Repas insuffisants, fournitures rationnées, personnels essorés qui se retrouvent à faire du travail à la chaîne… Dans Le prix du berceau, paru le 8 septembre, les journalistes Mathieu Périsse et Daphné Gastaldi, livrent une enquête saisissante sur la privatisation des crèches et ses conséquences sur nos enfants. Interview.
Causette : Il y a vingt ans, vous le rappelez, les crèches privées n’existaient pas. En 2013, elles représentaient 11% du secteur, et 24% aujourd’hui. Comment expliquer ce développement fulgurant ?
Mathieu Périsse : C'est la rencontre entre un contexte et des décisions politiques. Au début des années 2000, la France était en pénurie structurelle de places en crèches – qui est le mode de garde le plus demandé par les familles. C'est toujours vrai aujourd'hui, mais ça l’était encore plus à l'aune des années 2000. Pendant très longtemps, il y avait trois options : les crèches publiques, les crèches associatives ou, éventuellement, les crèches hospitalières. Il n’existait pas de crèches privées, pour une très bonne raison : ce n'était pas rentable. D’où le fait que, pendant très longtemps, les crèches sont restées complètement en dehors de la sphère marchande.
Mais au début des années 2000, essentiellement sous le mandat de Jacques Chirac – dont le ministre de la famille était, à l'époque, Christian Jacob – les personnels politiques, se sont dit qu’il était temps d’inciter le privé à développer des crèches, pour créer des places en plus, et pallier cette pénurie structurelle. Cela s'est traduit par tout un tas d'incitations : les crèches privées sont devenues éligibles aux aides publiques, elles ont commencé à bénéficier d’incitations fiscales – notamment à l'égard des entreprises qui souhaiteraient réserver des places pour leurs salariés et qui, via ces incitations fiscales, ne payent qu'un quart environ du coût réel d'une[…]