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Sur la gauche affiche officielle diffusée en Belgique, sur la droite affiche officielle pour la France. © Outplay Distribution

Pourquoi l’affiche du film “Les Tortues” a‑t-​elle été modi­fiée entre la ver­sion belge et la ver­sion française ? 

Sur la pre­mière, deux hommes s’embrassent. Sur la seconde, ils se regardent. L’affiche du film belge, Les Tortues, a subi un coup de polish entre sa ver­sion belge et sa ver­sion fran­çaise. Raison esthé­tique, argu­ment mili­tant ou cen­sure et fri­lo­si­té françaises ?

Sur l’affiche belge, pas de doute pos­sible. Il s’agit de l’histoire d’amour d’un couple gay, les deux hommes au pre­mier plan, un chauve et un roux gri­son­nant, s’embrassant ten­dre­ment. Sur l’affiche fran­çaise, en revanche, moins de cer­ti­tude. Si les deux hommes sont tou­jours là, point de bai­ser mais sim­ple­ment un jeu de regard intense. S’agit-il alors d’une his­toire d’amour ou d’une his­toire d’amitié ? Cette fois, le doute est per­mis. Pourtant, les deux affiches pré­sentent bien le même film, Les Tortues, drame belge du réa­li­sa­teur David Lambert, sor­ti dans les salles fran­çaises le 15 mai der­nier. Le film raconte l’histoire de Thom et Henri, qui après avoir connu les joies du mariage pen­dant trente-​cinq ans, décident de divor­cer. Une his­toire d’amour et de divorce, comme il en existe des mil­lions au ciné­ma, mais ici, les per­son­nages ne sont pas hété­ro­sexuels. Et cela semble avoir pesé dans la balance pour sa sor­tie dans les salles françaises. 

C'est en tout cas la sen­sa­tion de nom­breux inter­nautes après la sor­tie du film. La dif­fé­rence de trai­te­ment entre les deux affiches a rapi­de­ment fait réagir sur les réseaux sociaux. “C’est peut-​être un détail pour vous, mais pour moi, ça veut dire beau­coup de nos deux socié­tés pour­tant voi­sines”, tweete ain­si le for­ma­teur en édu­ca­tion aux médias, Vincent Flibustier, sans don­ner pour autant plus de détails. Sur X tou­jours, le compte mili­tant “Une his­toire LGBT” pose fran­che­ment la ques­tion : “Deux hommes qui s’embrassent, est-​ce tou­jours tabou en France en 2024 ?” Autre inter­ro­ga­tion : le dis­tri­bu­teur fran­çais à l’origine des deux affiches, Outplay Films, est jus­te­ment spé­cia­li­sé depuis quinze ans dans la dis­tri­bu­tion de films LGBTQIA+. Pourquoi, donc, avoir enle­vé ce bai­ser gay qu’on voit encore si peu repré­sen­té pré­ci­sé­ment à l’écran et d’autant moins sur des affiches de films ? 

Raisons tech­niques 

Outplay Films n’a pas tar­dé à répondre dans un com­mu­ni­qué : “Nous avons d’abord créé une affiche mon­trant les deux comé­diens prin­ci­paux s’embrassant, déclare l’équipe. Cette affiche avait pour objec­tif de mar­quer un coup de visi­bi­li­té pour les per­sonnes LGBTQ2+ en cas de sélec­tion du film, tenant compte de leur média­ti­sa­tion, dans des fes­ti­vals de caté­go­rie A tels que Berlin, Cannes, Venise ou encore Toronto. Cependant, mal­gré nos efforts et ses qua­li­tés, le film n’a mal­heu­reu­se­ment pas été rete­nu dans ces sélec­tions pres­ti­gieuses ren­dant la car­rière du film plus com­plexe et donc moins visible.”

Le dis­tri­bu­teur explique aus­si avoir fait face à plu­sieurs retours néga­tifs du milieu du ciné­ma – et notam­ment du ciné­ma LGBTQIA+ – sur l’affiche ini­tiale. Au-​delà du fait que les acteurs jouant Thom et Henri, Olivier Gourmet et Dave Johns, ne seraient pas suf­fi­sam­ment recon­nais­sables sur l’affiche belge, “[sa] com­po­si­tion évo­quait davan­tage les codes d’une comé­die popu­laire, alors que le film Les Tortues est un film d’auteur dra­ma­tique avec des touches de comique”.  Autre retour : “Le bai­ser repré­sen­té cor­res­pond à un moment don­né du film et à un enjeu dra­ma­tique impor­tant, révé­lant ain­si, d’une cer­taine façon, une par­tie de l’intrigue.” Un écueil éga­le­ment sou­le­vé sur X par le com­men­taire d'un inter­naute, se pré­sen­tant par ailleurs comme un mili­tant LGBT, sous le post du compte “Une his­toire LBGT” : [SPOILER] “L’affiche fran­çaise est plus repré­sen­ta­tive du film, ce bai­ser n’intervient qu’à la toute fin, juste avant le géné­rique, et, après tout, un film où ils se font la gueule et finissent par divorcer.”

Attirer un public plus large ? 

Ce serait donc pour des rai­sons tech­niques et com­mer­ciales que le dis­tri­bu­teur a choi­si de gom­mer le bai­ser entre les per­son­nages pour sa sor­tie fran­çaise. “Un jeu de regards plus sub­til et signi­fi­ca­tif entre les deux comé­diens”, jus­ti­fie Outplay Films dans son com­mu­ni­qué. Le dis­tri­bu­teur se défend éga­le­ment de toute invi­si­bi­li­sa­tion des couples LGBTQIA+, comme de toute homo­pho­bie. “Nous défen­dons plus de 200 films, tous à la thé­ma­tique LBGTQ2+, allant du docu­men­taire enga­gé et mili­tant à la fic­tion. Nous invi­tons l’ensemble du public à décou­vrir nos affiches pour se rendre compte de la mise en avant des LGBTQ2+. Nous avons, à de mul­tiples reprises, mis des couples LGBTQ2+ s’embrassant ou par­ta­geant un moment d’intimité sur nos affiches, assure le dis­tri­bu­teur. […] Les accu­sa­tions d’invisibilisation voire d’homophobie ne font donc aucun sens pour Outplay Films, tenant compte de notre tra­vail achar­né pour repré­sen­ter sur le grand et petit écran la diver­si­té de nos sociétés.”

Outplay Films met d’ailleurs en avant que l’affiche fran­çaise per­met­trait au contraire d’attirer un public plus large. “Notre objec­tif n’est pas seule­ment de ‘prê­cher les convain­cus’. Cette seconde ver­sion rend le film plus acces­sible aux pro­gram­ma­tions dans les salles de l’Hexagone et sus­cite l’intérêt d’un public plus large. En décou­vrant le film, ce public pour­ra être sen­si­bi­li­sé à la cause LGBTQ2+ et être tou­ché par cette his­toire d’amour uni­ver­selle, au-​delà de l’image du bai­ser. […] Nous sommes convain­cus que cette approche ren­force l’impact du film et sa diffusion.” 

Il fau­dra attendre les chiffres d’entrées du film pour savoir si cette stra­té­gie aura por­té ses fruits. Reste que les argu­ments du dis­tri­bu­teur sou­lèvent une der­nière ques­tion : pour­quoi faut-​il encore pas­ser par des affiches plus “lisses”, plus consen­suelles et donc moins poli­tiques pour qu’un film rela­tant un amour gay puisse être vu au-​delà d’une sphère mili­tante ? Dans le dos­sier de presse du film, le réa­li­sa­teur, David Lambert, explique : “Les Tortues est le film que j’aurais aimé voir pen­dant mon ado­les­cence, lorsque je cher­chais fré­né­ti­que­ment des modèles et des couples aux­quels je pou­vais m’identifier.” Le réa­li­sa­teur n'a, pour l'heure, pas com­men­té la polé­mique, mais il est cer­tain que pour de nom­breux ado­les­cents gay en France, voir une affiche mon­trant deux hommes s’embrasser aurait eu une saveur par­ti­cu­lière : celle du pro­grès et de l’égalité. 

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