![Lettre à Christophe C., l’amoureux de la presse 1 presse](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/11/presse-682x1024.jpg)
L’Assemblée nationale a adopté, le mardi 24 novembre, la proposition de loi sur la « sécurité globale », notamment l’article 24 qui pénalise la diffusion considérée comme malveillante d’images de policiers ou de gendarmes, tout en maintenant la liberté d’expression citoyenne et journalistique. L’articulation entre ces deux principes – d’un côté, protéger les forces de l’ordre, de l’autre, préserver le droit d’informer – semble inextricable. L’aspect liberticide de la loi a poussé de nombreux·euses Français·es à manifester leur colère auprès de leurs dirigeants.
Pendant ce temps, Christophe Castaner, patron des député·es LREM et ancien ministre de l’Intérieur, a décidé, le week-end dernier dans le Journal du dimanche, de s’adresser aux journalistes sous la forme d’une « lettre d’amour peu usuelle ». De sa plus belle plume, il leur a exprimé toute sa gratitude et son admiration, en leur assurant qu’il tiendrait le bastion de la liberté d’informer, quoi qu’il en coûte. Après la manifestation de samedi contre la loi de sécurité globale, Causette a bien eu envie de répondre à Christophe qui, sous couvert de défendre la liberté de la presse, réglait ses propres comptes moins glorieux.
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« Cher Christophe,
Ici, chez Causette, nous sommes vraiment touché·es et tranquilisé·es par vos mots doux et votre transport amoureux à l’adresse de notre si belle profession. Notre mission de tous les jours ? Oui, c’est informer, et nous voilà bien satisfait·es que vous apaisiez nos craintes de ne pas pouvoir effectuer notre travail correctement.
“À l’heure où l’on peut mourir pour un dessin, nous voulions vous dire, chers journalistes, que nous continuerons à défendre votre liberté d’écrire.” C’est que vous avez un joli coup de crayon quand vous vous faites lyrique. Cette sollicitude nous bouleverse, mais, pardon Christophe, malgré vos effusions, nous restons un tantinet contrarié·es. Particulièrement depuis le 20 novembre, jour sombre de l’examen de la proposition de la loi de “sécurité globale” en première lecture à l’Assemblée. On était un peu colère, donc on est descendu·es dans les rues, samedi, chanter la sérénade sous les fenêtres de La République en marche. Et vous Christophe, de vous targuer de nous avoir compris, nous envoyez grâce au Journal du dimanche, pigeon voyageur, une missive pleine de bons sentiments. Et, on le sait ! Vous n’en êtes pas à votre coup d’essai de correspondance enflammée. En juin dernier, les premiers et heureux destinataires n’étaient autres que les syndicats de policiers, ce qui nous donne l’impression – car on est de nature un peu jalouse – que vous ménagez la chèvre et le chou, ou plutôt, on ose le dire… les poulets et les carott(é)es.
Entre temps, nous avons appris, mardi 24 novembre au soir, que le texte de la discorde a été adopté en première lecture à 388 voix pour et 104 voix contre. Cela dit, il est fort aimable de votre part de nous laisser le loisir de vous “égratigner” avec nos petites pattes de chatons colériques, mais ceux qui portent l’estocade, à priori, sont en face. Munis de nos appareils photo et de nos caméras, armes du délit, on mitraille, mais pour la bonne cause.
Vous avez bien compris, cher Christophe, la cause de nos tourments et de notre embarras. Ce que journalistes et citoyen·nes ont dans le collimateur, c’est bien la condescendante prose de l’article 24, qui, selon votre petit camarade Gérald D., garantira à la fois la liberté de la presse et la sécurité des forces de l’ordre, “traquées et jetées en pâture sur les réseaux sociaux”.
Mais croyez bien que nous ne sommes pas dupes de votre petit manège. En vous autoproclamant preux chevalier et sous couvert de défendre la presse, ne régleriez-vous pas plutôt discrètement vos comptes avec celui qui vous a pris la place ? C’est ce qui se murmure en coulisses en tout cas… Faudrait pas que Gégé réussisse là où vous avez échoué… Mais nous, en bas, on s’en fiche un peu.
Et surtout, on se demande… T’étais où, Christophe, quand on couvrait les manifestations des Gilets jaunes au péril de nos yeux ? T’étais où lors des perquisitions chez nos consœurs et confrères ? T’étais où lundi soir, lorsqu’un journaliste a été violemment molesté par un policier, place de la République, en couvrant la brutale évacuation de personnes migrantes ? T’étais où ? Pas là visiblement. Bon allez, on s’arrête ici parce que ça commence à ressembler à une chanson de Vianney.
Sans rancune, Cricri. On vous serre la main. Enfin, pour certain·es, avec celle qui leur reste…
Allez, bisou.
Causette »