C’est une action de groupe inédite. Des associations françaises et internationales et des avocats assignent l’Etat en justice pour mettre fin à ces discriminations.
« Aujourd’hui est un grand jour », lance Me Antoine Lyon-Caen, l’avocat qui porte l’affaire devant le Conseil d’Etat, ce jeudi matin. Celui-ci représente les six associations qui saisissent la plus haute juridiction administrative française pour mettre fin aux contrôles d’identité au faciès. Parmi elles, trois sont d’envergure internationale : Human Rights Watch, Amnesty International et Open Society Justice Initiative. Les trois autres sont des collectifs locaux : la Maison Communautaire pour un Développement Solidaire (MCDS), Pazapas et Réseau Egalité, Antidiscrimination, Justice Interdisciplinaire (Réaji).
Une procédure inédite
L’action de groupe est une procédure instituée en 2016 qui permet une poursuite collective de victimes d’un même préjudice sans avoir à identifier précisément les individus. La procédure actuelle fait suite à une mise en demeure lancée le 27 janvier envers le premier ministre et les ministres de l’Intérieur et de la Justice. Ces derniers avaient alors quatre mois pour ouvrir la discussion, ou au moins faire valoir leur point de vue sur le sujet. Mais la mise en demeure est restée lettre morte. « C’est un silence qui est vécu comme une véritable condescendance », déplore Me Lyon-Caen.
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Le délai des quatre mois étant largement expiré, les plaignants entrent dans la deuxième phase de l’action de groupe. Ils saisissent le Conseil d’Etat afin qu’il « reconnaisse que les contrôles au faciès généralisés constituent un grave manquement de l’Etat à ses obligations » et qu’il « contraigne les autorités responsables à prendre les mesures utiles pour les faire disparaître », explique l’avocat. Le Conseil d’Etat étant l’instance qui juge de la légalité des politiques publiques nationales, le collectif lui confie la tâche de faire cesser cette pratique discriminatoire.
Des paroles aux actes
« Face à un problème systémique, nous demandons une réponse systémique et pas des mesurettes », affirme Issa Coulibaly, président de Pazapas Belleville. Le militant associatif fait notamment référence à la généralisation des caméras piétons mises en place par Emmanuel Macron ou encore aux matricules RIO portés par les policiers qui sont, selon lui, des mesures insuffisantes. Le Président de la République a déjà lui-même reconnu l’existence de ces contrôles au faciès, notamment lors de son interview pour le média Brut en décembre 2020. De la même manière, un rapport du Défenseur des droits de janvier 2017 avait conclu « qu’un jeune perçu comme arabe ou noir [avait] 20 fois plus de chance d’être contrôlé que le reste de la population ». Pour les six ONG, il est temps de passer des paroles aux actes.
L’Etat a déjà été condamné à plusieurs reprises dans des affaires de contrôles au faciès. En 2015, Me Slim Ben Achour, qui porte également aujourd’hui cette action de groupe, avait porté cette problématique devant les tribunaux et avait obtenu la condamnation de l’Etat pour « faute lourde » par la Cour de Cassation. L’année suivante, cette même juridiction avait affirmé qu’un contrôle basé uniquement sur des caractéristiques physiques – en l’occurence, une couleur de peau – constituait bien une discrimination. Plus récemment, ce 8 juin dernier, l’Etat a de nouveau été condamné pour faute lourde lors des contrôles d'identité jugés discriminatoires de trois lycéens dans une gare parisienne lors d’un voyage scolaire en 2017.
Une fracture de la communauté nationale
Les six associations et leurs représentants demandent donc une réforme complète des contrôles d’identité. L'intérêt de la procédure est qu’elle ne met pas en cause le comportement raciste de certains policiers mais la politique même de l’Etat en la matière. « Pour cela, nous avons accumulé un ensemble de preuves qui montre que c’est systémique, notamment avec des témoignages de policiers qui confirment ces pratiques discriminatoires », explique Sabine Gagnier d’Amnesty International.
Pour Me Slim Ben Achour il y a urgence car il s'agit là d’une « question démocratique et une question d'État de droit ». Les contrôles au faciès « produisent une coupure du lien avec la communauté nationale parce que les jeunes victimes voient clairement une inégalité de traitement entre les citoyens », note Issa Coulibaly. Ces pratiques sont de véritables « cérémonies de dégradation » pour les victimes et « renforcent les préjugés et le racisme dans le reste de la société car les gens finissent par se dire qu’il doit y avoir un problème avec ces communautés si elles se font tout le temps contrôler ».