Assa Traoré : « En 2029, les forces de l’ordre ont ran­gé leurs armes de guerre »

Pour les dix ans de Causette, Assa Traoré a accep­té de nous écrire depuis le tur­fu, tel qu’elle l’imagine. Bienvenue en 2029.

98 assa traoré © La Meute Photographie
© La Meute Photographie

Chère Causette,

Treize années ont pas­sé depuis que mon jeune frère Adama est mort entre les mains des forces de l’ordre, pour rien. Pour vous tous, c’était il y a long­temps ; pour moi et ma famille, c’était hier. La jus­tice a fini par recon­naître que les gen­darmes ont choi­si de mettre fin à la vie de mon frère, en l’étouffant du poids de leurs corps, en le lais­sant mou­rir comme un chien sur le bitume de leur gen­dar­me­rie, plu­tôt qu’en lui prê­tant secours en le condui­sant à l’hôpital. Nous nous sommes bat­tus pen­dant plus de dix ans, un com­bat qui a rui­né nos vies, celles de nos mères, celles de nos frères. Nous n’avons rien lâché, nous avons ser­ré les dents, tenu le rap­port de force, rete­nu toutes ces larmes qui cou­laient à l’intérieur de nous, quand mes frères, déjà ron­gés par le drame, ont été jetés der­rière les bar­reaux, pri­vés de leurs femmes, de leurs enfants, de leur liber­té. La jus­tice s’est achar­née sur nous, déter­mi­née à nous faire taire, usant de tous les moyens pour pro­té­ger un sys­tème qui oppres­sait et tuait les jeunes hommes dans les quar­tiers popu­laires. Nous avons su résis­ter en impo­sant la véri­té. Les gen­darmes ont été jugés, et condam­nés. Nous avons été indem­ni­sés, mes frères ont retrou­vé leur vie. 

L’histoire d’Adama, je l’espère aujourd’hui, marque la fin de l’impunité poli­cière. Les pou­voirs publics font de grandes annonces en forme de mea culpa. Ils ont enfin déci­dé de se tour­ner vers l’avenir de notre pays, en offrant à tous ses enfants, y com­pris ceux issus d’une immi­gra­tion désor­mais loin­taine, les moyens de vivre digne­ment. J’attends de voir. Les forces de l’ordre ont ran­gé leurs armes de guerre, on pro­met qu’elles par­cour­ront bien­tôt les rues de nos quar­tiers popu­laires à vélo, à rol­ler, à che­val, comme c’est le cas depuis long­temps dans les centres-​villes, qu’elles seront là pour nous « pro­té­ger », nous « ren­sei­gner », nous appor­ter « sécu­ri­té et tran­quilli­té ». Je fais le pari d’y croire, mais j’encourage les géné­ra­tions à venir à ne jamais bais­ser les bras, à res­ter vigi­lantes. Rien n’est jamais acquis, l’égalité est un com­bat per­ma­nent, la jus­tice est une gageure. Au nom d’Adama, au nom de sa mémoire, res­tons debout pour nos droits. 

Assa Traoré, sœur d’Adama, mort à 24 ans, dans les locaux de la gen­dar­me­rie à la suite de son inter­pel­la­tion dans le Val‑d’Oise. Elle a coécrit avec Geoffroy de Lagasnerie Le Combat Adama, paru chez Stock le 3 avril 2019.

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