La cour d'assises spéciale de Paris juge, à partir de ce lundi, une femme de 32 ans pour « association de malfaiteurs terroriste ». La justice lui reproche notamment d'avoir contribué « au projet civilisationnel de l’EI » en accouchant une dizaine de femmes.
Trois jours pour juger la sincérité des regrets et la persistance, ou non, de l’adhésion à l’idéologie djihadiste. La cour d’assises spécialement composée de Paris juge Douha Mounib pour « association de malfaiteurs terroristes » à partir de ce lundi 27 février. La jeune femme de 32 ans est accusée d’avoir rejoint la zone irako-syrienne en 2015 et d’avoir pratiqué une dizaine d’accouchement de femmes de combattants djihadistes. Un procès particulier tant le profil de Douha Mounib est singulier parmi ceux des « revenantes » de Syrie. Car outre sa radicalisation assumée, c’est le rôle actif de sage-femme qu’elle a tenu au sein de Daesh qui interpelle.
Alors que s’ouvre son procès aujourd'hui, Le Parisien a reconstitué son parcours. À l’automne 2013, Douha Mounib a 23 ans. Elle est alors étudiante en troisième année d’école de sage-femme à Nîmes dans le sud-est de la France lorsqu’elle décide de rallier une première fois les rangs de Daesh en Syrie. Comme nombre de jeunes femmes, elle se radicalise rapidement sur Internet en passant des heures à regarder des vidéos. Comme nombre de jeunes femmes, elle épouse un combattant déjà sur place en Syrie, qu’elle ne connaît pas, via Internet. Elle quitte précipitamment son école et se rend au Maroc chez ses grands-parents puis en Turquie avant de passer la frontière turco-syrienne.
Rôle de sage-femme
Une grossesse difficile contraint cependant Douha Mounib à revoir ses plans et à rentrer en France courant 2014, rapporte Le Parisien. Elle accouche d'un fils au printemps, qui décède quelques jours seulement après sa naissance. La jeune femme n’a alors plus qu’une seule idée en tête : retourner en Syrie. Pour financer son voyage, elle va jusqu’à voler les bijoux de sa belle-mère. Elle se remarie une nouvelle fois avec un combattant de Daesh qui a déjà un fils d’une précédente union et tente à plusieurs reprises de regagner la Syrie. Sans succès, elle est à chaque fois refoulée par les autorités turques.
C'est en juillet 2015, sous l’identité de sa mère, que Douha Mounib parvient à passer la frontière turco-syrienne. Elle passe ensuite près de deux ans dans les rangs de Daech où elle accouche d’une petite fille en 2016. Puis elle quitte l’État Islamique (EI) fin 2016 et rejoint une ville sous contrôle de l’Armée syrienne libre. Elle est ensuite interpellée en Turquie en mars 2017 puis rapatriée en France après plusieurs mois en centre de rétention.
Pour les enquêteur·trices, l’implication de Douha Mounib dans l’entreprise terroriste ne fait aucun doute. Il s’agit d’une djihadiste à part entière et non seulement une femme soumise à un mari combattant. Lors de son séjour en Syrie, elle a activement servi la propagande de Daesh sur les réseaux sociaux, mais a aussi aidé une dizaine de femmes à accoucher grâce à sa formation de sage-femme. C’est d’ailleurs cette deuxième fonction « hautement symbolique » qui constitue pour l’accusation l’un des éléments du « soutien idéologique et logistique » à l’organisation terroriste, car elle a ainsi participé « au projet civilisationnel de l’EI », estiment les juges d’instruction, rapporte Le Parisien.
Ce que conteste formellement Douha Mounib. « Je tiens à indiquer que je n’ai jamais eu l’idée de faire de mes enfants de futurs moudjahidines. De la même manière, lorsque j’accouchais les femmes (…), je ne le faisais jamais avec le projet d’accoucher des combattants futurs », a‑t-elle déclaré selon le quotidien. Pendant l’instruction, Douha Mounib a dit être partie pour des raisons « humanitaires », bien qu’elle reconnaisse aussi avoir voulu intégrer un camp d’entraînement pour femmes.
Spectaculaire tentative d’évasion
Incarcérée depuis son retour en France à la maison d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne), Douha Mounib était sortie de l’anonymat à l’automne 2021 après une spectaculaire tentative d’évasion. Elle était parvenue à creuser un trou dans le mur de sa cellule à l’aide d’une cuillère et d’un couteau puis à escalader plusieurs murs d'enceintes à l’aide d’une corde faite de draps et de vêtements. Son évasion s’était terminée par son interpellation sur le chemin de ronde de la prison. Pour ce fait, elle sera jugée plus tard. Mais cela constitue, pour l’accusation, une preuve supplémentaire de « la dangerosité de son profil » et de « la dissimulation dont elle est capable pour parvenir à ses objectifs », précise Le Parisien.
En effet, au fil de l’instruction, Douha Mounib n’a rien renié de son engagement auprès de Daesh et de son parcours tout en expliquant avoir compris s’être « trompée ». D’après le journal, elle a affirmé qu’elle avait été « désillusionnée » sur l’organisation terroriste, ses actions violentes et ses attentats, et qu’elle considérait désormais Daech comme « une secte de tyrans ». « Daech m’a vendu du rêve en fait », a‑t-elle affirmé. « J’ai réalisé après la naissance de ma fille que l’idéal ne correspondait pas à la réalité », a‑t-elle encore exprimé.
Pour son avocat, Maître Joseph Hazan, l’enjeu de ce procès qui va durer trois jours sera de déterminer la sincérité des propos de Douha Mounib ainsi que de son degré d’implication au sein de l’organisation islamiste. « La cour devra identifier avec précision les ressorts qui ont nourri sa détermination à rejoindre l’EI, et notamment son caractère obsessionnel. Elle devra réellement s’interroger sur la dangerosité qu’elle représente aujourd’hui, après cinq ans de détention provisoire, une dangerosité que j’entends fermement contester », a‑t-il déclaré auprès du Parisien. Douha Mounib encourt trente ans de réclusion criminelle. Le verdict est attendu mercredi 1er mars.
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