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© Camille Besse

La déso­béis­sance, accé­lé­ra­teur de droits humains

Initié au milieu du XIXe siècle, diffusé par Gandhi puis par Martin Luther King, le concept de désobéissance civile, s’il a évolué, a toujours gardé le même fondement. Directrice de recherche en science politique au CNRS, Sylvie Ollitrault revient sur l’histoire et la pratique de ce mouvement social.

Causette : D’où vient le concept de désobéissance civile ?
Sylvie Ollitrault : 
Il remonte au milieu du XIXe siècle. Dans un texte fondateur, l’auteur états-unien Henry David Thoreau a d’abord parlé de résistance civile. Refusant de payer la taxe qui finançait la guerre que les États-Unis livraient au Mexique, Thoreau s’est retrouvé en prison [en 1846, ndlr]. L’auteur a alors développé l’idée que si un citoyen estime une loi injuste, inique ou contraire à sa morale, il est en droit de ne pas l’appliquer, de la contester ou de l’enfreindre. Au gré des publications, la résistance civile est devenue la désobéissance civile. Le contexte général est alors marqué par la lutte contre l’esclavage, les questions raciales et l’égalité des droits entre citoyens.

Quels sont les moments clés de son histoire ?
S. O. : 
Les actes fondateurs de désobéissance civile, en tant que mouvement social qui agrège des revendications de fond, peuvent être datés des années 1910. Thoreau était un philosophe somme toute assez isolé, qui avait peu d’écho dans la société. Le théoricien et praticien qui a véritablement diffusé le concept dans l’opinion publique mondiale, c’est Gandhi. C’est en Afrique du Sud qu’il a fait ses premières armes dans la désobéissance, en se mobilisant contre la discrimination liée au fait d’être indien dans une société très racialisée. Puis Martin Luther King, qui s’est également battu pour des questions raciales, a mené la deuxième grande vague de désobéissance. Mais on oublie souvent les féministes, notamment britanniques, qui se sont revendiquées de la désobéissance civile en allant, par exemple, dans des espaces réservés aux hommes. Les suffragettes étaient dans ce type de mobilisation, certaines ont fait de la prison et ont connu une répression très féroce de la part de l’État anglais. Gandhi y fait d’ailleurs référence dans ses écrits.

De Thoreau à aujourd’hui, la définition de la désobéissance civile est-elle restée la même ?
S. O. : 
La désobéissance civile a irrigué la pensée philosophique et la pratique de contestation. Des intellectuels se sont penchés sur la question et des activistes se sont emparés de ce concept. Il y a donc eu des définitions et des redéfinitions, mais toutes ont un socle commun. C’est l’acte d’un ou de plusieurs citoyens qui enfreignent une loi ou un règlement pour interpeller les États sur des manquements, sur l’indignité ou l’injustice d’une loi. Pour vous donner un exemple concret, une pétition a circulé en septembre au Maroc en soutien à Hajar Raissouni, une journaliste condamnée pour avortement et libérée depuis. Les signataires expliquent qu’elles ont pratiqué l’avortement ou qu’ils et elles connaissent des personnes qui l’ont pratiqué. Soit on conteste une loi, soit on rappelle l’État à l’ordre sur des principes moraux. C’est le fondement de la désobéissance.

Quelles avancées sociales ont permis les grands mouvements ?
S. O. : 
La plupart ont permis aux minorités, aux femmes ou aux populations racialisées notamment, d’obtenir plus de droits : l’ébranlement de l’Empire britannique en Inde, la fin de la ségrégation et l’émancipation des Afro-Américains aux États-Unis, l’obtention du droit de vote pour les femmes au Royaume-Uni et du droit à l’avortement en France… Sur des questions écologiques, on peut citer, en France, le grand mouvement du Larzac, qui s’opposait à l’extension d’un camp militaire, ou la mise sur agenda de la question des OGM grâce aux « faucheurs volontaires ». De manière assez générale, les droits humains et l’égalité entre les groupes sociaux ont souvent progressé dans nos démocraties grâce à la désobéissance civile.

Quid de la désobéissance dans les systèmes non démocratiques ?
S. O. :
 Dans les contextes autoritaires, la désobéissance civile s’assimile à des formes de résistance civile. Des résistances qui ne fonctionnent que par réaction à la répression, en cachant des Juifs pendant l’Occupation par exemple, ou en utilisant l’arme de la non-coopération envers les forces de l’ordre ou l’armée. La désobéissance civile est souvent perçue comme un moteur de démocratisation et de progressisme.

Lorsqu’elle prend la forme de la désobéissance civile, la mobilisation a-t-elle plus de chances d’aboutir ? 
S. O. : 
Disons qu’entre des désobéissants qui sont dans la non-violence et des États qui sont dans la répression, le rapport de force est favorable aux désobéissants. Dans un idéal démocratique, les citoyens ont le droit de s’exprimer et l’État n’a pas à les réprimer. Les désobéissants, qui défendent leurs opinions et leurs valeurs à visage découvert et qui n’ont pas peur de se faire juger pour ça, mettent en lumière l’injustice qui leur est faite lorsqu’ils sont réprimés. Ils emportent l’adhésion de l’opinion publique. C’est la grande force de la désobéissance civile, par rapport à d’autres modes d’action qui utilisent la violence.

Comment a évolué la pratique de contestation ?
S. O. : Les réseaux sociaux ont changé les choses. Leur usage n’a pas modifié la grammaire générale, mais le tempo d’organisation est beaucoup plus resserré, plus « vivant ».  L’organisation devient peut-être aussi moins pyramidale. Les causes des contestations sont également de plus en plus disparates et, fait notable, la désobéissance civile n’est plus forcément dans le camp du progressisme, dans la même dynamique originelle d’égalité des droits. Des groupes antiavortement, par exemple, peuvent se revendiquer de la désobéissance (lire l'article « Les réacs font de la récup »).


Pour aller plus loin
La Désobéissance civilede Sylvie Ollitrault et Graeme Hayes. Éd. Les Presses de Sciences Po/Coll. Contester (2012).

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