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© Tom Hermans

Salon du livre fémi­niste : annu­la­tions en cas­cade sur fond de ten­sions entre fémi­nistes radi­cales et alliées à la cause trans

Prévu le same­di 23 octobre, un salon du livre fémi­niste pari­sien se pro­po­sait de réunir une tren­taine d'autrices issues de dif­fé­rents cou­rants du fémi­nisme. Mais la pré­sence de Marguerite Stern et Dora Moutot, qui mul­ti­plient les prises de posi­tion excluant les per­sonnes trans des com­bats fémi­nistes, a convain­cu d'autres invi­tées de renon­cer à leur participation.

« Nous nous reti­rons en rai­son de la pré­sence de mili­tantes conser­va­trices oppo­sées au droit des per­sonnes trans. » C'est par ces mots, publiés ce week-​end, que Léane Alestra, membre du col­lec­tif des auteu­rices de l'ouvrage Nos amours radi­cales, annon­çait l'annulation de sa pré­sence et de celle d'autres autrices au salon du livre fémi­niste pré­vu le same­di 23 octobre dans les locaux de la Librairie des femmes à Paris. En cause, les noms de deux invi­tées par­mi les trente pro­gram­mées par la pre­mière édi­tion de ce salon : Marguerite Stern, ex-​Femen et créa­trice du mou­ve­ment des col­lages anti fémi­ni­cides et Dora Moutot, créa­trice du compte Instagram d'éducation à la sexua­li­té @TasJoui. Ces deux femmes, mili­tantes fémi­nistes proches du milieu des fémi­nistes radi­cales (nom­mé TERF pour Trans Exclusionary Radical Feminist par leurs opposant·es1) tiennent régu­liè­re­ment dans leurs prises de parole publiques de vio­lents des pro­pos jugés trans­phobes – trans­pho­bie qui, au même titre que le racisme ou l'homophobie, est punie par la loi.

Dans la fou­lée, Axelle Jah Njiké (qui tient actuel­le­ment la rubrique Au lance-​flamme de notre maga­zine), Hina Hundt, Iris Brey, Klaire fait grr, Louise Mey et Jennifer Padjemi annon­çaient elles aus­si qu'elles refu­saient de par­ti­ci­per à un évé­ne­ment qui asso­ciait leurs noms aux autrices Stern et Moutot. Soit, pour l'heure, sept femmes sur les 25 noms annon­cés. « Comme d'autres, j'ai le sen­ti­ment d'avoir été ins­tru­men­ta­li­sée, raconte Axelle Jah Njiké à Causette. J'ai accep­té l'invitation sans avoir eu connais­sance de la liste com­plète des invi­tées. Et le fait que Marguerite Stern et Dora Moutot aient eu accès avant toutes les autres par­ti­ci­pantes à cette liste com­plète jusqu'à la par­ta­ger sur leurs réseaux avant toute offi­cia­li­sa­tion, me conforte dans cette idée. » En effet, c'est lorsque Dora Moutot dévoile sa par­ti­ci­pa­tion au salon en même temps que la liste des autres invi­tées sur ses réseaux sociaux qu'Axelle Jah Njiké « voit rouge ». 

« Rassembler tous les féminismes »

Après avoir appris ces désis­te­ments, l'autrice Marguerite Stern a choi­si d'axer sur les affron­te­ments répé­tés entre sa per­sonne et les femmes trans : « J’ai désor­mais peur d’aller en mani­fes­ta­tion [fémi­niste, ndlr] car la der­nière fois, j’ai été frap­pée et j’ai pris un œuf dans le visage », tweete-​t-​elle dimanche, avant de mégen­rer, comme à son habi­tude, une femme trans qui avait inter­pe­lé les autres invi­tées du salon sur sa pré­sence : « J’ai aus­si peur d’aller au salon du livre fémi­niste à cause de ce genre d’énergumène. Il a réus­si à faire en sorte que deux par­ti­ci­pantes se retirent. »

Du côté de l'organisation du salon, conçu par le Merci Simone Club éma­nant lui-​même du col­lec­tif Gang du cli­to, on déplore la réac­tion des autrices qui ont annu­lé. « L’idée de ce salon est de ras­sem­bler tous les fémi­nismes, même si ce n’est pas facile », explique à Causette Julia Pietri, fon­da­trice du Gang du cli­to et elle-​même autrice, qui tien­dra un stand au salon. Dans un mail envoyé dimanche à ses invi­tées après les pre­miers désis­te­ments, elle ajoute : « J'ai été un peu opti­miste de pen­ser que je réus­si­rai à repré­sen­ter un fémi­nisme plu­riel sur le salon du livre fémi­niste. Mais je ne perds pas espoir d'y arri­ver un jour. » Pas de quoi convaincre Axelle Jah Njiké, qui rétorque : « Mon fémi­nisme est réel­le­ment plu­riel, c'est-à-dire qu'il inclut les per­sonnes trans, les tra­vailleuses du sexe et les femmes voi­lées [Marguerite Stern et Dora Moutot se posi­tionnent, elles, dans un fémi­nisme abo­li­tion­niste et uni­ver­sa­liste, ndlr]. L'autrice refuse-​t-​elle donc de com­mu­ni­quer avec elles et de se rendre aux mêmes évé­ne­ments ? Non, répond-​t-​elle, mais « dans une mani­fes­ta­tion de ce type, si leur pré­sence n'est pas contre­ba­lan­cée par des autrices trans, telles que Lexie par exemple, il n'y a pas de plu­ra­li­té des voix, mais seule­ment un mes­sage violent envoyé aux per­sonnes trans. » La liste des invi­tées du salon ne com­prend en effet aucune femme trans.

Une autre invi­tée du salon, Giulia Foïs, a lais­sé entendre sur Twitter qu'elle main­te­nait sa pré­sence : « J'ai vu l'info, a‑t-​elle twee­té dimanche à des inter­nautes l'interpelant. Je ne par­tage évi­dem­ment pas l'idée selon laquelle cer­taines femmes le seraient plus que d'autres [un des argu­ments de Marguerite Stern, ndlr]. Mais je pense sur­tout qu'on se flingue, nous toutes, quand on se tire dans les pattes entre nous. »

Devant cet énième épi­sode de ten­sions au sein même de la grande famille fémi­niste, Julia Pietri ne renonce pas à tenir son salon. « Je ne veux pas en dire plus pour ne pas atti­ser les haines, dit-​elle à Causette, mais la liste défi­ni­tive des autrices invi­tées contien­dra bel et bien plus de trente noms, mal­gré les annu­la­tions. » Lundi après-​midi, Marguerite Stern relayait l'annonce d'une nou­velle arri­vée dans le salon : Ksenia Potrapeliouk, autrice du livre Un métier comme un autre, qui se pré­sente comme « un pam­phlet, véri­table tir de mor­tier contre la pros­ti­tu­tion et la socié­té mar­chande ». Comme si, à force de mésen­tente, les sphères fémi­nistes inter­sec­tion­nelle d'un côté et abo­li­tion­niste, uni­ver­sa­liste et maté­ria­liste de l'autre ne pou­vaient que créer des murs étanches entre elles.

Lire aus­si l Militant·es trans ver­sus fémi­nistes radi­cales : his­to­rique d’un ressentiment

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  1. Causette a, dans une pre­mière ver­sion de cet article, uti­li­sé le terme TERF dans son titre. A la demande de Marguerite Stern qui indique à rai­son qu'il est loin d'être neutre, nous l'avons reti­ré[]
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