Au XIXe et au XXe siècle, des centaines de jeunes Morvandelles ont quitté leur famille pour aller allaiter des générations de riches héritier·ères. Une élévation sociale certaine, qui a aussi eu son prix.

Elle s’appelle Clémence Bierry. En 1900, cette jeune Morvandelle de 22 ans quitte pour la première fois son petit village bourguignon de Saint-Léger-Vauban pour se rendre à Paris. Elle laisse derrière elle un mari et deux enfants, dont une petite fille d’à peine quelques mois. Les au revoir ont pour Clémence le goût des adieux, la jeune paysanne sait qu’elle ne reverra ni son Morvan ni sa petite famille avant un ou deux ans.
Car Clémence Bierry ne se rend pas à la capitale pour le tourisme, mais pour le grand bureau de recrutement des nourrices. Elle s’apprête à devenir ce qu’on appelle alors « une nourrice sur lieu ». Ce type de domestique consacrée à l’allaitement et aux soins du nouveau-né de la famille qui les emploie est, du XIXe au début du XXe siècle, une main‑d’œuvre très recherchée par l’aristocratie et la haute bourgeoisie. Elle n’a pas de bras à louer, mais le sein à offrir.
Une tripotée de régions pauvres de France ont envoyé leurs jeunes femmes nourrir des générations de petit·es héritier·ères. En pole position, on trouve le massif montagnard du Morvan, niché au cœur de la Bourgogne. Il faut dire que les Morvandelles, en plus d’être proches de la capitale, sont réputées pour leur bonne santé, leur beauté et la qualité de leur lait – Napoléon III en choisira une pour allaiter son fils.
Les « meneur·euses » des bureaux de placement
Comme beaucoup d’entre elles, Clémence a été racolée quelque temps auparavant par les « meneur·euses » des bureaux de placement qui pérégrinent, de hameau en hameau, pour recruter de jeunes mères issues de familles pauvres. Séduites par le salaire et la luxueuse vie qui les attend, ces dernières laissent leur propre nourrisson au pays pour aller allaiter – parfois pendant plusieurs années – les rejetons des têtes couronnées et de la haute bourgeoisie[…]