Alors que les négociations européennes en ce qui concerne la directive européenne sur les violences faites aux femmes se terminent bientôt, notre pays refuse toujours de l'approuver en raison d'une disposition faisant entrer l'absence de consentement dans la définition juridique du viol. Les deux associations se mobilisent une dernière fois pour tenter de le convaincre.
C’est une position iconoclaste et incompréhensible pour beaucoup que campe la France depuis bientôt presque deux ans face aux institutions européennes sur la question de la définition du viol. Dans le cadre d'une directive portant sur les violences faites aux femmes, l'Union européenne entend, entre autres, niveler par le haut les différents droits des Etats membres, afin que l'absence de consentement intègre la notion juridique de viol.
La France – comme l’Allemagne ou encore la Hongrie – s’y refuse, arguant que l’Union européenne n’a pas de compétence en la matière pour légiférer . Alors que le temps presse avec la fin des négociations sur le sujet, Amnesty International et le Planning familial lancent un nouvel appel au gouvernement français pour “être à la hauteur de ses ambitions en matière de lutte contre les violences fondées sur le genre” et cesser de bloquer la directive. Entretien avec Lola Schulmann, responsable du plaidoyer pour les droits des femmes à Amnesty.
Causette : Amnesty International France et le Planning familial se sont associés, le 18 janvier, pour interpeller le président de la République et le garde des Sceaux à propos de leur refus de faire aboutir la directive européenne sur les violences faites aux femmes. Pourquoi maintenant et avez-vous obtenu une réponse ?
Lola Schulmann : Nous n’avons pour l’instant aucune réponse. Nous avons décidé de remettre une forme de pression vis-à-vis du gouvernement français parce qu’on arrive dans les derniers jours des négociations en trilogue (Conseil, Commission et Parlement) concernant cette directive. Elles prennent fin officiellement début février, en raison des élections prévues en juin. Tout se joue donc maintenant, car le Conseil européen est actuellement présidé par la Belgique, pays favorable à la directive. À partir de juillet et jusqu’en décembre prochain, la présidence tournante du Conseil reviendra à la Hongrie qui, comme la France, est opposée à cette directive. On sait que pour le gouvernement conservateur hongrois, la défense des droits des femmes ne sera pas du tout une priorité. Le temps presse, donc, pour lever ces blocages.
Pour débloquer la situation au niveau du Conseil, il ne faut pas une unanimité des États membres mais seulement une majorité. Va-t-on y arriver sans la France ?
L.S. : Avec l’arrivée d’un gouvernement progressiste en Pologne en octobre, la Pologne a changé sa position et se montre désormais favorable à la directive. Mais plusieurs autres États, à l’instar de la France et de la Hongrie, bloquent encore : l’Allemagne, les Pays-Bas, la République tchèque, la Bulgarie, Malte et la Slovaquie. On voit donc bien que faire changer la France peut être capital, d’autant que tous les regards sont tournés vers notre pays, qui se targue d’être un champion des droits des femmes. S’il change d’avis, il peut entraîner d’autres pays, dont l’Allemagne.
Pourquoi tant de réticences françaises ?
L.S. : L’argument officiel, c’est que l’Union européenne sortirait de son champ de compétences en légiférant sur une définition commune du viol. Mais il a été démonté par les analyses juridiques qui montrent que cette définition commune du viol peut être associée à celle de l’exploitation sexuelle qui, elle, est une compétence européenne.
Donc en creux, la problématique, c’est plutôt que la France elle-même n’a pas une définition du viol basée sur le consentement. En ce sens, elle contrevient à la Convention d’Istanbul, qu’elle a pourtant ratifiée, mais qui n’a pas de caractère obligatoire. Au contraire, cette directive européenne obligerait notre pays à modifier sa loi. Et s’aligner sur de nombreux pays européens qui ont déjà intégré l’absence de consentement à leur définition du viol : l’Espagne, le Luxembourg, Chypre, la Grèce, le Danemark, la Suède, l’Irlande, la Croatie, la Slovénie…
Que dit ce retard de notre pays par rapport à ses voisins ?
L.S. : Notre définition actuelle du viol nécessite de prouver la menace, la contrainte, la surprise ou la violence.En refusant d’intégrer l’absence de consentement dans sa loi, la France refuse de prendre en compte les situations qui ne rentrent pas dans ces cases-là, notamment les très nombreux cas où la victime est dans un état de sidération.
Comment interpréter la position de la France dans un contexte d'élections européennes imminentes ?
L.S. : C’est désolant, car cette directive, qui est une formidable opportunité pour la protection des filles et des femmes en Europe, est l’occasion de montrer à tous nos concitoyens ce que fait l’Union européenne et ce qu’elle peut apporter sur la question des droits. La France envoie un message malheureusement extrêmement négatif en ayant cette position, alors même que ce texte pourrait être le symbole de ce que peut être l’Europe.
Lire aussi l Définition du viol fondée sur l'absence de consentement : pourquoi l'UE peine à se mettre d'accord