Ce mardi, France 5 diffuse le documentaire Viol, défi de justice. Réalisé par Marie Bonhommet, il suit les audiences d’un procès pour viol à la cour criminelle de Nantes. Hautement recommandable.
Un document rare, rendu possible par la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire qui, depuis 2022, autorise les caméras des journalistes au sein des tribunaux. Filmé à la cour criminelle de Nantes – là encore, le cadre est récent, puisque ces cours n’ont été généralisées qu’au début de l’année 2023 – le documentaire Viol, défi de justice suit de bout en bout un procès pour viol pour lequel comparait un jeune homme.
La plaignante, Sarah C., 18 ans à l’époque, accuse Jérôme, guère plus âgé, de l’avoir violée lors d’une soirée chez un ami commun en s’étant fait passer, dans le noir d’une chambre à l’étage où elle s’était endormie, pour son petit ami. “Je suis assez convaincue qu’il y a un certain nombre d’années, les soirées étudiantes devaient se dérouler dans les mêmes conditions, que des faits de même nature devaient s’y dérouler, mais qu’ils n’étaient pas révélés aux services de police ou de gendarmerie, observe, face caméra, Laurence Delhaye, la présidente de la cour criminelle. On aurait considéré que c’était une soirée qui avait mal tourné.”
Critiquées en ce qu’elles privent les victimes d’un procès d’assises où siège un jury populaire, ces cours criminelles ont néanmoins une expertise particulière sur le sujet des crimes sexuels puisqu’ils composent la majorité des affaires qui y sont traitées. Le documentaire, réalisé par Marie Bonhommet, montre ainsi des acteur·rices du procès (la présidente, l’avocat général, les experts psychiatres…) alertes et qui prennent le temps, sur plusieurs jours, d’explorer tous les ressorts de l’affaire.
Viol par surprise
De fait, malgré la bienveillance professionnelle des magistrat·es, rien ne sera épargné à Sarah : les faits – un acte de pénétration accompagné de fessées et d’une strangulation, selon la victime – sont auscultés à la lumière des dires et des impressions des un·es et des autres. Jérôme, évidemment, qui nie avoir violé, mais présente ses excuses pour le mal qu’il a pu commettre. Le petit ami de l’époque, Aurèle, qui croit la jeune fille, mais ne comprend pas vraiment comment la confusion a pu se produire dans son esprit. L’ex-petite amie de Jérôme, Emma, qui assure que leurs relations sexuelles n’étaient pas empreintes de violence. Ou encore les parents de l’accusé, convaincus de l’innocence de leur fils, bien qu’il et elle ne l’aient jamais questionné sur ce qui s’est passé dans cette chambre obscure à l’issue d’une soirée où Jérôme avait consommé de l’alcool et de la cocaïne (une circonstance aggravante). “Un viol, c’est un rapport non consenti avec de la violence”, expose la mère de l’accusé, admettant dans la foulée qu’elle n’a jamais évoqué ces notions avec son fils.
Mais la loi française protège les victimes des viols commis sans violence et c’est précisément ce vers quoi le procès va s’orienter : la dimension de surprise, par la ruse de Jérôme qui se serait fait passer pour Aurèle pour profiter de Sarah. Des circonstances qui, alors que jusqu’à récemment, seule une plainte pour viol sur dix aboutit à un procès, relèvent encore de l’inhabituel devant la justice. “Il ne faut pas sous-estimer l’effet de #MeToo, commente l’avocate de la plaignante, Me Anne Bouillon. Pour moi, ça a été une révolution, dans ma pratique professionnelle et pour l’institution judiciaire. Est-ce que le dossier de Sarah aurait été traité de la même manière avant #MeToo, est-ce que Sarah se serait sentie légitime à parler comme elle le fait aujourd’hui ? Je ne crois pas, je crois qu’on est au cœur d’un dossier qui est le fruit de l’évolution de tout ça.” Et c’est ainsi que l’on passe d’un déni de justice trop longtemps adressé aux victimes de viol au défi de les sanctionner correctement.
Préjugés racistes
L’ensemble des parties et des expert·es le répéteront au fil de l’audience : Jérôme “n’est pas un monstre” et c’est ici une affaire somme toute très ordinaire, de viol par opportunité, qui est jugée. Me Marion Perhirin, pour la défense, martèle dans sa plaidoirie que sans intention de violer, il n’y a pas viol. Me Bouillon élargit la focale : “L’accusé est peut-être un petit gars bien, un chouette gars, fils, frère, mais la responsabilité est à chercher du côté de la société, de comment on éduque les garçons.” “Je ne savais pas que ça existait, le viol par effet de surprise”, lâche l’accusé. En filigrane, ce sont ses préjugés racistes qui éclatent au grand jour : selon plusieurs témoins, le jeune homme aurait expliqué son geste par l’idée qu’il se faisait de la disposition sexuelle de la victime en raison de ses “origines antillaises”.
C'est certain : en suivant jusqu'au verdict le procès de Jérôme, Viol, défi de justice est un documentaire pédagogique et nécessaire sur les rouages de la justice en matière de violences sexuelles. Sa force repose sur le courage de Sarah, qui a accepté la présence d'une caméra suivant le jugement d'une partie si douloureuse de sa vie. Entourée de son frère et de sa mère, droite dans ses bottes et déterminée à obtenir justice malgré les secousses psychiques et morales occasionnées par le procès, son attitude nous l'affirme : la honte a changé de camp.
Viol, défi de justice, documentaire de Marie Bonhommet, 1 h 10. Diffusé mardi 26 mars à 21 heures sur France 5 et en replay sur France.tv.