Six ONG engagent une procédure de mise en demeure envers le Premier Ministre et les ministres de l’Intérieur et de la Justice pour mettre fin aux contrôles d’identité discriminatoires. Une action inédite en France, face à des dispositions bien trop timides du gouvernement, dans un contexte de violences policières et accusations de racisme dans les forces de l’ordre, notamment suite à l’affaire Zecler.
Alors que s’est tenue lundi 25 janvier une réunion à huis-clos entre le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin et des syndicats de police pour fixer le lancement du Beauvau de la sécurité au 1er février, plusieurs ONG font front commun pour imposer dans cette grande concertation consacrée aux forces de l’ordre la question des violences policières, et plus précisément du contrôle au faciès. Ce mercredi 27 janvier, Amnesty International, Human Rights watch, MCDS, Open society Justice Initiative, Pazapas Belleville et REAJI ont annoncé une action de groupe à l’encontre du Premier ministre et des ministres de l’Intérieur et de la Justice lors d’une conférence de presse commune. Soutenues par plusieurs avocats, les ONG mettent en demeure l’Etat français, à qui elles laissent quatre mois pour mettre fin aux « contrôles d’identité discriminatoires » par la police, dont l’existence a été admise par le président de la République en décembre 2020, lors de son interview à Brut.
Maître Antoine Lyon-Caen, qui a préparé la mise en demeure, explique la démarche : « Il faut responsabiliser l’État en passant par un juge, qui adoptera et imposera des mesures que le gouvernement néglige, et ne prend pas suffisamment en considération. » Bénédicte Jeannerod, qui dirige le bureau parisien de Human Rights Watch, complète, amère : « Il y a une inaction flagrante de la part des autorités, d’où la nécessité d’intenter cette action collective. Il y a aussi un sentiment profond d’exclusion de la société française pour les victimes de ces violences, pourtant documentées et dénoncées. Des plaintes sont déposées, et rien ne bouge. »
Visant précisément Jean Castex, Gérald Darmanin et Eric Dupond-Moretti, la mise en demeure demande aux autorités des actions précises : une modification du code de procédure pénale pour interdire explicitement la discrimination dans les contrôles d'identité, la création d'un mécanisme de plainte efficace et indépendant pour celles et ceux qui estiment avoir été discriminé·es lors d’un contrôle et l’octroi d’une preuve de contrôle à toute personne interpellée – autrement appelé récépissé d’identité.
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Si Emmanuel Macron a mis en place la généralisation des caméras piétons en juillet 2020, cela est loin d’être suffisant. Les clivages arrivent à un point de non-retour dans certains quartiers, où les habitants et la police sont dans le conflit permanent. « Il y a un divorce entre une partie de la population et la police, constate Maître Lyon-Caen. Le rôle de protection et de « bienveillance » si j’ose dire, des forces de l’ordre, est durablement rompu. » Un rapport du Défenseur des droits de janvier 2017 a conclu « qu’un jeune perçu comme arabe ou noir a 20 fois plus de chance d’être contrôlé que le reste de la population. »
Lorsque le chef de l’État s’était exprimé sur cette fracture sociétale pour le média Brut, il avait reconnu l’existence des violences policières sans en reconnaitre le caractère systémique. Pour Maître Slim Ben Achour, spécialiste dans la lutte contre le racisme et les discriminations et accompagnant lui aussi l’action de groupe des ONG, « il y a un déni généralisé et culturel en France sur les questions de violences dans les forces de l’ordre. » En 2015, l’avocat avait porté le contentieux du contrôle au faciès devant les tribunaux, et fini par obtenir la condamnation de l’État pour faute lourde et discrimination raciale. Mais la jurisprudence ne suffit pas, les associations réclament un changement de la loi. « Depuis 10 ans, nous avons tout essayé, constate Me Ben Achour. Il faut maintenant se saisir du sujet, en termes de harcèlement discriminatoire, allier les forces associatives et législatives de façon structurelle et cesser de banaliser la parole raciste, parfois omniprésente dans le champ médiatique et impunie. »
Ce manque de reconnaissance des faits et de prise en charge concrète incite à aller plus loin que des « mesurettes » et « à demander réparations » selon les termes de Lanna Hollo, représentante de Open Society Justice Initiatives. « Il faut une adoption de mesures structurelles, une réponse systémique et complète aux violences dans une mécanisme de transparence pour remédier aux dérives et abolir la sous-citoyenneté », plaide-t-elle.
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Maître Myriame Matari, avocate à Lyon et elle aussi présente à la conférence de presse, précise que le seul moyen d’obtenir réparation et prévenir les dérives à l’avenir est d’agir collectivement. « Un réseau interdisciplinaire comme le nôtre, rassemblant professionnels du droit et associations, permet de changer la donne d’un point de vue politique mais aussi sociologique. »
Le collectif d’ONG et avocats réunis ce mercredi en conférence de presse observe avec grand intérêt les efforts américains pour lutter contre la violence et le racisme des policiers étasuniens. Les nombreuses affaires de meurtres d’hommes noirs par des policiers blancs, et en tout premier lieu l’affaire Floyd, ont ouvert un débat national que le collectif espère voir répercuté en France également – bien que, régulièrement, les poursuites à l’encontre des policiers soient abandonnées dans ces affaires.
Issa Coulibaly, de l’association Pazapas Belleville, se dit « sceptique » quant à la possibilité de se faire entendre d’un gouvernement jusque-là sourd d’oreille. « Nous appelons à un dialogue avec le gouvernement auquel nous n’avons jusque-là jamais été invités, renchérit Omer Mas Capitolin, président de l’association Maison communautaire pour un développement solidaire ( MCDS ). pour autant nous sommes dans une démarche de construction et à l’écoute de tout ce qui pourrait nous être proposé. »
Cette action en justice, inédite et faisant date, n’est qu’un début : après les contrôles au faciès et violences policières, les ONG voudraient élargir le champ des actions et porter auprès des autorités les questions de discriminations à l’emploi et au logement.