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Détail du compte Kirtzono © Capture d'écran Instagram

Sur Instagram, judaïsme et fémi­nisme font bon ménage

Ils fourmillent sur Instagram depuis près d’un an, ces comptes qui aspirent à réconcilier féminisme et judaïsme. Incarnées par des collectifs ou des instagrameuses solo, entre contenu militant et pédagogique, ces pages visent à déconstruire l’idée selon laquelle religion et progressisme sont incompatibles et veulent mettre en valeur le féminisme intersectionnel.

Depuis janvier 2020, Shira tient sur Instagram son journal de bord : Kirtzono, un compte de vulgarisation féministe destiné à une audience juive ultraorthodoxe. On y trouve des dessins, des photos d’ouvrages comme celui de Pauline Harmange, Moi les hommes, je les déteste (Seuil). Comme son public, Shira a grandi dans un milieu ultrareligieux. À 28 ans, elle travaille dans la communication, élève deux enfants, se couvre les genoux, les coudes et se coiffe d’une perruque, mange casher et respecte rigoureusement le shabbat. « J’avais l’impression d’être dans une case qui n’existait pas, se souvient-elle alors qu’elle découvre les lectures féministes. Comme quand on dit aux femmes musulmanes qu’elles ne peuvent pas se couvrir la tête et être féministes. » La tradition de la tsniout (se couvrir la tête, les genoux et les coudes « par pudeur ») relève plutôt, pour Shira, de « l’habitude » que de l’injonction. « J’ai vu ma mère le faire, elle a vu la sienne le faire. Mais, si je me couvre aujourd’hui les cheveux, je ne le fais pas par rapport à un homme. Je le fais parce que je veux conserver cette affiliation, pour moi. La preuve : je porte une perruque naturelle qui ressemble fort à ma chevelure. Je ne me demande pas si mes cheveux vont exciter un homme, et d’ailleurs on n’y voit que du feu. »

Un équilibre que certaines femmes orthodoxes ne semblent pas avoir trouvé : parmi les followeuses de Shira, elles sont nombreuses à lui confier avoir cessé de se couvrir le corps tant c’était inconciliable avec leurs valeurs. Shira poursuit : « C'est crucial de déculpabiliser sur l'idée que des hommes puissent fauter à cause de notre corps : si un homme faute, ce ne sera pas parce qu'il a vu mes genoux ou mes cheveux... Ce sera à cause de lui. D’un autre côté, on m’a toujours dit que, pour être une bonne juive, je devais être une bonne épouse. » Des injonctions qui ne lui convenaient pas : « On est toutes méritantes et capables de faire autre chose que de s’occuper de la maison. Est-ce vraiment Dieu qui attend ça de nous ? » Si la jeune femme a vu sa mère en faire autant, elle est désormais à la recherche de nouvelles représentations.

Alors elle a créé Kirtzono (« selon sa volonté », en hébreu, un pied-de-nez à une bénédiction juive, ndlr), un espace de réflexion personnelle. Son déclic féministe est arrivé avec la naissance de sa fille aînée et de nombreuses lectures sur la parentalité et le post-partum. « Je me suis demandé comment lier le féminisme à une tradition millénaire et forcément patriarcale, sachant que je n’ai pas envie de m’en défaire. La religion n’est pas antifemmes, c’est juste qu’on ne leur a pas donné la place de s’exprimer et on peut s’en offusquer. »

« Oh mon dieu. Je viens de réaliser. BIEN SÛR que dieu est une femme. C'est pour ça que l'intégralité de la bible est une succession de citations d'hommes expliquant ce qu'elle a voulu dire. »

Parmi ses 485 followers, nombre de femmes qui refusent d’appeler un chat un chat et de reconnaître les logiques patriarcales. « Elles me conseillent de m’éloigner des personnes “nocives” comme des hommes machos… [rires] Elles ne voient pas le caractère structurel de ce machisme. Moi, je dénonce un système. » D’autres, en revanche, lui confient leur révolution interne. Dans la religion ultraorthodoxe, quand une femme veut utiliser un moyen de contraception, elle doit passer par un rabbin. « Des femmes me racontent avoir repris la pilule sans demander l’avis à qui que ce soit. » Une petite révolution dans le milieu… où l’on vient de loin.

Replacer la femme au cœur de la pratique

L’ambition de changer les représentations dans la religion juive, Tali Fitoussi-Trèves et Myriam Ackermann-Sommer la partagent aussi. En février 2020, elles lancent un groupe français d’études religieuses intensives avec des bourses uniquements accordées aux femmes, qui deviendra ensuite un magazine : Kol-elles (un clin d’œil au Kollel, en hébreu, centre d’étude de la Torah réservé aux hommes).

Les deux instigatrices sont féministes chacune à leur façon : « Tali a rejoint des groupes de colleuses, moi, je suis plutôt un rat de bibliothèque », explique Myriam. Toutes deux se définissent comme « orthodoxes modernes ». « On valorise la pratique religieuse, les rites, la passion pour les textes, mais on travailler à débusquer les résidus du patriarcat », raconte Myriam qui, du haut de ses 24 ans, devrait devenir bientôt la première femme rabin « orthodoxe moderne » en France, un courant situé entre ultra-orthodoxes et libéraux. Avec Kol-elles, elles montrent comment la loi juive se retrouve manipulée pour exclure les femmes : « On passe de “les femmes ne sont pas obligées de réciter telle ou telle prière à table” à “les femmes ont l’interdiction de réciter la prière” », déplore-t-elle. Et, au fur et à mesure que la société se féminise, « on constate une rigidification des rôles et une surenchère : le père en bout de table, la mère à la gestion du foyer ». Réinterpréter les textes anciens, « où tout n’est pas aussi figé », permettrait de décloisonner les clichés.

Sur leur page Instagram, on trouve, par exemple, des posts sur les luttes LGBT, mais aussi du contenu sur ces vieilles interprétations des textes qui maintiennent par exemple les femmes en cuisine. Comme l’idée selon laquelle seul un homme aurait le privilège de « monter à la Torah » à la synagogue et de la toucher, pour en lire des extraits ou encore réciter la prière sur le vin les soirs de shabbat. Dans une autre publication, elles questionnent avec intelligence le stéréotype de la mère juive, anxieuse, névrosée et obsédée par son fils, pour « faire évoluer le statut de ce personnage ». À terme, Kol-elles devrait devenir un espace de coworking et de formations, aux outils du numérique par exemple.

Faire converger les luttes

À l’autre bout du spectre religieux, il y a ces jeunes femmes juives, la trentaine, pour la plupart non-pratiquantes, qui viennent de créer le compte Judéoféminisme. Créé en réaction à la récupération de la Shoah dans les manifestations anti-vaccins en juillet en France, le compte est ainsi nommé parce qu’à terme, elles aspirent aussi à questionner la place des femmes dans le judaïsme.

Pour Laura, 37 ans, autrice et impliquée dans la gestion du compte, il s’agit de tordre le cou aux « clichés des séries Netflix, comme Unorthodox par exemple, où pour être une femme libre il faut enlever sa perruque, ou son voile. Comme si on ne pouvait pas être libérée en étant religieuse. » Par ailleurs, le collectif instagram Judéoféminisme « espère toucher celles et ceux qui ignorent beaucoup du judaïsme mais luttent déjà contre le racisme… en oubliant souvent l’antisémitisme, le petit frère des luttes ».

Laura a grandi dans un milieu assez pratiquant et croyant. Elle a étudié la Torah, puis s’en est détachée : « Je ne crois plus mais je suis extrêmement attachée aux récits. J’ai circoncis mon fils, mais ça n’a rien à voir avec la croyance religieuse. » Elle se définit comme juive de culture et non de culte : c’est le sentiment d’appartenance qui prime sur la pratique rigoriste. Entre elles, elles n’éprouvent aucun problème à se définir comme féministes et juives, mais à la maison, elles sont « étiquetées féministes et chieuses de service ».

À leur grande surprise, l’audience du compte recense plus de personnes non juives que juives. « On a énormément de musulmanes aussi. On s’attendait pas à ça. Les discriminations des autres, ça fait un peu miroir aux tiennes », explique l’autrice. Elle raconte avoir toujours « senti la menace antisémite, mais c’est avec le féminisme qu’[elle] a pris conscience de l’antisémitisme. Je me souviens d’un mec qui m’avait dit "tiens, t’es la première feujette avec qui je couche". Ce sont des oppressions qui se font écho. »

Le constat est le même du côté du collectif Collages Judéités Queer. Le mouvement a rassemblé des jeunes étudiant.es de la vingtaine, juif.ves pratiquant.es ou non d’ailleurs, qui déploraient un manque de visibilité de la lutte antisémite. Pour Alek, membre du groupe de jeunes colleur·euses, « les militants juifs sont toujours là dans les luttes antiracistes mais pour dénoncer l’antisémitisme, il n’y a plus personne. » Le premier collage du collectif est arrivé avec la vague de cyberharcèlement qu’a subie la marseillaise April Benayoum, dauphine de l’édition Miss France 2021 dont le père est israélien. D’autres sessions de collages ont suivi, notamment en soutien à Sarah Halimi, sexagénaire dont la justice n’a pas reconnu le caractère antisémite du meurtre en avril 2017, à qui elles ont tenu à rendre « femmage ».

Finalement, ce qui se joue sur instagram existe déjà dans d’autres communautés : asiatiques, musulmans, afro-féministes. L’enjeu consiste à connecter des identités multiples entre religion, culture et genre… lentement mais sûrement, on peut s’en réjouir.

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