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© Nicola Fioravanti

Contrôles au faciès : une plainte dépo­sée contre l’État par un col­lec­tif d’ONG

Six ONG engagent une pro­cé­dure de mise en demeure envers le Premier Ministre et les ministres de l’Intérieur et de la Justice pour mettre fin aux contrôles d’identité dis­cri­mi­na­toires. Une action inédite en France, face à des dis­po­si­tions bien trop timides du gou­ver­ne­ment, dans un contexte de vio­lences poli­cières et accu­sa­tions de racisme dans les forces de l’ordre, notam­ment suite à l’affaire Zecler.

Alors que s’est tenue lun­di 25 jan­vier une réunion à huis-​clos entre le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin et des syn­di­cats de police pour fixer le lan­ce­ment du Beauvau de la sécu­ri­té au 1er février, plu­sieurs ONG font front com­mun pour impo­ser dans cette grande concer­ta­tion consa­crée aux forces de l’ordre la ques­tion des vio­lences poli­cières, et plus pré­ci­sé­ment du contrôle au faciès. Ce mer­cre­di 27 jan­vier, Amnesty International, Human Rights watch, MCDS, Open socie­ty Justice Initiative, Pazapas Belleville et REAJI ont annon­cé une action de groupe à l’encontre du Premier ministre et des ministres de l’Intérieur et de la Justice lors d’une confé­rence de presse com­mune. Soutenues par plu­sieurs avo­cats, les ONG mettent en demeure l’Etat fran­çais, à qui elles laissent quatre mois pour mettre fin aux « contrôles d’identité dis­cri­mi­na­toires » par la police, dont l’existence a été admise par le pré­sident de la République en décembre 2020, lors de son inter­view à Brut.

Maître Antoine Lyon-​Caen, qui a pré­pa­ré la mise en demeure, explique la démarche : « Il faut res­pon­sa­bi­li­ser l’État en pas­sant par un juge, qui adop­te­ra et impo­se­ra des mesures que le gou­ver­ne­ment néglige, et ne prend pas suf­fi­sam­ment en consi­dé­ra­tion. » Bénédicte Jeannerod, qui dirige le bureau pari­sien de Human Rights Watch, com­plète, amère : « Il y a une inac­tion fla­grante de la part des auto­ri­tés, d’où la néces­si­té d’intenter cette action col­lec­tive. Il y a aus­si un sen­ti­ment pro­fond d’exclusion de la socié­té fran­çaise pour les vic­times de ces vio­lences, pour­tant docu­men­tées et dénon­cées. Des plaintes sont dépo­sées, et rien ne bouge. »

Visant pré­ci­sé­ment Jean Castex, Gérald Darmanin et Eric Dupond-​Moretti, la mise en demeure demande aux auto­ri­tés des actions pré­cises : une modi­fi­ca­tion du code de pro­cé­dure pénale pour inter­dire expli­ci­te­ment la dis­cri­mi­na­tion dans les contrôles d'identité, la créa­tion d'un méca­nisme de plainte effi­cace et indé­pen­dant pour celles et ceux qui estiment avoir été discriminé·es lors d’un contrôle et l’octroi d’une preuve de contrôle à toute per­sonne inter­pel­lée – autre­ment appe­lé récé­pis­sé d’identité.

Lire aus­si : Cinéma : « Un pays qui se tient sage », radio­sco­pie des vio­lences policières 

Si Emmanuel Macron a mis en place la géné­ra­li­sa­tion des camé­ras pié­tons en juillet 2020, cela est loin d’être suf­fi­sant. Les cli­vages arrivent à un point de non-​retour dans cer­tains quar­tiers, où les habi­tants et la police sont dans le conflit per­ma­nent. « Il y a un divorce entre une par­tie de la popu­la­tion et la police, constate Maître Lyon-​Caen. Le rôle de pro­tec­tion et de « bien­veillance » si j’ose dire, des forces de l’ordre, est dura­ble­ment rom­pu. » Un rap­port du Défenseur des droits de jan­vier 2017 a conclu « qu’un jeune per­çu comme arabe ou noir a 20 fois plus de chance d’être contrô­lé que le reste de la population. »

Lorsque le chef de l’État s’était expri­mé sur cette frac­ture socié­tale pour le média Brut, il avait recon­nu l’existence des vio­lences poli­cières sans en recon­naitre le carac­tère sys­té­mique. Pour Maître Slim Ben Achour, spé­cia­liste dans la lutte contre le racisme et les dis­cri­mi­na­tions et accom­pa­gnant lui aus­si l’action de groupe des ONG, « il y a un déni géné­ra­li­sé et cultu­rel en France sur les ques­tions de vio­lences dans les forces de l’ordre. » En 2015, l’avocat avait por­té le conten­tieux du contrôle au faciès devant les tri­bu­naux, et fini par obte­nir la condam­na­tion de l’État pour faute lourde et dis­cri­mi­na­tion raciale. Mais la juris­pru­dence ne suf­fit pas, les asso­cia­tions réclament un chan­ge­ment de la loi. « Depuis 10 ans, nous avons tout essayé, constate Me Ben Achour. Il faut main­te­nant se sai­sir du sujet, en termes de har­cè­le­ment dis­cri­mi­na­toire, allier les forces asso­cia­tives et légis­la­tives de façon struc­tu­relle et ces­ser de bana­li­ser la parole raciste, par­fois omni­pré­sente dans le champ média­tique et impunie. »

Ce manque de recon­nais­sance des faits et de prise en charge concrète incite à aller plus loin que des « mesu­rettes » et « à deman­der répa­ra­tions » selon les termes de Lanna Hollo, repré­sen­tante de Open Society Justice Initiatives. « Il faut une adop­tion de mesures struc­tu­relles, une réponse sys­té­mique et com­plète aux vio­lences dans une méca­nisme de trans­pa­rence pour remé­dier aux dérives et abo­lir la sous-​citoyenneté », plaide-​t-​elle.

Lire aus­si : Violences poli­cières, racisme, éco­lo­gie… : les daronnes montent au front

Maître Myriame Matari, avo­cate à Lyon et elle aus­si pré­sente à la confé­rence de presse, pré­cise que le seul moyen d’obtenir répa­ra­tion et pré­ve­nir les dérives à l’avenir est d’agir col­lec­ti­ve­ment. « Un réseau inter­dis­ci­pli­naire comme le nôtre, ras­sem­blant pro­fes­sion­nels du droit et asso­cia­tions, per­met de chan­ger la donne d’un point de vue poli­tique mais aus­si sociologique. »

Le col­lec­tif d’ONG et avo­cats réunis ce mer­cre­di en confé­rence de presse observe avec grand inté­rêt les efforts amé­ri­cains pour lut­ter contre la vio­lence et le racisme des poli­ciers éta­su­niens. Les nom­breuses affaires de meurtres d’hommes noirs par des poli­ciers blancs, et en tout pre­mier lieu l’affaire Floyd, ont ouvert un débat natio­nal que le col­lec­tif espère voir réper­cu­té en France éga­le­ment – bien que, régu­liè­re­ment, les pour­suites à l’encontre des poli­ciers soient aban­don­nées dans ces affaires.

Issa Coulibaly, de l’association Pazapas Belleville, se dit « scep­tique » quant à la pos­si­bi­li­té de se faire entendre d’un gou­ver­ne­ment jusque-​là sourd d’oreille. « Nous appe­lons à un dia­logue avec le gou­ver­ne­ment auquel nous n’avons jusque-​là jamais été invi­tés, ren­ché­rit Omer Mas Capitolin, pré­sident de l’association Maison com­mu­nau­taire pour un déve­lop­pe­ment soli­daire ( MCDS ).  pour autant nous sommes dans une démarche de construc­tion et à l’écoute de tout ce qui pour­rait nous être proposé. »

Cette action en jus­tice, inédite et fai­sant date, n’est qu’un début : après les contrôles au faciès et vio­lences poli­cières, les ONG vou­draient élar­gir le champ des actions et por­ter auprès des auto­ri­tés les ques­tions de dis­cri­mi­na­tions à l’emploi et au logement.

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