix d’une star de la musique. De quoi ouvrir la porte à de nom­breuses dérives.

“J’ai pas­sé toute ma vie immer­gée dans les arts. Ma mère était dan­seuse et mon beau-​père un fan invé­té­ré de jazz et de théâtre. Ils ont sacri­fié beau­coup de choses pour que je puisse prendre des leçons de bal­let, de chant et de jeu”, a racon­té la talen­tueuse inter­prète aux sénateur·rices, avant de rap­pe­ler avoir connu le suc­cès cri­tique et public avec sa musique, depuis son pre­mier album LP1, sor­ti en 2014, reçu une nomi­na­tion aux Grammy Awards en 2020 et fait récem­ment ses pre­miers pas au sein de la pres­ti­gieuse com­pa­gnie de danse amé­ri­caine Martha Graham Dance Company.

“Ma musique, mes qua­li­tés de dan­seuse, mon jeu, la manière dont mon corps bouge devant une camé­ra et celle dont ma voix résonne à tra­vers un micro… Rien n’est dû au hasard : il s’agit des réflexions essen­tielles sur qui je suis. Mon art est la toile sur laquelle je peins mon iden­ti­té et la base de mes moyens de sub­sis­tance. On touche à l’essence de mon être. Pourtant, tout cela est mena­cé. Si l’IA ne peut pas repro­duire les pro­fon­deurs de mon exis­tence, ceux qui s’en servent ont néan­moins le pou­voir de mimer un sem­blant de mon art, de copier et fal­si­fier mon iden­ti­té et ma pro­prié­té intel­lec­tuelle. Les pro­prié­tés de l’IA menacent de réécrire et de défaire toute mon exis­tence”, craint-​elle, appe­lant à mettre en place une légis­la­tion “pour pro­té­ger notre authen­ti­ci­té et empê­cher un détour­ne­ment de nos droits inalié­nables” avant qu’il ne soit trop tard.

Reprendre le pou­voir sur l'IA

De LP1 à son der­nier pro­jet, la mix­tape Caprisongs, sor­tie en 2022, FKA Twigs a tou­jours réus­si à tra­cer son che­min en dehors des cadres de l’industrie musi­cale, pro­dui­sant des chan­sons expé­ri­men­tales et futu­ristes lor­gnant du côté de la pop, de l’électro et du r’n’b. Ses clips et ses per­for­mances, où la danse a tou­jours une part pré­pon­dé­rante, lui ont per­mis d’explorer dif­fé­rents ter­rains, comme la pole dance, pour le très beau mor­ceau Cellophane, ou le manie­ment de l’épée, pour le titre Sad Day.

Il n’est donc pas éton­nant que devant les dan­gers que peut repré­sen­ter l’intelligence arti­fi­cielle, l’artiste de 36 ans ait aus­si déci­dé d’avoir un coup d’avance. Pour ne pas se lais­ser voler impu­né­ment son art par celles et ceux maniant l’IA, la chan­teuse et dan­seuse a déci­dé de l’utiliser à son tour, selon ses propres règles. Cette der­nière année, elle a déve­lop­pé une deep­fake, un ava­tar d’elle-même, bap­ti­sée AI Twigs, qui se com­porte comme elle et peut par­ler dif­fé­rentes langues avec le ton exact de sa voix. “Je vais me ser­vir d’AI Twigs plus tard en 2024 pour m’occuper de mes inter­ac­tions sur les réseaux sociaux afin que je puisse tra­vailler sur mon art dans le confort d’un stu­dio d’enregistrement”, a‑t-​elle expli­qué. Une idée qui rap­pelle celle de l’influenceuse amé­ri­caine Caryn Marjorie. Cette der­nière s’est asso­ciée en 2023 avec une start-​up pour créer un chat­bot, un robot repro­dui­sant sa per­son­na­li­té et sa voix, avec lequel ses fans peuvent dis­cu­ter à tra­vers une messagerie.

Pour FKA Twigs, “les tech­no­lo­gies émer­gentes repré­sentent des outils de grande valeur, à la fois sur un plan artis­tique et sur un plan com­mer­cial, seule­ment quand elles sont sous le contrôle des artistes”. Selon elle, l’histoire a mon­tré que dans les moments de grandes avan­cées tech­no­lo­giques, les per­sonnes tra­vaillant dans le domaine des arts ont été les pre­mières à voir leur tra­vail exploi­té de manière frau­du­leuse. “Le grand public, sou­vent plus vul­né­rable, est ensuite à la mer­ci de cette exploi­ta­tion de l’image et de la voix. En pro­té­geant les artistes, nous pro­té­geons aus­si un enfant de cinq ans, pour ne pas que son iden­ti­té et sa voix soient uti­li­sés dans le futur sans son consen­te­ment ou sans com­pen­sa­tion finan­cière”, a‑t-​elle conclu. Une uti­li­sa­tion mal­veillante de l’IA, sou­vent au détri­ment des femmes, pour les dénu­der ou créer des images à carac­tère sexuel, est déjà en cours. Espérons que le cri d’alerte de la talen­tueuse artiste et son trait de génie pour reprendre le contrôle sur la tech­no­lo­gie ne res­tent pas lettre morte.

À lire aus­si I Les “deep­fakes” de Taylor Swift relancent le débat sur les tra­vers de l’intelligence artificielle

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