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© Mika Baumeister / Unsplash

Directive euro­péenne sur la défi­ni­tion du viol : Amnesty International et le Planning fami­lial jouent leur va-​tout pour faire bou­ger la France

Alors que les négo­cia­tions euro­péennes en ce qui concerne la direc­tive euro­péenne sur les vio­lences faites aux femmes se ter­minent bien­tôt, notre pays refuse tou­jours de l'approuver en rai­son d'une dis­po­si­tion fai­sant entrer l'absence de consen­te­ment dans la défi­ni­tion juri­dique du viol. Les deux asso­cia­tions se mobi­lisent une der­nière fois pour ten­ter de le convaincre.

C’est une posi­tion ico­no­claste et incom­pré­hen­sible pour beau­coup que campe la France depuis bien­tôt presque deux ans face aux ins­ti­tu­tions euro­péennes sur la ques­tion de la défi­ni­tion du viol. Dans le cadre d'une direc­tive por­tant sur les vio­lences faites aux femmes, l'Union euro­péenne entend, entre autres, nive­ler par le haut les dif­fé­rents droits des Etats membres, afin que l'absence de consen­te­ment intègre la notion juri­dique de viol.

La France – comme l’Allemagne ou encore la Hongrie – s’y refuse, arguant que l’Union euro­péenne n’a pas de com­pé­tence en la matière pour légi­fé­rer . Alors que le temps presse avec la fin des négo­cia­tions sur le sujet, Amnesty International et le Planning fami­lial lancent un nou­vel appel au gou­ver­ne­ment fran­çais pour “être à la hau­teur de ses ambi­tions en matière de lutte contre les vio­lences fon­dées sur le genre” et ces­ser de blo­quer la direc­tive. Entretien avec Lola Schulmann, res­pon­sable du plai­doyer pour les droits des femmes à Amnesty.

Causette : Amnesty International France et le Planning fami­lial se sont asso­ciés, le 18 jan­vier, pour inter­pel­ler le pré­sident de la République et le garde des Sceaux à pro­pos de leur refus de faire abou­tir la direc­tive euro­péenne sur les vio­lences faites aux femmes. Pourquoi main­te­nant et avez-​vous obte­nu une réponse ?
Lola Schulmann : Nous n’avons pour l’instant aucune réponse. Nous avons déci­dé de remettre une forme de pres­sion vis-​à-​vis du gou­ver­ne­ment fran­çais parce qu’on arrive dans les der­niers jours des négo­cia­tions en tri­logue (Conseil, Commission et Parlement) concer­nant cette direc­tive. Elles prennent fin offi­ciel­le­ment début février, en rai­son des élec­tions pré­vues en juin. Tout se joue donc main­te­nant, car le Conseil euro­péen est actuel­le­ment pré­si­dé par la Belgique, pays favo­rable à la direc­tive. À par­tir de juillet et jusqu’en décembre pro­chain, la pré­si­dence tour­nante du Conseil revien­dra à la Hongrie qui, comme la France, est oppo­sée à cette direc­tive. On sait que pour le gou­ver­ne­ment conser­va­teur hon­grois, la défense des droits des femmes ne sera pas du tout une prio­ri­té. Le temps presse, donc, pour lever ces blocages. 

Pour déblo­quer la situa­tion au niveau du Conseil, il ne faut pas une una­ni­mi­té des États membres mais seule­ment une majo­ri­té. Va-​t-​on y arri­ver sans la France ?
L.S. : Avec l’arrivée d’un gou­ver­ne­ment pro­gres­siste en Pologne en octobre, la Pologne a chan­gé sa posi­tion et se montre désor­mais favo­rable à la direc­tive. Mais plu­sieurs autres États, à l’instar de la France et de la Hongrie, bloquent encore : l’Allemagne, les Pays-​Bas, la République tchèque, la Bulgarie, Malte et la Slovaquie. On voit donc bien que faire chan­ger la France peut être capi­tal, d’autant que tous les regards sont tour­nés vers notre pays, qui se targue d’être un cham­pion des droits des femmes. S’il change d’avis, il peut entraî­ner d’autres pays, dont l’Allemagne.

Pourquoi tant de réti­cences fran­çaises ?
L.S. : L’argument offi­ciel, c’est que l’Union euro­péenne sor­ti­rait de son champ de com­pé­tences en légi­fé­rant sur une défi­ni­tion com­mune du viol. Mais il a été démon­té par les ana­lyses juri­diques qui montrent que cette défi­ni­tion com­mune du viol peut être asso­ciée à celle de l’exploitation sexuelle qui, elle, est une com­pé­tence euro­péenne.
Donc en creux, la pro­blé­ma­tique, c’est plu­tôt que la France elle-​même n’a pas une défi­ni­tion du viol basée sur le consen­te­ment. En ce sens, elle contre­vient à la Convention d’Istanbul, qu’elle a pour­tant rati­fiée, mais qui n’a pas de carac­tère obli­ga­toire. Au contraire, cette direc­tive euro­péenne obli­ge­rait notre pays à modi­fier sa loi. Et s’aligner sur de nom­breux pays euro­péens qui ont déjà inté­gré l’absence de consen­te­ment à leur défi­ni­tion du viol : l’Espagne, le Luxembourg, Chypre, la Grèce, le Danemark, la Suède, l’Irlande, la Croatie, la Slovénie… 

Que dit ce retard de notre pays par rap­port à ses voi­sins ?
L.S. : Notre défi­ni­tion actuelle du viol néces­site de prou­ver la menace, la contrainte, la sur­prise ou la vio­lence.En refu­sant d’intégrer l’absence de consen­te­ment dans sa loi, la France refuse de prendre en compte les situa­tions qui ne rentrent pas dans ces cases-​là, notam­ment les très nom­breux cas où la vic­time est dans un état de sidé­ration.

Comment inter­pré­ter la posi­tion de la France dans un contexte d'élections euro­péennes immi­nentes ?
L.S. : C’est déso­lant, car cette direc­tive, qui est une for­mi­dable oppor­tu­ni­té pour la pro­tec­tion des filles et des femmes en Europe, est l’occasion de mon­trer à tous nos conci­toyens ce que fait l’Union euro­péenne et ce qu’elle peut appor­ter sur la ques­tion des droits. La France envoie un mes­sage mal­heu­reu­se­ment extrê­me­ment néga­tif en ayant cette posi­tion, alors même que ce texte pour­rait être le sym­bole de ce que peut être l’Europe.

Lire aus­si l Définition du viol fon­dée sur l'absence de consen­te­ment : pour­quoi l'UE peine à se mettre d'accord

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