De plus en plus de réalisatrices investissent le cinéma d’horreur pour porter un message féministe, dans le sillon de Julia Ducournau, palmée d’or en 2021 avec Titane. Une tendance qui, cette année encore à Cannes, se vérifie avec la comédie horrifique de Noémie Merlant et la fable bien gore et bien punk de Coralie Fargeat…
Les Femmes au balcon
Programmé en Séance de minuit – une sélection parallèle qui attire avant tout les oiseaux de nuit et autres fans de "cinéma bis" –, le deuxième long-métrage de Noémie Merlant, Les Femmes au balcon, a d’autant plus fait le buzz sur la Croisette que sa réalisatrice (et coscénariste, et actrice) en a parlé juste avant comme d'"un délire absurde extrêmement jubilatoire". Miam ! Un film en forme de trip assumé, qui se mêle de rassembler trois copines fofolles dans un appartement en surchauffe à Marseille (pour cause de canicule extérieure et de voisin d’en face bien trop sexy), avant de les faire basculer dans une farce sanguinolente et vengeresse pour mieux dénoncer les violences faites aux femmes, ça fait drôlement envie a priori ! Après coup aussi, même si ces Femmes au balcon s’avèrent quand même un peu inégales…
Extrême, cette comédie horrifique l’est assurément en tout cas ! Pour le meilleur : son élan féministe électrise nombre de ses séquences, parfois outrancières, voire tout à fait de mauvais goût, puisque c’est le propre de la série B (gorgée de "scream queens" dénudées et de cadavres encombrants, le tout pimenté de clins d’œil à un cinéma fantastique asiatique hyper coloré), mais sachant aussi être saisissantes de vérité (on pense à une scène glaçante de viol conjugal dans une chambre d’hôtel, sans doute l’une des plus réalistes, donc terrifiantes, jamais montrées dans un film français). Pour le moins bien, également : les trois comédiennes principales, à savoir Souheila Yacoub (la plus spectaculaire), Sanda Codreanu (la moins à l’aise) et Noémie Merlant (elle-même en personne, le trip n’étant jamais loin de l’ego-trip), sont à peu près en roue libre dans les trois rôles principaux. Confondant émancipation grisante et cour de récré un brin épuisante.
Un peu plus resserré (pourtant, l’habile Céline Sciamma cosigne le scénario et coproduit le film), un peu moins didactique, Les Femmes au balcon nous aurait propulsée au 7e ciel, dommage !
The Substance
Seconde réalisatrice française de la compétition, Coralie Fargeat a créé "The" choc rituel du Festival, toujours avide de frissons et de scissions, ce dimanche 19 mai lors des toutes premières projection de The Substance sur la Croisette. Sans doute le film le plus punk de la Sélection officielle ! Le plus organique, aussi…
Estampillé "body horror" (une étiquette qui se passe de traduction, même quand on ne fréquente que de loin le cinéma de David Cronenberg), ce film provocant, rageur ET divertissant explose le male gaze comme rarement en nous plongeant dans une histoire féroce, qui mixe allègrement quête de la jeunesse éternelle, culte du corps, élixir mystérieux, transformations physiques inquiétantes et diktats insupportables… En clair, l’on y suit les affres spectaculaires d’Elizabeth Sparkle, présentatrice star d’une émission d’aérobic, qui apprend du jour au lendemain qu’elle va être remplacée par une candidate plus jeune, sa cinquantaine (pourtant tonique et bien conservée) faisant tache à la télé. Désespérée, elle passe alors commande d’un mystérieux protocole de jouvence à base d’injections appelé "The Substance". Après la piqûre d’activation, voilà qu’Elizabeth se dédouble en une version plus jeune d’elle-même baptisée "Sue", l’idée étant que l’une et l’autre se relaient une semaine sur deux pour mieux se régénérer. Sauf que, très vite, Sue ne va plus jouer le jeu, provoquant, à force de tirer sur la corde, le vieillissement accéléré d’Elizabeth…
Ultrastylé et léché sur la forme, ultraexplicite sur le fond, The Substance frappe fort et l’assume, musique stridente, dialogues hurlés et hectolitres d’hémoglobine à la clé (surtout vers la fin) ! Porté par deux actrices génialement castées (Demi Moore se régénère formidablement, à tout point de vue, dans le rôle d’Elizabeth, tandis que dans celui de Sue, Margaret Qualley confirme combien le beau peut être bizarre…), le film de Coralie Fargeat s’affirme de fait comme une satire du jeunisme effréné en général, et du star-système hollywoodien en particulier. Multipliant les références avec humour, de David Cronenberg à Alfred Hitchcock, de Stanley Kubrick à Gaspar Noé, et de Dorian Gray à The Thing, la réalisatrice forge un style qui n’appartient qu’à elle, à la fois esthétisant (son film comporte peu de dialogues et parle surtout avec ses plans, ses effets, son montage), amusant, et porteur d’un propos féministe acéré. Bien joué !
The Substance, de Coralie Fargeat, en compétition à Cannes, sortie en salle courant 2024. © Metropolitan Film Export.
Les Femmes au balcon, de Noémie Merlant, en Séance spéciale à Cannes, sortie en salle courant 2024. © Tandem Films.