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Conférence de presse, avec Gisèle Halimi à droite: présentation des candidates de "Choisir" aux élections © Janine Niepce

"Choisir", le mou­ve­ment fémi­niste qui s'est pré­sen­té aux légis­la­tives de 1978

En 1978, le mouvement féministe Choisir présente 44 candidates aux élections législatives, dont Gisèle Halimi, une de ses cofondatrices. Cette initiative inédite, placée sous le signe de l’audace, de l’autodétermination et de la sororité, est restée un marqueur dans la lutte pour les droits des femmes.

Assise dans son fauteuil orange, Monique Petit saisit le carnet noir qui lui servait d’agenda en 1978. À l’entrée du mois de février, les pages sont abondamment garnies de lieux et d’heures de rendez-vous, de réunions politiques et de placardage d’affiches à venir ici ou là : « Les élections législatives ont eu lieu le [12 et, ndlr] 19 mars 1978. On a commencé la campagne en janvier. Le week-end, j’étais à Paris pour les réunions avec les autres candidates et ça n’a pas arrêté jusqu’aux élections. C’était de la folie ! » raconte l’ancienne médecin dans son appartement parisien du XVIe arrondissement. 

Il fallait sans doute un peu de folie, ou au moins une certaine prise de distance avec la raison, pour se lancer dans un tel projet. Monique Petit, Martine Portnoé, Renée Dupraz Wormser et quarante et une autres femmes, avec leurs suppléantes, ont mené la première campagne électorale féministe de l’histoire de France en se présentant aux élections législatives de 1978. Leur candidature, au slogan « 100 femmes pour les femmes », est portée par l’association féministe Choisir cofondée par Gisèle Halimi, elle-même candidate dans le XVe arrondissement de Paris. Cette expérience, unique en France, vient alors combler un manque de propositions politiques pour l’égalité et vise à donner la parole aux femmes. 

Appel à candidates par courrier

Pour ces aspirantes à la députation, l’aventure électorale commence dès janvier 1978, sous le signe de la joie militante et de la sororité. Les membres du bureau de Choisir, dont faisaient partie Martine Portnoé et Renée Dupraz Wormser, démarrent une grande opération de recrutement : « On avait plusieurs milliers d’adhérentes. Ça ne suffisait pas. On a rédigé un courrier dans lequel on les incitait à se présenter. On a ensuite reçu et formé les femmes qui souhaitaient être candidates, explique Martine Portnoé, qui se présentait à Paris, dans le IIIe arrondissement. Ça a grincé dans certaines chaumières… Pensez ! Il y avait abandon de poste à la maison, au bénéfice de la rédaction des professions de foi, de la recherche de circonscriptions. On en passe et des meilleures », se souvient Renée Dupraz Wormser, secrétaire nationale de Choisir et candidate au Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis).

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Gisèle Halimi pendant sa campagne dans le XVe arrondissement de Paris, le 26 février 1978 © Janine Niepce / Roger Viollet

La liste « 100 femmes pour les femmes » parvient à ­réunir suffisamment de postulantes pour assurer leur participation au scrutin dans quarante-quatre circonscriptions. Très vite, elles reçoivent le soutien d’artistes qui prennent part au financement de la campagne – l’écrivaine Françoise Sagan, la chanteuse Juliette Gréco et la dessinatrice Claire Bretécher, qui leur envoie un chèque, un dessin et un mot : « Voilà un peu de ‘“fraîche” pour la campagne des gamines (…) Vous êtes le seul réconfort de ces élections lamentables ! » Dans son numéro de février 1978, le magazine de l’association relaie l’appel aux dons : « Nous avons BESOIN D’ARGENT : chaque candidature représente un investissement d’environ un million de centimes, soit pour les soixante candidates que nous espérons soutenir, la somme considérable de 60 millions de centimes1 ! » L’appel est entendu et les contributions affluent. Renée Dupraz Wormser se rappelle : « Je me souviens d’une militante qui nous avait envoyé 5 francs de Wallis-et-Futuna, c’est vous dire ! »

Elles s’attellent ensemble à la rédaction du Programme commun des femmes2, publié chez Grasset le 8 février 1978, dans lequel elles détaillent une série de mesures concrètes pour améliorer la condition des femmes. « Nous étions soixante-quinze à écrire le programme commun des femmes. Je travaillais dans le paramédical, je me suis donc occupée du domaine de l’éducation sexuelle. Chacune a écrit en fonction de son domaine d’expertise », se remémore Martine Portnoé. Lorsqu’on le lit aujourd’hui, son actualité saute aux yeux : proposition de garantie pour le paiement des pensions alimentaires, renforcement des lois sur l’égalité des rémunérations hommes-femmes, représentation proportionnelle aux élections… des suggestions qui ont inspiré les pratiques politiques des décennies suivantes.

Succès des réunions publiques

Sur le terrain, la hardiesse des candidates n’a pas de limite. Elles ne s’attendent pas à gagner, mais il est hors de question de se cantonner à de la figuration. Chaque jour sont organisées des distributions de tracts dans les marchés et des collages d’affiches. Les meetings politiques ont lieu sous les préaux des écoles, ou s’improvisent partout où ils peuvent se tenir. 

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© Janine Niepce / Roger Viollet

Les médias sont au rendez-vous. Le 7 février 1978, le journal Libération titre : « Les femmes vont-elles changer le monde ou les élections ? » et les citoyen·nes sont intrigué·es par ce déferlement de femmes qui rebattent les cartes du jeu politique : « Le succès d’affluence des réunions de Choisir est, sans conteste, la surprise de ces législatives. 2 500 personnes à Toulouse, au Palais des sports, 600 à Montpellier… parfois en plein milieu de l’après-midi ! » écrit Gisèle Halimi dans ses Mémoires3.

Le courage ne leur manque pas, même lorsqu’il faut se confronter aux insultes sexistes. Les affiches des candidates sont recouvertes par des « Salopes » et autresinsultes rageuses. Le combat pour l’avortement, mené par les membres de ­l’association, reste en travers de la gorge de certain·es ­défenseur·euses de l’ordre patriarcal. 

Du côté des politiques, les réactions épidermiques pleuvent. Exaspérés, les partis de gauche, majoritai­rement, considèrent que les agitatrices de Choisir leur volent des voix qui leur reviendraient de droit. Les partis socialiste et communiste évoquent dans un communiqué « la ­responsabilité de Choisir dans l’échec éventuel de la gauche » et le « danger de la ­ghettoïsation des femmes ». 

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Faible score mais coup d’éclat

Sans surprise, le soir du 12 mars 1978, les candidates obtiennent un score de 1,45 % du suffrage national et sont toutes éli­minées dès le premier tour. Néanmoins, elles ont incarné la promesse nouvelle de campagnes électorales sans ­compromis ni vils calculs. Leur initiative a également démontré le pouvoir d’autodétermination des femmes et le poids de leurs revendications. Là encore, les militantes de Choisir étaient en avance. « Quand des femmes et des hommes de partis politiques parlent aujourd’hui de démocratie participative, n’est-ce pas cela que nous avions déjà créé en 1978 : écouter toutes les femmes, échanger – une démocratie par l’écoute, par le partage », analyse Martine Portnoé. 

Gisèle Halimi s’interroge à l’époque : l’éligibilité des femmes est-elle un mythe ? Si aujourd’hui, les écrits féministes se multiplient et si les manifestations du 8 mars, Journée des droits des femmes, n’ont jamais attiré autant de monde, aucune femme n’a pourtant été élue, à ce jour, présidente de la République française. U 

1. À la suite de la réforme monétaire de 1960 (1 franc = 100 anciens francs),
il était courant de s’exprimer en centimes pour se faire comprendre des plus âgé·es (en plus de gonfler un peu le message, bien entendu). 

2. Le Programme commun des femmes, de Gisèle Halimi. Éd. Grasset, 1978, disponible sur commande.

3. Une embellie perdue, de Gisèle Halimi. Éd. Gallimard, 1995.  

  1. À la suite de la réforme monétaire de 1960 (1 franc = 100 anciens francs), il était courant de s’exprimer en centimes pour se faire comprendre des plus âgé·es (en plus de gonfler un peu le message, bien entendu).[]
  2. Le Programme commun des femmes, de Gisèle Halimi. Éd. Grasset, 1978, disponible sur commande.[]
  3. Une embellie perdue, de Gisèle Halimi. Éd. Gallimard, 1995.[]
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