Hier, jeudi 15 octobre, se tenait la Journée mondiale de sensibilisation au deuil périnatal. Tabou de la perte d’un tout-petit, incompréhension de l’entourage vis-à-vis de la tristesse des parents pour un enfant qui n’a pas vécu… Difficile de faire son deuil sans être accompagné dans cette épreuve. Les parents sont alors nombreux à construire eux-mêmes leur résilience, sur des forums Internet ou dans des associations de parole.
Petite Émilie dans l’Ain, Locomotive – Aurore à Grenoble, Nos tout petits d’Alsace, Hespéranges en Essonne, Association a nostre stellucce en Corse, Les Ailes d’anges en Haute-Loire… Nombreuses sont les associations locales accompagnant le deuil périnatal qui touche en moyenne sept mille familles françaises chaque année. La Journée mondiale de sensibilisation au deuil périnatal – qui s’est tenue hier, le 15 octobre – encourage ces initiatives associatives nées pour combler le manque de prise en charge de la part des professionnel·les de santé comme des pouvoirs publics que subissent les parents endeuillés. Car au-delà du cataclysme de quitter l’hôpital le ventre et les bras vides, le tabou, le manque cruel de considération et le flou juridique autour des droits sociaux parentaux sont autant de charges émotionnelles supplémentaires.
Le deuil périnatal est défini par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme la perte d’un enfant entre la 22e semaine de grossesse et les sept premiers jours de vie. Mais dans les faits, le terme englobe finalement une multitude de réalités puisqu’il peut concerner des grossesses non abouties, quels que soient leur terme et la cause du décès (fausse couche, mort fœtale in utero, grossesse extra-utérine, interruption médicale de grossesse, IVG selon le ressenti de certaines…), mais également des décès à un âge plus avancé. « Chacun est libre de s’identifier ou non au deuil périnatal. L’important, c’est de ne pas cloisonner le terme et d’apporter du soutien aux parents quelle que soit la situation qu’ils aient vécue », estime Marie-Frédérique Bacqué, psychologue, « thanatologue », c’est-à-dire spécialiste de la mort et du deuil. Elle organise, en Alsace, des rencontres entre des parents qui viennent de perdre un enfant et d’autres qui ont cette douleur il y a quelques années.
Briser le tabou du deuil périnatal
Le flou juridique autour des droits sociaux parentaux rajoute de la complexité, notamment en ce qui concerne l’état civil de l’enfant. Depuis 1993, la loi établit qu’il est obligatoire d’inscrire sur le livret de famille un enfant décédé après sa déclaration à l’état civil et de lui organiser des obsèques. Même chose dans le cas où l’enfant est né vivant et viable après 22 semaines de grossesse et pesant plus de 500 grammes. En 2009, une circulaire conjointe des ministères de la Santé, de l’Intérieur et de la Justice a clarifié les dispositions légales à suivre lorsque l’enfant est né sans vie, ou « non viable », avant la 22e semaine de grossesse avec un poids inférieur à 500 grammes : les parents reçoivent alors un certificat médical d’accouchement établi par un médecin ou une sage-femme. À la place d’un acte de naissance, les parents n’obtiennent qu’un « acte d’enfant sans vie ». Armés de cet austère bout de papier, ils peuvent ensuite déclarer leur enfant à l’état civil et l’inscrire sur leur livret de famille. À la différence d’un enfant né vivant et viable, ici, seul le prénom de l’enfant peut être inscrit. « Nous demandons la reconnaissance civile du nom de famille de l’enfant pour ces cas », déclare Sonia Lamourroux, coprésidente de l’association Ailes d’anges 43.
Le deuil d’un enfant ressemble encore à bien des égards à un impensé de notre société. Être veuf·ve qualifie la perte de sa moitié amoureuse. Être orphelin·e, celle de ses parents. Mais aucun mot n’existe dans le dictionnaire pour exprimer la perte d’un enfant. Certaines associations demandent donc que les termes « paranges », « mamange » et « papange », tous nés de la contraction avec « ange » intègrent le dictionnaire.
Au-delà des mots, la mort de l’enfant attendu est d’une violence intrinsèque. Les femmes ont à se rendre en service maternité pour accoucher d’un bébé mort. C’est tout ce tabou autour du décès de sa fille Fanny, survenu en 2011 à huit mois de grossesse dans le cadre d’une interruption médicale de grossesse (IMG), ainsi que le manque d’accompagnement qui ont poussé Sonia à fonder, en 2014, l’association Les Ailes d’anges 43, avec Virginie, une autre mère endeuillée. « L’entourage ne sait pas comment réagir et face à cette solitude, on a peur que nos proches oublient notre petit », constate Sonia, 46 ans aujourd’hui, et mère de trois autres enfants. L’association a pour but d’accompagner, écouter et soutenir les familles. « Nous sommes avant tout des parents endeuillés qui aidons d’autres parents endeuillés, observe Sonia. Ils réalisent ainsi qu’ils ne sont pas seuls à vivre ce drame. Nous proposons des rencontres individuelles, une écoute téléphonique et des groupes de parole collectifs afin de pouvoir échanger sans peur du jugement. »
Amande et son compagnon Guillaume sont parents du petit Gaspar, décédé la veille de ses un an d’une maladie cardiaque en avril 2015. « À la mort de mon petit garçon, je me suis sentie très seule, déplore encore aujourd’hui Amande. Aucune prise en charge médicale et psychologique n’a été proposée spontanément. J’ai pris ça violemment comme de la non-assistance à personne en danger. » Car il existe une inégalité de fait, selon l’hôpital dans lequel survient le drame, entre les parents qui bénéficieront d’un soutien de la part des équipes médicales, collaborant parfois avec des structures associatives, et ceux qui en seront démunis.
Quelques semaines après le décès de Gaspar, Amande décide de gravir le sommet d’une montagne dans la Drôme afin de partir à la rencontre d’autres parents qui ont subi la même perte tragique. De cette expédition physique et introspective sort, en 2019, Et je choisis de vivre, un documentaire réalisé par Nans Thomassey. Ce dernier a suivi Amande tout au long son ascension. « Cette randonnée et ce partage avec d’autres parents se sont révélés essentiels pour réaliser qu’il existe un lendemain heureux à un drame familial, souligne Amande. Chacune de ces rencontres a apporté une pierre à l’édifice de ma reconstruction. »
Après avoir marché aux cotés de femmes et d’hommes ayant également vécu la perte d’un tout-petit, Amande a fait le choix de vivre. Si aujourd’hui elle pense à Gaspar plus avec de la joie que de la peine, elle a décidé d’aider à son tour d’autres parents à traverser leurs deuils. Dans cette optique, Amande a participé à la création d’une plateforme digitale, Mieux traverser le deuil, un support supplémentaire d’échange.
Les forums, une source d’entraide
Si de nombreuses associations ont vu le jour pour pallier le manque de prise en charge, il existe également une centaine de forums francophones sur Internet où les parents peuvent communiquer sur leurs histoires. Beaucoup se rejoignent sur la difficulté de parler de son traumatisme à ses proches. Certain·es témoignent également de réflexions désobligeantes qu’on leur a adressées. C’est le cas d’Alexandra31 sur le forum de Spama (Soins palliatifs et accompagnement en maternité), l’association nationale sur le deuil périnatal. « Heureusement que vous avez votre premier enfant » ; « Heureusement que ça ne vous est pas arrivé après un mois, un an ou dix ans de la vie de votre fille ». Voici le genre de phrases que la maman de Mia, décédée subitement à la naissance, a dû encaisser.
La jeune femme raconte même avoir reçu un faire-part de naissance d’une collègue, au comble de l’indélicatesse. Elle trouve alors des mots de réconfort de la part d’Helen31, qui a vécu la même chose et la félicite de « laisser sortir [sa] colère », l’enjoignant à « [jeter] tout ça à la poubelle ». Elle-même a listé sur le forum un « top dix des phrases détestables » balancées par un entourage pas très bienveillant, parmi lesquelles : « Mais pourquoi vous n’adoptez pas ? » ; « Allez, la vie continue, il y a pire » ; « Vous avez compris que ça ne “marchait” pas, donc arrêtez-vous d’avoir des bébés ». « Le deuil d’un enfant est encore tabou, déplore Amande. Tous les parents peuvent imaginer la perte d’un enfant, mais en réalité, personne n’ose en parler. La majorité des gens préfère ne pas voir la détresse. »
Dans ce contexte, les forums sont évidemment des sources d’entraide pour des parents isolés et dévastés. Pourtant, selon la psychologue Marie-Frédérique Bacqué, s’exprimer sur le Net ne sert pas de thérapie, il est nécessaire d’effectuer un travail psychologique en parallèle. « Les gens qui extériorisent et pensent se soigner en échangeant sur leurs expériences sur les réseaux sociaux vont en réalité très mal. »
Cela vaut également pour les pères qui ressentent moins le besoin de parler de leur deuil, mais qui n’en sont pas moins affectés. Guillaume, le compagnon d’Amande, n’a pas souhaité prendre part à la randonnée filmée. « Sa façon de faire son deuil, ce n’est pas de parler, mais être dans l’action et continuer à travailler », déclare Amande. Le mari de Sonia vit également son deuil différemment. « Il refoule sa tristesse pour être un roc pour la famille. » Au contraire de Benoît qui témoigne dans Et je choisis de vivre. Il est le papa du petit Gaspard, décédé en 2017 à l’âge de 4 ans d’une maladie dégénérative. Au diagnostic, en 2014, Benoît a ressenti une grande impuissance à comprendre qu’il ne pourrait pas sauver son enfant. Dans un second temps, il s’est pleinement investi dans l’accompagnement de Gaspard, afin d’épauler Marie-Axelle, son épouse. « Les hommes sont de plus en plus présents, constate Marie-Frédérique Bacqué. Ils accompagnent, s’expriment en leur nom propre et manifestent même une solidarité entre eux. »
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Pour Amande, la perte d’un enfant met en lumière l’un des fondamentaux de notre société occidentale, le déni de la mort. « Lorsque Gaspar est décédé à l’hôpital, aucun soignant ne savait comment se comporter avec nous, ils étaient en totale impuissance », se souvient Amande. La jeune femme, aujourd’hui maman de deux autres enfants, regrette un manque évident d’accompagnement. « Il existe des formations pour les soins palliatifs, mais pas pour les réanimations dans les services pédiatriques. Comme si on n’acceptait pas la mort d’un enfant. »
Mais les choses bougent. Au-delà des marches du 15 octobre (qui n’ont pas eu lieu cette année en raison de la crise sanitaire) et des lâchers de ballons en mémoire de ces enfants, de plus en plus d’associations organisent des cérémonies collectives, main dans la main avec les services d’obsèques de certaines villes. Sonia Lamourroux, qui a choisi d’enterrer sa petite Fanny dans le caveau familial auprès duquel son aîné vient se réfugier dès qu’il en ressent le besoin, cherche avec son association à faire créer un carré « anges » dans le cimetière du Puy-en-Velay. Une manière, là encore, de briser le tabou ultime que représente la perte d’un tout-petit.