Soirée dégri­sée

109 Cathy Yerle © Marianne Maric
© Marianne Maric

Quand Fiston, 6 ans, m’assène de bon matin : « Maman, aujourd’hui, c’est la jour­née de tes droits ! Tu peux tout faire comme nous, les hommes ! », je réa­lise que j’ai encore du tra­vail pour par­faire l’éducation fémi­niste de mon futur mous­ta­chu. Je lui explique que je peux déjà « tout faire » comme eux, mais il me répond de sa voix de cré­celle : « Vous, les femmes, vous ne pou­vez pas faire pipi debout. » 

Je ne réponds pas « gna gna gna ». Je file sous la douche où, piquée au vif, je pisse d’un jet bien dru, plan­tée sur mes deux jambes poilues. 

Bien déci­dée à prou­ver à fis­ton et à la socié­té tout entière que le genre est une construc­tion, je ne me tar­tine pas de crème hydra­tante anti­rides et je fais car­ré­ment l’impasse sur le maquillage. Je me retrouve dans la cui­sine, désem­pa­rée devant la demi-​heure que je viens de gagner. J’en pro­fite pour englou­tir deux tar­tines bien beur­rées. Dans la voi­ture, vers l’école, le visage nu et le ventre bien ten­du, j’essaie d’expliquer au petit gars les injonc­tions faites aux filles, aux gar­çons. Le gou­jat ne lève même pas les yeux de mon smart­phone, trop occu­pé à déli­vrer une prin­cesse d’un dragon. 

En arri­vant au bou­lot, ma col­lègue Sybille, sur­prise par ma face sans assai­son­ne­ment, me dit, l’air inquiet : « T’as pas bien dor­mi, toi, t’as l’air fati­guée ! » Mais je résiste à l’appel du blush.

En fin de jour­née, Sybille ras­semble toutes les col­lègues pour aller boire des coups et célé­brer nos droits. Ça m’énerve, mais je ne lance aucun débat sur l’utilité de cette célé­bra­tion. Au bar, après la pre­mière pinte, je me sens drô­le­ment déten­due. Sybille dit que je suis moins sexy sans mon rouge à lèvres, mais beau­coup plus rigo­lote. Je com­mande une deuxième pinte. À la fer­me­ture, je choi­sis de ren­trer à pied, seule, dans la nuit, sans peur et la ves­sie bien rem­plie. Trop. Alors, avec une pen­sée aga­cée pour mon reje­ton, je décide de faire pipi debout, der­rière une voi­ture. C’est moins facile que sous la douche. Empêtrée dans mon pan­ta­lon, je bou­sille ma bra­guette et arrose copieu­se­ment ma culotte. Je capi­tule et m’accroupis. 

Je ne sais pas par où elle est arri­vée, elle s’est plan­tée devant moi en m’annonçant qu’elle ne savait pas encore si elle allait me ver­ba­li­ser pour outrage à la pudeur ou pour déver­se­ment de déjec­tions insa­lubres sur la voie publique. J’ai eu beau lui racon­ter le défi de fis­ton, la Journée des droits des femmes, les siècles pas­sés à déra­per sur les trot­toirs en zig­za­guant le long de rivières d’urine mâle, elle est res­tée imper­tur­bable. Elle m’a dit que la « Journée de la femme », c’était fini depuis une heure et qu’en atten­dant la pro­chaine vague fémi­niste – qu’elle espé­rait moins ammo­nia­quée que celle que j’avais lais­sée sur le bitume –, je lui devais 68 euros et que si je n’obtempérais pas, elle m’embarquait au poste en cel­lule de dégrisement. 

Faute de poils au men­ton, je n’ai rien mar­mon­né dans ma barbe, j’ai payé et je me suis enfuie la queue entre les jambes en mau­dis­sant cette jour­née, fis­ton et sa mau­vaise éducation.

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