« J’ai fran­che­ment l’impression que c’est très sur­co­té » : on a par­lé couple, amour et céli­bat avec Ovidie

Année char­gée pour Ovidie : tou­jours aux avant-​postes des nou­velles conquêtes de l’intime, la réa­li­sa­trice et uni­ver­si­taire de 42 ans a dans sa besace plé­thore de pro­jets sur le corps, les sexua­li­tés et les rap­ports amou­reux. Ces der­niers mois, elle a ain­si sor­ti coup sur coup un essai reten­tis­sant, La chair est triste hélas, qui inter­roge sa grève du sexe, mais aus­si des pas­tilles vidéo sur Arte.tv (Libres !, sai­son 2, avec la des­si­na­trice Diglee) et un court-​métrage avec Sophie-​Marie Larrouy (D’autres chats à fouet­ter). Sans oublier une série radio­pho­nique au long cours avec son com­plice Tancrède Ramonet, Qu’est-ce qui pour­rait sau­ver l’amour ?, qui aus­culte les désar­rois amou­reux contem­po­rains. Rencontre chez elle, à Angoulême, autour du désa­mour pour la vie conju­gale. Car entre les femmes et le couple hété­ro, comme un sta­tut Facebook des années 2000, « c’est compliqué ».

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© MARIE ROUGE

Causette : Au tra­vers de docu­men­taires, bandes des­si­nées et pod­casts, vous vous pen­chez depuis plu­sieurs années sur la ques­tion des sexua­li­tés. Depuis quand aviez-​vous envie d’écrire sur l’amour ?

Ovidie : Forcément, quand on tra­vaille sur la ques­tion des sexua­li­tés et des injonc­tions liées à la sexua­li­té, par exten­sion, on tra­vaille aus­si sur le couple, qui reste une struc­ture nucléaire super forte et le modèle domi­nant. C’est cette construc­tion sociale qui m’intéresse. Qu’est-ce que ça raconte de notre socié­té ? Qu’est-ce que ça dit de nous, aus­si ? Après, moi, je ne suis pas du tout dans le truc d’amélioration de la rela­tion, le déve­lop­pe­ment per­son­nel, ça n’a jamais été mon pro­pos. Mais j’étais dans une telle impasse face à la ques­tion de l’amour que la série de France Culture [Qu’est-ce qui pour­rait sau­ver l’amour ?, ndlr] m’a per­mis de tout décor­ti­quer, c’est-à-dire de poser la ques­tion : c’est quoi l’amour ? Parce que, pour moi, la réponse n’est pas évi­dente et après huit épi­sodes, je ne l’ai tou­jours pas. Est ce une pure construc­tion sociale ? Est-​ce qu’il y a une part hor­mo­nale là-​dedans ? On n’a jamais autant ques­tion­né l’intime que depuis #MeToo. Et, de fait, l’amour en fait par­tie. Pour sim­pli­fier, les femmes hété­ros sont dans une remise en ques­tion de tout ça. On a écrit, on a enre­gis­tré, on a fait des pod­casts – je pense aux tra­vaux de Mona Chollet, Victoire Tuaillon, Charlotte Bienaimé… Et tout le monde en est un peu ren­du au même constat. J’ai la sen­sa­tion qu’en face, nos par­te­naires, glo­ba­le­ment, n’en sont pas là et n’ont pas for­cé­ment envie de révo­lu­tion­ner ça ou font beau­coup moins d’efforts pour repen­ser le couple, repen­ser la pro­ve­nance de nos fan­tasmes et repen­ser les sexua­li­tés comme une construc­tion sociale…

Dans La chair est triste hélas, vous dites que l’amour est un méca­nisme que vous ne com­pre­nez pas. Comment ça ?

Ovidie : Je dirais plu­tôt que j’ai beau­coup de mal à le défi­nir, à en cer­ner les contours. D’ailleurs, quand on pose la ques­tion aux gens, il n’y a pas deux per­sonnes qui répon­dront la même chose. Donc, c’est bien que c’est quelque chose qui est com­plè­te­ment flou, pas très bien déli­mi­té, pas très bien défi­ni, qui, glo­ba­le­ment, fait souf­frir aus­si tôt ou tard et qu’on a du mal à remo­de­ler. C’est ce qui va créer des mal­en­ten­dus au sein des rela­tions, car on n’a pas for­cé­ment la même concep­tion de l’amour. Moi, j’avoue que l’amour tel qu’il m’est ven­du et pro­po­sé dans mon envi­ron­ne­ment cultu­rel ne m’intéresse pas. Parce que c’est quelque chose qui m’enferme et que je trouve pro­fon­dé­ment inéga­li­taire. Ce qui m’intéresse, c’est de mettre de l’égalité dans la rela­tion. Or, je trouve que c’est très com­pli­qué, dans l’hétérosexualité, pour les gens de ma géné­ra­tion, de mettre de l’égalité dans la rela­tion. C’est quand même rare.

Lire aus­si l "La Chair est triste hélas", le nou­vel upper­cut d'Ovidie

La fin du couple, est-​ce une inter­ro­ga­tion cyclique ? Comment a‑t-​elle été inves­tie, historiquement ?

Ovidie : La ques­tion de l’amour libre ou de la famille comme micro-​État à abo­lir est une idée que l’on retrouve à la fois chez les anar­chistes indi­vi­dua­listes de la Belle Époque et, après, dans les années 1970. Mais, à mon sens, ces ques­tions sont posées sans suf­fi­sam­ment impli­quer les hommes. J’ai quand même cette sen­sa­tion qu’on reste les grandes « far­cées » de l’histoire à chaque fois, c’est-à-dire qu’eux, ils inter­viennent s’il y a quelque chose à en tirer, mais ils ne sont pas là pour le ser­vice après-​vente. Par exemple, dans les années 1970, j’ai la nette impres­sion qu’ils étaient là pour bai­ser. Mais en fait, bizar­re­ment, ils n’étaient plus là pour tenir la main des femmes quand elles allaient se faire avor­ter aux Pays-​Bas, à l’époque. Donc oui, ces ques­tion­ne­ments sont cycliques. Il y a des remises en ques­tion, mais qui en tire pro­fit, dans cette his­toire ? La vraie nou­veau­té, c’est que j’ai l’impression que là, on est en train de pas­ser un cap où, déjà, l’idée de tous bai­ser ensemble comme dans les années 1970 n’est plus trop d’actualité. Et en plus, on remet en ques­tion ces temps-​ci des sujets qui sont moins « sexy », qui les font un peu plus chier, comme « qui lave les chaus­settes ? ». Et là, tout à coup, on est sur une poli­ti­sa­tion de ce qui se passe au sein du foyer qui ne leur fait pas plai­sir. Ils sont obli­gés de se remettre en ques­tion, même à pro­pos de l’acte péné­tra­tif. Et ils pré­fèrent leurs pri­vi­lèges d’antan.

« C’est extrê­me­ment déva­lo­ri­sant pour une femme d’arrêter la sexua­li­té. Vu que notre pre­mière valeur dans la socié­té, c’est d’être bai­sable, cela déter­mine toute notre valeur sociale »

Entre le XIXe et le XXe siècle, on est pas­sé du modèle du mariage bour­geois, où le couple est une tran­sac­tion finan­cière, au mariage d’amour, qui est, selon vous, une arnaque. Pourquoi ?

Ovidie : À l’époque du mariage bour­geois, au moins, les choses étaient claires : la tran­sac­tion économico-​affective que consti­tue le couple était posée sur la table dès le départ. Je ne dis pas que c’était fan­tas­tique, c’était hor­rible. Sauf qu’aujourd’hui, on n’a pas réel­le­ment réus­si à l’abolir et qu’on obtient une sorte de gros mélange où le mariage bour­geois est res­té et où, en plus, se sont ajou­tées des obli­ga­tions comme la sexua­li­té, qui main­te­nant doit être assu­rée par la com­pagne. Moi, je trouve qu’on s’est vrai­ment fait arna­quer puisqu’en face, il n’y a pas spé­cia­le­ment d’engagement mas­cu­lin dans le couple. On sait très bien qu’in fine, c’est nous qui allons tout gérer, gérer l’éducation des gamins, devoir tra­vailler deux fois plus. Sans comp­ter qu’il va fal­loir qu’on reste des amantes par­faites. C’est le truc de trop. Ça fait quand même beau­coup. Pour, au final, en face, avoir quelqu’un qui ne s’engage pas, parce que l’engagement, « ça fait peur ». Il y a aus­si ce grand men­songe qui consiste à dire que sexua­li­té et amour seraient néces­sai­re­ment cor­ré­lés, alors qu’il y a une décor­ré­la­tion totale des deux. Je pense que ça mène pas mal de couples à la sépa­ra­tion. Au lieu de se poser la ques­tion, « Tiens, qu’est-ce qu’on est en train de construire comme autre forme de rela­tion ? Est-​ce que ce n’est pas encore de l’amour ? Est-​ce que fina­le­ment, le sexe, ce n’est pas un autre pro­blème ? ». On peut bai­ser sans amour et aimer sans bai­ser, en fait, très concrètement.

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Est-​ce que, très tôt, on apprend à surin­ves­tir le couple comme fai­sant par­tie de l’identité féminine ?

Ovidie : En fait, c’est sur­tout pour ça que l’amour, c’est quelque chose que je tiens à mettre à dis­tance. C’est qu’effectivement, on attend un surin­ves­tis­se­ment de notre part dans la rela­tion amou­reuse. On attend qu’on soit les gar­diennes du couple, c’est-à-dire que c’est nous qui avons la mis­sion de faire couple, de main­te­nir ce couple, de ravi­ver la flamme, de boos­ter sa libi­do, d’entretenir le couple. C’est nous qui lisons tous les livres de bien-​être et de déve­lop­pe­ment per­son­nel pour savoir com­ment faire pour que la rela­tion dure éter­nel­le­ment. Je veux dire, eux, ils ne lisent pas ça. Ils n’en ont rien à foutre de tout ça. Notre fonc­tion pre­mière en tant que femme hété­ro dans la socié­té, c’est de faire couple. Si on ne fait pas couple, on a cette espèce de pres­sion, on nous dit : « Alors, t’as ren­con­tré quelqu’un ? » Et on voit bien que dans n’importe quel film, au ciné­ma, dans n’importe quelle série, le but pre­mier de l’héroïne, avant toute chose, la plu­part du temps, ça va être de faire couple. Donc on attend de nous un surin­ves­tis­se­ment qui, moi, ne m’intéresse pas, parce que je n’ai pas le temps pour ça. Moi, j’ai envie de me prio­ri­ser. Ce n’est pas un truc égoïste. C’est plu­tôt ne pas pas­ser en second après les exi­gences de ce qu’est le couple, fina­le­ment. Je parle vrai­ment juste de la liber­té de faire des choix dans sa vie et de prendre des déci­sions. Par exemple, tout à l’heure, je prends l’avion. Il n’y a per­sonne pour me faire la gueule parce que je prends l’avion. Quand on n’a de comptes à rendre à per­sonne, ça ne veut pas juste dire qu’on peut péter dans ses draps. Ça veut dire qu’on peut aus­si faire des choix majeurs et impor­tants pour notre vie, sans avoir quelqu’un der­rière qui va nous réfré­ner ou qui va nous culpabiliser.

Disposer de son temps, ce n’est pas rien…

Ovidie : Exactement. Je ne fais pas la fête, je ne baise pas à tire-​larigot. Je m’en fous de tout ça. Il s’agit plu­tôt de se dire : « Tiens, je vais pou­voir déci­der, par exemple, de m’investir dans tel film. » Je sais qu’un film, c’est deux ans de bou­lot en géné­ral. C’est aus­si se dire qu’on n’aura pas le temps de por­ter de la lin­ge­rie assor­tie et de s’épiler pen­dant cette période. Je trouve ça plus inté­res­sant d’investir mon temps, mon éner­gie là-​dedans, sans me poser la ques­tion « Est-​ce que ça va le châ­trer si je suis plus diplô­mée que lui ? Est-​ce que ça va le châ­trer si je réus­sis mieux que lui ? ». C’est beau­coup d’énergie qui pour­rait être dépen­sée à autre chose.

« 0n attend un surin­ves­tis­se­ment de notre part dans la rela­tion amou­reuse. C’est nous qui avons la mis­sion de faire couple, de main­te­nir ce couple, de ravi­ver la flamme, de boos­ter sa libido… »

Dans le livre, vous par­lez de votre grève du sexe. Comment expliquez-​vous que, col­lec­ti­ve­ment, entre fémi­nistes, c’est quelque chose qu’on n’arrive pas à mettre en place comme moyen de pression ?

Ovidie : Cela a été mis en place au Liberia 1 et l’actrice Alyssa Milano 2 avait ten­té de le faire après #MeToo, mais ça n’avait pas pris. Je pense que si elle essayait aujourd’hui, ça mar­che­rait peut-​être mieux. Ensuite, pour­quoi est-​ce qu’on n’arrive pas à s’organiser là-​dessus ? C’est que c’est extrê­me­ment déva­lo­ri­sant pour une femme d’arrêter la sexua­li­té. Vu que notre pre­mière valeur dans la socié­té, c’est d’être bai­sable, cela déter­mine toute notre valeur sociale. Donc à par­tir du moment où l’on dit « Je ne baise pas », cela veut dire qu’on n’a vrai­ment plus de valeur, on n’a plus aucune place dans la socié­té. Puisque notre pre­mière mis­sion, c’est de faire couple, donc d’être dési­rée par les hommes pour pou­voir faire couple. Et pour pou­voir être dési­rée, il faut s’entretenir, cor­res­pondre à un cer­tain nombre de normes. C’est sans fin. C’est un tra­vail d’une vie entière que d’être une femme et de cor­res­pondre à ces normes-​là. Je pense que c’est com­pli­qué pour pas mal de femmes car il y a cette image de la pauvre fille, de la Catherinette, de celle qui risque de finir toute seule avec ses chats, dont les hommes ne veulent plus. Il y a cette idée que si elle ne baise pas, c’est cer­tai­ne­ment que les hommes ne veulent plus d’elle. Vraiment, il y a cette image de la fille des­sé­chée qui est néces­sai­re­ment aigrie.

Si le céli­bat reste déva­lo­ri­sé socia­le­ment, est-​ce que ce ne serait pas cepen­dant le secret le mieux gar­dé ? Finalement, c’est agréable d’être une vieille fille à chats…

Ovidie : Je pense qu’il faut reva­lo­ri­ser la vieille fille à chats. Je note tout de même que le vieux céli­ba­taire, lui, jouit d’une aura qui est com­plè­te­ment dif­fé­rente des femmes seules. Je trouve que c’est chouette, le céli­bat. D’ailleurs, on me pose sou­vent la ques­tion « Comment tu arrives à faire autant de trucs ? ». Je réponds, le plus sérieu­se­ment du monde et ça fait rica­ner : « Je ne baise pas. » C’est vrai­ment ça, le secret : ça fait gagner un temps dingue. Quand je me dis « J’ai le choix entre faire du mon­tage ou m’épiler la chatte », le choix est quand même super vite fait. Je n’ai jamais été aus­si pro­duc­tive que ces quatre der­nières années. Comme par hasard, ça cor­res­pond à ma grève du sexe. Et je constate qu’être créa­tive ou pro­duire du dis­cours n’est tou­jours pas valo­ri­sé : ce qu’on attend de nous, quand même, c’est d’être des corps avant toute chose. On peut esca­la­der l’Everest à cloche-​pied ou décou­vrir le vac­cin contre le Covid, on reste une céli­ba­taire toute des­sé­chée qui a échoué à séduire les hommes.

« On me pose sou­vent la ques­tion "Comment tu arrives à faire autant de trucs ?" Je réponds, le plus sérieu­se­ment du monde et ça fait rica­ner : "Je ne baise pas." C’est vrai­ment ça, le secret : ça fait gagner un temps dingue »

La socio­logue Isabelle Clair a publié récem­ment une enquête sur les jeunes et l’amour [Les Choses sérieuses, Seuil, 2023] qui montre que, dès le col­lège, le couple hété­ro est per­çu comme une pro­mo­tion sociale. Comment expliquez-​vous qu’en dépit de toutes les cri­tiques, de tous les efforts pour le réin­ven­ter, le couple soit tou­jours aus­si valo­ri­sé et perdure ?

Ovidie : Ça com­mence même avant le col­lège, puisque dès la cour de récré, en mater­nelle ou en pri­maire, il faut avoir son ché­ri, sa ché­rie. Ensuite, c’est entre­te­nu tout sim­ple­ment par l’ensemble de notre envi­ron­ne­ment cultu­rel. Quand on regarde les films et les séries, c’est encore un modèle d’idéal à atteindre. L’amour, c’est le Graal abso­lu. Moi, j’ai fran­che­ment l’impression que c’est très sur­co­té. Pourtant, j’ai déjà été amou­reuse et j’y ai cru, évi­dem­ment. J’ai même cru au mariage, je me suis mariée plu­sieurs fois. Ce truc incon­di­tion­nel, « On s’aimera pour toute la vie, que tu prennes deux kilos, que tu vieillisses, que tu prennes du bide, que tu aies de la cal­vi­tie », j’y ai cru. Pourtant, je ne suis pas amou­reuse de l’amour. L’idée du couple, moi, m’emmerde vrai­ment très vite. Je me suis plu­tôt construite dans l’idée qu’il fal­lait rou­ler pour soi : « Qu’est-ce que je veux faire de ma vie ? Quel tra­vail j’ai envie de faire ? ». L’autonomie finan­cière a tou­jours été très impor­tante pour ne jamais dépendre d’un mec. Ensuite, je dirais que les per­sonnes dont j’ai été amou­reuse sont des per­sonnes que j’aime tou­jours, mais sous d’autres formes aujourd’hui.

Justement, dans Révolution amou­reuse (Sur la table/​Binge Audio, 2021), la fémi­niste espa­gnole Coral Herrera Gomez dit qu’il n’y a pas que l’amour roman­tique dans la vie, qu’il fau­drait décor­ré­ler l’amour du couple et qu’on peut aus­si trou­ver de l’amour dans le col­lec­tif et dans d’autres rela­tions. Ça vous parle ?

Ovidie : C’est très pré­sent dans les rela­tions très fra­ter­nelles que je peux avoir avec les hommes qui m’entourent. Ce que je dis dans le livre, c’est que je n’ai rien contre les hommes, je ne veux juste pas cou­cher avec. On nous a quand même édu­qué à pen­ser que, si on éprouve de l’attachement vis-​à-​vis d’une per­sonne, c’est for­cé­ment qu’on veut niquer avec et faire couple avec. Or, l’amitié homme-​femme est vrai­ment sous-​cotée. D’ailleurs, on dit sou­vent, dans les milieux fémi­nistes, que l’amitié, c’est sous-​coté. Lorsqu’il n’y a pas de rap­port de séduc­tion, ce n’est pas désa­gréable de pas­ser du temps avec les hommes. Ce qui est hor­rible, c’est de faire couple avec eux, c’est bai­ser avec eux, parce que c’est là que toutes les inéga­li­tés remontent. Moi, c’est ça dont je ne veux plus.

Dans À pro­pos d’amour (Divergences, 2022), bell hooks écrit que l’amour est un tra­vail qui s’entretient, que, sur­tout, ça s’apprend et que beau­coup d’hommes n’ont pas appris à aimer…

Ovidie : Déjà, ils n’ont même pas appris à bai­ser. Ou plu­tôt, vrai­ment, pour reprendre ce que dit Virginie Despentes, c’est qu’ils ont été édu­qués à bai­ser tout seuls.

Vous émet­tez des réserves au sujet du poly­amour : est-​ce que l’abandon de la mono­ga­mie se fait trop sou­vent à sens unique ?

Ovidie : Il y a les gens pour qui ça fonc­tionne et je trouve ça très bien pour eux et pour elles. Ce qui me chif­fonne, c’est que sou­vent, dans les rela­tions poly­amou­reuses, il y en a un des deux qui est plus poly­amou­reux que l’autre. Et encore une fois, on retombe dans une forme d’inégalité.

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Est-​ce que vous trou­vez qu’il y a une roman­ti­sa­tion de la sou­mis­sion fémi­nine dans les rap­ports amoureux ?

Ovidie : Je dirais une roman­ti­sa­tion de la mort, c’est-à-dire de la rela­tion amou­reuse qui mène à la mort, avec, à la fin, le sui­cide ou ce qu’on a long­temps appe­lé le drame pas­sion­nel. Depuis le drame roman­tique du XIXe siècle, où on cre­vait tous sur scène par le sui­cide, le poi­son ou l’épée. Moi-​même, j’ai gran­di avec ça en me disant « Oh là là ! Qu’est-ce que c’est beau ! ». En réa­li­té, ce sont des morts qui sont mes­quines, tristes, vio­lentes. Il n’y a rien de beau dans tout ça. Sortir du couple, c’est aus­si se pré­ser­ver d’une cer­taine forme de vio­lence. Et là, il se passe tout de même quelque chose. Il y a aujourd’hui une vraie prise de conscience autour des féminicides.

La socio­logue Natacha Chetcuti (Se dire les­bienne, Payot, 2010), qui a enquê­té en France sur les couples les­biens, montre qu’il existe une socia­bi­li­té amou­reuse assez mécon­nue chez les les­biennes, qui mélange les ex, les conjointes, les amies… Aimer des femmes, c’est une solu­tion au couple hétéro ?

Ovidie : C’est com­pli­qué parce qu’il y en a qui se tournent vers le les­bia­nisme poli­tique et c’est quelque chose que, poten­tiel­le­ment, je peux faire et qui me parle. Mais tout le monde n’en a pas envie. Tout le monde ne peut pas le faire. Ensuite, je ne suis pas cer­taine qu’au sein des rela­tions homos il n’y ait pas aus­si des formes de domi­na­tion, de vio­lence. Je pense que, sta­tis­ti­que­ment, c’est le fait de ne pas être en couple du tout qui pré­serve des vio­lences. Je ne suis pas sûre qu’on puisse aus­si faci­le­ment que ça se libé­rer de la ques­tion de la domi­na­tion au sein de la rela­tion amoureuse.

Comment évoquez-​vous ces sujets avec votre fille adolescente ?

Ovidie : Ce qui est inté­res­sant, c’est que, même en n’étant pas mili­tante, elle est bien plus en avance sur les ques­tions de fémi­nisme, d’antisexisme et de genre qu’on pou­vait l’être, nous, en étant mili­tantes dans les années 1990. Elle m’amène à me ques­tion­ner. Moi, j’ai vache­ment d’espoir pour cette génération-​là. Je pense que c’est mort pour la géné­ra­tion Y, c’est fini. Mais c’est vrai­ment la Gen Z qui va tout bouleverser. 

Lire aus­si l « Amours croi­sées » de Laura Nsafou : « J’ai essayé de faire une bande des­si­née qui nous force à réflé­chir à notre manière d’aimer »

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  1. En 2003, la Libérienne Leymah Gbowee, colau­réate du prix Nobel de la paix 2011, est par­ve­nue à mobi­li­ser ses conci­toyennes pour faire avan­cer les négo­cia­tions de paix dans un pays rava­gé par la guerre civile. Puis elle a orga­ni­sé une grève du sexe afin de récla­mer que les Libériennes soient asso­ciées aux pour­par­lers de paix. []
  2. L’actrice amé­ri­caine Alyssa Milano avait lan­cé, en mai 2019, la grève du sexe pour défendre le droit à l’IVG. L’État de Géorgie venait alors d’adopter une loi extrê­me­ment res­tric­tive sur l’avortement. []
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