Devant le succès et le bouche-à-oreille dont il bénéficie (à juste titre), ce seul en scène poignant sur la trajectoire d’une jeune femme face aux intempéries de la vie joue les prolongations à Paris.
C’est le genre d’histoire qui fait chaud au cœur. Celui d’une jeune comédienne, inconnue du grand public, qui n’en finit plus de faire salle comble depuis des mois avec un spectacle en partie autobiographique, qu’elle a écrit et qu’elle joue seule sur scène. L’aventure a commencé cet été au Festival d’Avignon, temple des possibles quand le public se met à se passer le mot. Et petit à petit, dans le courant du mois de juillet, il s’est pressé pour aller voir L’Odeur de la guerre, écrit et interprété par Julie Duval et mis en scène par ses comparses Juliette Bayi et Élodie Menant. Il continue à s’y bousculer à La Scala de Paris au point que le spectacle qui devait se terminer fin décembre est prolongé jusqu’en mars.
Alors pourquoi gagne-t-il le cœur des foules ? D’abord parce qu’il est interprété avec une force et une fougue notables. Mais aussi parce qu’il résonne avec l’époque en ce sens qu’il raconte une trajectoire d’émancipation féminine. Pas héroïque. Pas particulièrement spectaculaire. Mais celle que vivent tant de femmes finalement, peu ménagées par l’existence en raison de leur genre et qui trouvent en elles la force de se chercher, de se trouver et de s’épanouir loin des violences en tous genres et de la colère qu’elle entraîne.
Sur scène, donc, Jeanne, double fictif de Julie Duval, que l’on suivra de son enfance à son passage à l’âge adulte. Une petite fille du sud de la France, ballottée entre un père aimant mais qui ne sait pas toujours gérer sa violence, une mère un peu dépassée, obsédée par son chien, une meilleure copine “cagole” adorable et des copain·ines de classe pas toujours bienveillant·es. Sur scène, la comédienne fait tous les rôles, tel un Philippe Caubère au féminin, passant de l’un à l’autre avec une agilité rare. Hilarante dans le personnage de la copine Dounia, effrayante dans le rôle de son père.
Dans cette famille, les mots manquent autant que les maux grandissent. Et que la colère sourde grandit en Jeanne. Vient l’adolescence. Personne pour lui expliquer ce que sont les règles, personne pour lui demander ce qu’elle fait quand elle sort toute la nuit, seule face à sa détresse qui se meut trop souvent en agressivité envers les autres. Personne, surtout, à qui elle peut dire que sa première fois avec un garçon était non consentie. Et qu’il s’agissait, – ce qu’elle ne savait pas alors -, d’un viol. Puis viennent les débuts dans l’âge adulte. Jeanne quitte le Sud et monte à Paris, comme on dit. Elle est très jeune, n’a pas fait d’études. Mais elle découvre l'art dramatique. Et la boxe. Les deux disciplines seront son salut. Là encore, la comédienne est irrésistible en prof de théâtre habité ou en coach de boxe au grand cœur.
Julie Duval est une révélation. Vêtue d’une simple brassière de sport et d’un short noirs du début à la fin, il n’y a sur scène qu’elle, un petit banc en bois et un punching-ball. Et pourtant, grâce à un geste, une attitude, un accent, un regard, on voyage des cigales du sud aux boîtes de nuit bruyantes, du ring de boxe aux cours Florent comme si on y était. Son spectacle est un ballet. Son incarnation, un coup de poing. Car ce que retrace ici la comédienne, ce n’est pas sa vie. C’est la vie de toutes les femmes. Elles sont nombreuses dans la salle. Mais pas que. Il faut continuer d’aller l’applaudir.
L’Odeur de la guerre, de et avec Julie Duval. À La Scala, à Paris. Du 9 janvier au 30 mars. Du mardi au mercredi à 21 h 30, le samedi à 21 h 30. à partir de février, le dimanche à 17 h 30.