Militant de la lutte contre le sida, le Dr Kpote intervient depuis une vingtaine d’années dans les lycées et centres d’apprentissage d’Île-de-France comme « animateur de prévention ». Il rencontre des dizaines de jeunes avec lesquel·les il échange sur la sexualité et les conduites addictives. Ce mois-ci, il aborde le sujet de l'homosexualité et des religions.
Période de ramadan oblige, on cause pas mal religion dans nos séances de prévention. Forcément, celle-ci n’étant pas une science exacte, mais une conviction qui relève de l’intime, c’est la fête aux représentations. C’est d’autant plus compliqué que, pour manager les âmes, les religions ont toujours opté pour un fonctionnement ultra pyramidal et patriarcal, fort d’un mode décisionnel descendant. D’ailleurs, tout en haut de l’organigramme, il y a systématiquement un PDG qu’on nommera Dieu pour plus de facilité, qui est toujours représenté comme un vieil homme blanc, pas du genre à traîner au barber du coin. Celui-ci distribue ses directives, objectifs et autres visions d’entreprise via des textes sacrés, qui nécessitent une traduction faite par des mortels choisis entre tous. Tous, et non toutes, car Dieu n’est pas le pape de
l’inclusivité. La transmission de sa foi, c’est l’affaire des N‑1 du Grand Tout, les milliers de directeurs (et une poignée de directrices) qui relaient sa bonne parole auprès des ouvrier·ères du culte : les croyant·es. Une fois mis à la sauce parentale, le dogme arrive aux oreilles des dernier·ères de cordée, les jeunes.
Personnellement, je suis athée, mais j’essaie de rester le plus neutre possible par respect pour les groupes que je rencontre dans toute leur diversité. Ce qui n’est pas toujours chose aisée. Dernièrement, au cours d’une de mes séances de prévention, une jeune fille m’expliquait que, dans sa religion, musulmane en l’occurrence, les homosexuel·les avaient le droit d’en être à condition qu’ils·elles ne « pratiquent » pas. L’homosexualité n’étant pas vraiment une activité sportive, je lui ai demandé d’expliciter. À plusieurs voix, filles et garçons m’ont assuré que les homosexuel·les avaient le droit de vivre, ce qui en soi était plutôt rassurant, mais qu’ils·elles n’avaient pas obtenu celui d’avoir des relations sexuelles. Dans le cas où ces mécréant·es oseraient forniquer, leurs âmes iraient bruler en enfer, sorte de Buffalo Grill dans la ZAC de l’Éternel. En permettant à des personnes d’exister tout en leur interdisant de goûter aux plaisirs de la chair et donc de vivre pleinement leurs relations affectives et sexuelles, ils·elles se montraient peu généreux !
Je leur ai dit que leur discours pouvait s’apparenter à de l’homophobie. La meilleure défense étant l’attaque, ils·elles m’ont taxé d’islamophobe. Pas intersectionnel pour un rond, le groupe plaçait le racisme et l’islamophobie au-dessus de l’homophobie dans la hiérarchie des discriminations. C’était une bonne entame pour aborder le concept de « point de vue situé », autrement dit, le prêche pour sa propre paroisse.
« Monsieur, on n’est pas obligé d’avoir des relations sexuelles pour aimer quelqu’un », a voulu tempérer une jeune fille et prouver un semblant d’empathie pour les gays.
– Évidemment, ai-je rétorqué, d’autant plus qu’hier, c’était la journée de l’asexualité ! Mais il faut que ce soit un vrai choix, pas quelque chose d’imposé ! Votre lecture de la religion empêche les homos de vivre pleinement leurs relations.– Monsieur, vous remettez en cause les textes sacrés ? » a repris une autre fille.
Pour éviter toute confrontation inutile sur les textes, je leur ai demandé s’ils·elles pensaient qu’on pouvait être homosexuel·les et croyant·es. Le groupe était d’accord sur le fait que c’était possible à condition qu’« ils le gardent pour eux » et ne passent pas à l’acte. L’espace de quelques secondes, j’ai revu la banderole « homophobes » déroulée par Act Up en 1999 sur la façade du Palais de Chaillot, à l’arrivée de la manifestation anti-pacs, pour bien signifier à la grande amicale du Boutinisme de quelle idéologie elle relevait. L’ensemble des militant·es pour l’égalité n’ont jamais oublié ces slogans entendus dans les manifs anti-pacs : « Sales pédés, brûlez en enfer » ou « Les pédés au bûcher ». On ne devrait jamais empêcher qui que ce soit d’accéder aux mêmes droits que celles et ceux, fort·es de leurs privilèges, ont déjà. J’ai résumé aux jeunes ce triste moment d’histoire. Ils·elles sont resté·es de marbre. Mais chaud comme une sœur de la Perpétuelle Indulgence distribuant des capotes devant son couvent, je me refusais à lâcher l’affaire.
Pour débloquer la situation, j’ai joué mon joker. J’ai évoqué l’existence d’une association LGBTQI chrétienne, nommée David et Jonathan, fondée en 1972, donc pas née du dernier déluge. Sur son site, dans sa présentation, l’asso entend « lutter
contre toutes les formes de discrimination au sein de la société et fait de l’homophobie religieuse une priorité ». Il y est donc clairement exprimé qu’une homophobie religieuse existe bien et, surtout, perdure. Comme ça n’avait pas l’air de les affecter, j’ai mentionné l’institut Calem, à Marseille, lieu de culte et de formation pour un islam ouvert et progressiste, donc bienveillant avec les personnes LGBTQI.
J’ai bien signifié que, dans une interview donnée à Causette en juin 2021, son imam franco-algérien, Ludovic-Mohamed Zahed, avait expliqué que c’était « le patriarcat et ses mythes virilistes » qui avaient entraîné une « interprétation des textes sacrés qui condamn[ait] l’homosexualité ». Histoire d’enfoncer le clou, j’ai ajouté que l’imam avait reçu le prix Queer Muslim de l’année en 2014 pour son engagement. Sidéré·es, certain·es ont sorti leurs téléphones pour vérifier. Ils·elles venaient de découvrir la religion 3.0, celle d’un Dieu connecté qui aurait maté Sex Education.
Un garçon tenait à avoir mon avis sur Benjamin Ledig, qui avait dansé en crop top dans une église parisienne et lavé ses carreaux avec les pages du Coran. J’avais lu que le jeune homme avait déclaré avoir été violé au Refuge, fondation qui propose hébergement et accompagnement social aux jeunes LGBTQI. Cette information essentielle n’était pas connue des jeunes. Pour moi, dans sa provocation, Benjamin cher- chait sûrement à se faire entendre et il avait probablement plus besoin d’un suivi psy que d’une fatwa. Il me semblait que leur foi et leur religion valaient bien plus qu’un délire sur TikTok. Vu qu’il était midi, je leur ai souhaité un bon courage pour le jeûne du ramadan. Je crois qu’on s’est quitté bon·nes ami·es, même si certain·es, secrètement, avaient bien envie que j’aille me faire voir chez les Grecs.
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