Sape : avec Big Fab Fashion, Myriam Bakir entend « célé­brer les corps gros » en res­pec­tant la planète

Une marque qui per­met aux femmes entre un 44 et un 60 de s’habiller avec des vête­ments à la mode, fabri­qués en France en ate­lier d'insertion avec du tis­sus déjà pro­duit et à prix rai­son­nables. Rencontre. 

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Myriam Bakir ©BFF

Il est déjà dif­fi­cile de s’habiller lorsqu’on est une femme et qu’on fait plus d’une taille 46. Mais alors s’habiller avec des vête­ments que l’on trouve esthé­tiques et qui soient éthiques, fabri­qués en France et à des prix ne néces­si­tant pas la vente d’un rein, se rap­proche plu­tôt d'une quête du Graal que d'une plai­sante séance shop­ping. Car dans son élan éco­lo­gique, l’industrie de la mode semble être pas­sée à côté d’un détail : celui de l’inclusivité. Du côté des marques bon mar­ché, on argue sur les coûts des tis­sus, qui limitent l’extension des gammes de taille des col­lec­tions éco-​responsables, tan­dis que les prix sont rela­ti­ve­ment exces­sifs chez les marques qui se sont spé­cia­li­sées dans la mode à hautes exi­geance environnementale.

Conséquence, pour les femmes fai­sant une taille 46 et plus, grandes oubliées de cet éveil éco-​responsable, ne demeure alors qu’une alliée contro­ver­sée : la fast-​fashion. C’est pour ces femmes, mais d’abord pour elle-​même, que Myriam Bakir a lan­cé le 1er août sa marque de vête­ments, Big Fab Fashion. Le concept ? Des pièces ultra-​stylées, du 44 au 60, fabri­quées en France et à moins de 50 euros. Pour Causette, la jeune entre­pre­neuse de 29 ans revient sur cette aventure.

Causette : Racontez-​nous l’origine de Big Fab Fashion. Vous avez tou­jours été pas­sion­née de mode ? 
Myriam Bakir : À l’origine, je ne des­ti­nais pas du tout à fabri­quer des vête­ments. On ne peut même pas dire que j'étais une pas­sion­née de cou­ture et de mode. Mais je n’avais pas le choix : je suis grosse depuis que j’ai quatre ans et depuis que j’ai quatre ans, c’est hyper dur de m’habiller. Quand j’avais douze ans, je devais aller dans les rayons pour femmes des grandes enseignes pour trou­ver des vête­ments à ma taille.
Aujourd’hui, j’en ai 29, je fais une taille 60 et je ne me sens tou­jours pas incluse dans l’industrie de la mode. Difficile d’aimer la mode lorsque, quand on rentre dans une bou­tique stan­dard pour offrir un vête­ment à une amie qui fait du 36, on s’entend dire : « Désolée, il n’y aura rien pour vous »
J’ai eu un déclic il y a six ans. Alors que je cher­chais une tenue pour ma remise de diplôme d’ingénieur en infor­ma­tique, je me suis retrou­vée à pleu­rer dans une cabine d’essayage parce que rien ne m’allait. Ce n’était pas la pre­mière fois, mais là, je me suis dit « si per­sonne ne fait de vête­ments pour moi, je vais les faire moi-​même ». Ma mère m’a ache­té une machine à coudre et c’est par­ti comme cela. Pour coudre, on a besoin de patron pour cou­per des pièces sauf que pareil, c’était hyper dif­fi­cile de trou­ver des patrons grandes tailles. J’ai fina­le­ment appris sur YouTube, en regar­dant des tutos, à faire mes propres patrons. Ma pre­mière pièce, c’était une petite jupe noire, toute simple que je porte encore aujourd’hui. Pour la pre­mière fois, je me suis sen­tie libre. 
Et puis à force de rece­voir des com­pli­ments sur mes tenues, d’entendre « tu devrais mon­ter ta marque », je me suis lan­cée il y a deux ans, en inves­tis­sant toutes mes éco­no­mies. C’était com­plè­te­ment fou, je vou­lais qu’une marque comme la mienne existe, mais j’étais à 10 000 lieues d’imaginer que je serais capable de la faire moi. 

Quel est le concept de Big Fab Fashion ? 
M.B. :
Des vête­ments qui vont seule­ment de la taille 44 à la taille 60, fabri­qués à Nantes dans un ate­lier soli­daire qui emploie des femmes en situa­tion de pré­ca­ri­té. Mes tis­sus sont issus de la seconde main. Ce sont des chutes de mai­sons de hautes cou­tures fran­çaises que j’achète sur des sites spé­cia­li­sés. Pour l’instant, je fonc­tionne uni­que­ment par pré­com­mandes afin de ne pas sur­pro­duire et d’éviter le gâchis de stock que je n’arriverais pas à écou­ler. Mais pour l’instant ça com­mence bien, deux jours après le lan­ce­ment, j’avais déjà une ving­taine de précommandes. 

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©BigFabFashion

Ce n'est pas for­cé­ment évident de lan­cer son entre­prise. Comment se sont pas­sés les débuts ? 
M.B. : Compliqués (rire). Au départ, comme pre­mière pièce, je vou­lais faire un jeans. Le jeans, c’est à la fois la pièce emblé­ma­tique d’un dres­sing, mais aus­si ce qui sym­bo­lise le plus pour moi le manque d’inclusivité : dans ma taille, c’est impos­sible d’en mettre. Même en taille 60, ils sont tou­jours très mal taillés. J’avais regar­dé pour le faire pro­duire en France, mais rien que la cou­ture d’un jeans, c’est 70 euros hors taxe.
Je me suis donc rap­pro­chée du Portugal. Et là, j’ai eu plein de pro­blèmes, l’atelier ne res­pec­tait pas du tout ce que je deman­dais. Il m’envoyait des pro­to­types de jeans avec tous les défauts que l’on reproche aux jeans grandes tailles. En fait, ils ont juste pris un patron de jeans pour taille stan­dard et l’ont agran­di. Sauf qu’il faut prendre en compte un tas de para­mètres, comme le mol­let. Entre le 36 et le 42, les mol­lets ne bougent pas beau­coup, mais lorsqu’on dépasse la taille 52, il com­mence à y avoir une dif­fé­rence de pro­por­tions. Si ton jean, il te va aux fesses et aux cuisses, mais pas aux mol­lets, tu ne peux pas le mettre. J’ai donc aban­don­né l’idée de faire un jean pour l’instant. 

Sur votre site, les prix sont plu­tôt rai­son­nables (24,99 euros pour un haut, 44,99 euros pour une jupe). C’était un sou­hait de faire une mode acces­sible ? 
M.B. :
C’était car­ré­ment un pré­re­quis ! Il y a d’autres marques qui font des vête­ments grandes tailles éthiques, mais ils sont très chers. C’est très beau oui, mais si tu ne peux pas l’acheter, ça ne sert à rien. On a besoin de s’habiller toute l’année, pas juste s’offrir une belle pièce après avoir éco­no­mi­sé des mois. Le plus dif­fi­cile, c’est d’allier une mode jolie, rai­son­nable et éthique. Proposer une autre voie que la mode réser­vée aux plus riches ou Shein.

La fast fashion est contro­ver­sée, seule­ment, elle reste pour beau­coup le der­nier endroit où s’habiller. 
M.B. :
C'est sûr. Ce serait plus simple pour moi mais je m'y refuse, je ne sou­haite pas par­ti­ci­per au désastre éco­lo­gique et social que causent ces marques. Mais je com­prends les femmes grosses qui s’habillent là-​bas et je ne les juge pas. Ma sœur a envie d’être à la mode, elle va sur Shein parce qu’elle n’a rien d’autre. En fait, je trouve que glo­ba­le­ment, il y a beau­coup de cri­tiques envers les femmes grosses, mais peu de solu­tions appor­tées. C’est aus­si pour ça que j’ai créé Big Fab Fashion. 

Beaucoup de marques s’arrêtent au 46. La vôtre s’étend du 44 au 60. Vous n’avez pas peur qu’en sépa­rant les vête­ments grandes tailles des tailles stan­dards, les femmes grosses soient davan­tage sté­réo­ty­pées et dis­cri­mi­nées ? 
M.B. : Spécialiser ma marque, c'est assu­rer mes clientes de son exper­tise : entre une taille 58 et une taille 38, les patrons sont tota­le­ment dif­fé­rents, il y a de nou­veaux para­mètres à prendre en compte. Avoir des bou­tiques spé­cia­li­sées, c’est aus­si une manière de célé­brer les corps gros. On entend sou­vent que les per­sonnes grosses s’habillent mal, qu’elles n’aiment pas la mode. Si on fait des marques spé­ciales pour elles, qui pro­posent des vête­ments à la mode, ce sera une manière de décons­truire les cli­chés et de nor­ma­li­ser leurs corps. 

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©BigFabfashion

Derrière Big Fab Fashion, il y a fina­le­ment aus­si un mes­sage poli­tique ? 
M.B. :
Complètement. Quand j’ai décou­vert la cou­ture, je regar­dais sou­vent l’émission Les Reines du shop­ping, qui véhi­cule notam­ment un tas d’interdits ves­ti­men­taires pour les femmes grosses. Tout de suite, j’ai vou­lu m'approprier ces inter­dits : une jupe en velours, une robe en sequins, un biki­ni asy­mé­trique, des vête­ments qu’on ne voit jamais sur des corps gros.
Sur mon site, je vends une jupe dra­pée, alors qu’on nous dit qu’il ne faut pas en mettre parce que ça aug­mente le volume. On essaye de nous cacher depuis tou­jours et jus­te­ment, avec Big Fab Fashion, c’est fini. Si tu as envie de mettre une jupe dra­pée, fonce. Le mes­sage, c’est « Allons‑y, libérons-​nous, osons bri­ser les codes ! » 

Pour l'heure, cinq pièces sont pro­po­sées. Quels sont vos pro­jets pour l’avenir de Big Fab Fashion ? 
M.B. : Je vou­drais diver­si­fier mon offre dans tous les sens. Par exemple, j’aimerais beau­coup faire de la lin­ge­rie parce que pour moi, c’est le plus grand pro­blème des femmes grosses. Un jour, je suis allée sur un site de soutien-​gorge spé­cia­li­sé dans les grandes tailles. J’ai ren­tré mes men­su­ra­tions dans le géné­ra­teur de taille qui m’a indi­qué « vos men­su­ra­tions sont trop impor­tantes pour per­mettre un cal­cul cen­sé ». Il y a vrai­ment quelque chose à faire.
Faire des pei­gnoirs aus­si, car c’est un truc auquel on ne pense pas for­cé­ment, mais c’est super dur d’en trou­ver qui ferme. Je dois mettre une ser­viette sous le mien par exemple (rire). Et puis réus­sir à pou­voir faire fabri­quer des jeans aus­si. 
J’aimerais aus­si beau­coup avoir des bou­tiques réelles. Les gens gros ont besoin d’essayer les vête­ments. Pour l'instant tout se passe sur inter­net et c’est dom­mage, ça ne fait que ren­for­cer leur invi­si­bi­li­sa­tion de l'industrie tex­tile et plus lar­ge­ment de notre société. 

Pour décou­vrir les pièces de Big Fab Fashion, c'est par ici.

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