Pour les dix ans de Causette, Assa Traoré a accepté de nous écrire depuis le turfu, tel qu’elle l’imagine. Bienvenue en 2029.
![Assa Traoré : «En 2029, les forces de l’ordre ont rangé leurs armes de guerre» 1 98 assa traoré © La Meute Photographie](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/02/98-assa-traoré-©-La-Meute-Photographie-762x1024.jpg)
Chère Causette,
Treize années ont passé depuis que mon jeune frère Adama est mort entre les mains des forces de l’ordre, pour rien. Pour vous tous, c’était il y a longtemps ; pour moi et ma famille, c’était hier. La justice a fini par reconnaître que les gendarmes ont choisi de mettre fin à la vie de mon frère, en l’étouffant du poids de leurs corps, en le laissant mourir comme un chien sur le bitume de leur gendarmerie, plutôt qu’en lui prêtant secours en le conduisant à l’hôpital. Nous nous sommes battus pendant plus de dix ans, un combat qui a ruiné nos vies, celles de nos mères, celles de nos frères. Nous n’avons rien lâché, nous avons serré les dents, tenu le rapport de force, retenu toutes ces larmes qui coulaient à l’intérieur de nous, quand mes frères, déjà rongés par le drame, ont été jetés derrière les barreaux, privés de leurs femmes, de leurs enfants, de leur liberté. La justice s’est acharnée sur nous, déterminée à nous faire taire, usant de tous les moyens pour protéger un système qui oppressait et tuait les jeunes hommes dans les quartiers populaires. Nous avons su résister en imposant la vérité. Les gendarmes ont été jugés, et condamnés. Nous avons été indemnisés, mes frères ont retrouvé leur vie.
L’histoire d’Adama, je l’espère aujourd’hui, marque la fin de l’impunité policière. Les pouvoirs publics font de grandes annonces en forme de mea culpa. Ils ont enfin décidé de se tourner vers l’avenir de notre pays, en offrant à tous ses enfants, y compris ceux issus d’une immigration désormais lointaine, les moyens de vivre dignement. J’attends de voir. Les forces de l’ordre ont rangé leurs armes de guerre, on promet qu’elles parcourront bientôt les rues de nos quartiers populaires à vélo, à roller, à cheval, comme c’est le cas depuis longtemps dans les centres-villes, qu’elles seront là pour nous « protéger », nous « renseigner », nous apporter « sécurité et tranquillité ». Je fais le pari d’y croire, mais j’encourage les générations à venir à ne jamais baisser les bras, à rester vigilantes. Rien n’est jamais acquis, l’égalité est un combat permanent, la justice est une gageure. Au nom d’Adama, au nom de sa mémoire, restons debout pour nos droits.
Assa Traoré, sœur d’Adama, mort à 24 ans, dans les locaux de la gendarmerie à la suite de son interpellation dans le Val‑d’Oise. Elle a coécrit avec Geoffroy de Lagasnerie Le Combat Adama, paru chez Stock le 3 avril 2019.