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Manifestation appelant Volvy Berkowitz à accorder à sa femme, Malky, un divorce juif. © Adina Sash

Aux États-​Unis, des femmes juives ultraor­tho­doxes font la grève du sexe pour exi­ger le divorce de l’une d’entre elles

De nombreuses femmes juives ont pris part, ces derniers mois, à une grève du sexe pour réclamer que Malky Berkowitz, membre d’une communauté ultraorthodoxe de l’état de New York, obtienne un guet, un divorce religieux que seul son mari violent peut lui octroyer.

Dans la comédie grecque antique Lysistrata, d’Aristophane, déjà, les femmes s’opposaient à la domination masculine en ayant recours à la meilleure arme à leur disposition : le sexe. Dans cette œuvre de fiction, les héroïnes antiques se livrent ainsi à une grève du sexe pour pousser leur mari à mettre fin à la guerre du Péloponnèse. En 2024, au sein de la communauté juive ultraorthodoxe américaine, d’autres femmes ont décidé de tirer profit de leur pouvoir pour influencer les hommes. Elles veulent les convaincre, cette fois, d’aider à mettre un terme au mariage de Malky Berkowitz, otage de son mari abusif, Wolf – dit “Volvy” – Berkowitz, dont l’accord est nécessaire pour prononcer un guet, un divorce religieux.

Le sort d'une "agounah"

Malky et Wolf Berkowitz vivent à Kiryas Joel, une communauté juive ultraorthodoxe coupée du monde et située à une heure de New York, où les habitant·es parlent principalement le yiddish et adhèrent à une mouvance sectaire du judaïsme, la dynastie hassidique de Satmar. À Kiryas Joel, les femmes ne peuvent pas conduire (sous peine d’être renvoyées de la communauté), sont obligées d’avoir le crâne rasé pour couvrir leur tête d’un turban et se marient à l’âge de 18 ans pour enfanter le plus possible. Malky, elle, était une vieille fille (21 ans) quand elle a rencontré pour la première fois Wolf Berkowitz, quinze minutes avant leur mariage. Elle affirme aujourd’hui, auprès du média américain The Cut, que son mari s’est montré instable dès le début de leur union, devenant ensuite violent au fil des années.

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Trois ans de mariage et deux enfants plus tard, la jeune femme a demandé un divorce religieux. C’était il y a quatre ans. Selon la loi juive orthodoxe, un homme peut s’opposer à la demande de séparation de son épouse en refusant de lui octroyer un guet, un document signé par trois rabbins attestant qu’elle n’est plus religieusement liée à lui. Face au refus d’obtempérer de son ancien compagnon, Malky est devenue une agounah, une “femme enchaînée”. Si elle venait à se remarier sans obtenir de guet, ses enfants seraient considéré·es comme le produit d’un adultère et ne pourraient pas se marier à un·e autre juif·ve. Au regard de ses utilisations récentes, cette loi permet surtout à des maris abusifs de faire de leurs compagnes de véritables otages de leur mariage, voire d’exiger une compensation financière – une rançon, donc – ou la garde exclusive des enfants en échange du guet.

"La nuit de mitzvah est annulée"
"la nuit de mitzvah est annulée - grève du sexe pour libérer les agounahs"

Je pense que la crise des agounahs ne peut être résolue qu’avec l’aide de toutes les femmes juives”, avance à The Cut Adina Sash. La jeune femme juive orthodoxe originaire de Brooklyn est connue au sein de la communauté juive et sur les réseaux sociaux – elle compte plus de 70 000 abonné·es sur Instagram – pour son activisme en faveur des femmes agounahs. Après avoir tenté de libérer Malky par des voies militantes classiques (manifestations, campagnes d’affichage) sans succès, c’est elle qui, le 7 mars dernier, a appelé sur Instagram les femmes juives à “annuler la nuit de mitzvah”, faisant référence au vendredi soir, le moment le plus pur pour consommer le mariage selon la foi orthodoxe. Adina Sash encourage ainsi les femmes de sa communauté à opérer une “grève du mikvé” – le bain rituel obligatoire censé laver les femmes de leur impureté menstruelle avant une relation sexuelle – pour pousser les hommes à user de leur influence, parler du cas de Malky à leur rabbin et lui obtenir un guet.

Sur les réseaux sociaux, l’initiative de l’activiste a – sans surprise – provoqué son lot de réactions négatives. “Je le ferai deux fois vendredi soir, au cas où une femme penserait qu’elle peut faire une différence”, “Les femmes qui participent à cette folie obtiendront rapidement un guet”, peut-on notamment lire sous les posts d’Adina Sash. Mais selon cette dernière, le premier vendredi de grève, plus de huit cents femmes ont néanmoins refusé d’avoir une relation sexuelle avec leur mari en soutien à la cause de Malky et des autres agounahs. Et d’autres rejoignent encore la grève. The Cut rapporte ainsi que l’initiative s’est depuis étendue à des communautés juives orthodoxes de Pittsburgh, Baltimore, Los Angeles, mais aussi Londres et même Jérusalem. Grâce à la résonance du mouvement, Malky a par ailleurs obtenu un rendez-vous auprès du tribunal des affaires familiales pour finaliser son divorce civil.

S’il n’est pas garanti que la jeune femme obtienne un guet à la suite de cette procédure, son histoire ainsi relayée par Adina Sash a permis à de nombreuses femmes juives orthodoxes de se rassembler – en dehors des systèmes patriarcaux qui régissent leur communauté – pour dénoncer l’un des ressorts oppressifs dont font usage les hommes au nom du judaïsme. Si l’activiste précise respectivement à The Cut et à The Economist ne pas chercher à réformer totalement la loi religieuse ni à inciter à plus de “terreur féministe”, elle espère que ce mouvement permettra de dépeindre le refus d’octroyer un guet comme un acte répréhensible déformant la foi pour satisfaire ses propres intérêts. Une chose est cependant sûre : dans un environnement qui présente l’acte charnel comme un devoir religieux, une grève du sexe s’apparente à une petite révolution, un acte subversif qui permet à toutes celles qui l’opèrent de (re)prendre le pouvoir de dire “non”.

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