Gypsy Rose Lee : l’incroyable des­tin d’une Rose effeuillée

Rose Louise Hovick fut plus connue sous le nom de Gypsy Rose Lee, son pseu­do sur la scène bur­lesque amé­ri­caine. Si elle doit sa célé­bri­té à son rôle de strip-​teaseuse vedette des années 1940, elle fut aus­si actrice, autrice et dramaturge. 

gypsy rose lee actress 1938
Portrait de Gypsy Rose Lee, en 1938. © AF archive/​Alamy Stock Photo

« Que ton cul nu brille pour tou­jours ! » Tels sont les mots télé­gra­phiés à Gypsy Rose Lee par Eleanor Roosevelt, en 1959. Bien des années avant de rece­voir les hom­mages cha­leu­reux des femmes de pré­sident, celle qui devien­dra « la Vénus de Broadway » s’appelle encore Rose Louise Hovick. C’est une petite fille timide, née en 1914 à Seattle (État de Washington), qui apprend la vie d’artiste aux côtés de sa jeune sœur June sous la férule de leur mère. Celle-​ci, Rose Thompson Hovick, divor­cée, au carac­tère vif, contourne les lois sur le tra­vail des enfants, men­tant, tri­chant et tem­pê­tant. Elle forme ses baby girls dans ­l’intention d’en faire de futures stars. Les petites apprennent donc la danse, le chant, la comé­die, sou­rient sur com­mande et pleurent sous la menace. 

Une effeuilleuse timide

À 5 et 7 ans, elles gagnent des concours, appa­raissent dans des films et sur scène grâce à « Mama Rose », qui leur monte des numé­ros d’enfants pro­diges. Elles font les beaux jours du vau­de­ville, ancêtre très popu­laire de la revue, où se côtoient sur les planches musicien·nes, chanteur·ses, comiques, imi­ta­teurs, dan­seuses, dres­seurs d’animaux, jon­gleurs, illu­sion­nistes, acro­bates, en une suite de courts numé­ros de diver­tis­se­ment. Les fillettes gran­dissent entre le foyer des grands-​­parents, peu ou pas d’école, et la vie sur les planches. Elles apprennent la débrouille, les embrouilles. Les années pas­sant, les contrats se raré­fient, la petite troupe vit à l’hôtel, entas­sée sur des mate­las, et la toute-​puissante mère gère conflits et contrats. Elle défe­nestre un direc­teur d’hôtel qui har­cèle les filles et qui en meurt. La légi­time défense sera retenue. 

La crise de 1929 entraîne le vau­de­ville dans sa chute. June a fui, Louise a alors 15 ans. Mama lui dégote un contrat dans une mai­son de bur­lesque où les effeuilleuses se dénudent en riva­li­sant d’idées imper­ti­nentes, de numé­ros extra­va­gants. Au début timide, Louise appa­raît dans des robes four­reaux cou­sues par ses soins, un peu gauche, mais le chi­gnon impec­cable. Elle enlève un gant, craque une bre­telle, ôte une à une les épingles de sa coif­fure. Elle inter­pelle le public d’une voix grave, le taquine. Il est ravi et se bous­cule pour voir cette curieuse jeune fille, qui parle plus qu’elle ne se désha­bille. La petite Rose Louise devient Gypsy Rose Lee. 

En 1932, les deux Rose arrivent à New York. Gypsy est enga­gée dans le caba­ret des frères Minsky et intègre ensuite la très célèbre revue Ziegfeld Follies. Mais elle aime­rait bien s’éloigner de l’image sul­fu­reuse du bur­lesque et de l’emprise de Mama Rose. Elle veut briller à Hollywood. Entre 1937 et 1939, elle appa­raît dans cinq films. Hélas, les cri­tiques ont la dent dure avec celle qui vient des scènes en bois et des cou­lisses à l’odeur de sueur. Le suc­cès n’est pas au rendez-​vous. Gypsy est déçue, elle refuse l’étiquette de femme-​objet, légère. Elle demande à H.L. Mencken, écri­vain et lin­guiste libre pen­seur, d’inventer un mot savant pour son numé­ro de strip-​tease. Il com­pose spé­cia­le­ment pour elle le mot ecdy­siast – à par­tir d’un terme grec qui désigne la perte d’une couche de peau, la mue – qu’on peut tra­duire par « celle qui s’effeuille ».

Meurtres dans le burlesque

En 1939, dans les loges de la revue de Mike Todd, Streets of Paris, elle rédige ses pre­mières chro­niques pour des maga­zines, la machine à écrire sur ses longues jambes et la ciga­rette au coin des lèvres. Elle ren­contre George Davis, inven­tif édi­teur à l’initiative d’une grande mai­son com­mu­nau­taire à Brooklyn, véri­table ruche d’activités lit­té­raires. Gypsy y emmé­nage, côtoie le com­po­si­teur Benjamin Britten, Salvador et Gala Dali, Anaïs Nin. Elle y écrit son pre­mier roman poli­cier, qui sor­ti­ra en 1940, The G‑String Murders : une enquête sur une série de meurtres dans le monde du bur­lesque, où l’envers du décor y est pour la pre­mière fois fidè­le­ment retrans­crit. Une plume et un regard fémi­nins sur la condi­tion des femmes de scène. Le suc­cès est immé­diat. Le roman est adap­té au ciné­ma sous le titre de Lady of Burlesque, avec Barbara Stanwyck dans le pre­mier rôle, en 1943. En France, il sera tra­duit par Léo Malet et sera publié en 1950 sous le titre Mort aux femmes nues. Son second roman, Mother Finds a Body, sort dans la fou­lée. Elle écrit éga­le­ment pour The New Yorker, Harper’s, Variety. Passionnée de cui­sine, elle rédige un livre de recettes. 

Gypsy est moins douée pour le mariage auquel elle ­s’essaiera par trois fois. En 1937, elle épouse Robert Mizzy à Hollywood, mais Bob est violent, elle obtient le divorce en 1941. Elle convole de 1942 à 1944 avec le beau William Kirkland, acteur de Broadway, mais tombe enceinte d’Otto Preminger, avec qui elle entre­tient en paral­lèle une liai­son cachée. Elle accouche donc d’un fils, Erik Lee Preminger, en 1944 et divorce dans la fou­lée du pauvre Kirkland. En 1948, elle se marie avec le peintre Julio de Diego. Ce troi­sième essai sera le der­nier échec et confor­te­ra Gypsy dans son idée qu’elle n’a pas besoin d’un homme pour vivre.

En 1950, elle anime sa propre émis­sion de télé­vi­sion et arrête défi­ni­ti­ve­ment la scène. Elle conti­nue d’entraîner des effeuilleuses et se pas­sionne pour la poli­tique, lit Le Capital, adhère aux idéaux mar­xistes et crée le pre­mier syn­di­cat du bur­lesque aux États-​Unis. Elle est éga­le­ment férue de pein­ture, s’y essaie, col­lec­tionne, côtoie Max Ernst, qui fait son portrait. 

La rela­tion à sa mère reste tumul­tueuse. Mama Rose tient une pen­sion pour jeunes femmes seules à Manhattan, Gypsy la finance. Mama est soup­çon­née de meurtre sur une des jeunes filles, mais l’enquête conclut au sui­cide. La petite sœur est deve­nue June Havoc, actrice recon­nue à Hollywood. Mama pour­rait être fière de ses filles, mais l’ambiance du trio est des plus ten­dues et les sœurs ne se récon­ci­lie­ront qu’à la mort de la mère, en 1954, où, libé­rée de l’étreinte mater­nelle, Gypsy écrit ses Mémoires qui paraî­tront en 1957. Elle y raconte son pas­sé tour­men­tée d’enfant artiste. Broadway s’empare immé­dia­te­ment de l’histoire. Le spec­tacle Gypsy sera mis en scène et cho­ré­gra­phié par le talen­tueux Jerome Robbins et joué sept cents fois entre 1959 et 1961. En 1962, un film immor­ta­lise le « musi­cal », avec Natalie Wood dans le pre­mier rôle. Gypsy coa­che­ra elle-​même Natalie pour les séances ­d’effeuillage. Et Mama Rose atteint enfin la célé­bri­té, bien qu’à titre post­hume, sous la forme un peu mons­trueuse d’un per­son­nage haut en cou­leur et en colère. Une deuxième ver­sion sor­ti­ra en 1993 avec Bette Midler, qui se réga­le­ra du rôle de l’envahissante stage mother.

Gypsy Rose Lee, tra­vailleuse achar­née, enfin admise à Hollywood, ne reste pas assise sur ses dol­lars et conti­nue son ascen­sion. Elle appa­raît dans dif­fé­rents films, dont le Batman de 1968. Mais en 1970, elle est dans sa cin­quan­taine quand elle est fou­droyée par un can­cer du poumon.

Depuis, son cul, mais aus­si son esprit, sa plume et la tant dési­rée étoile à son nom sur le fameux Walk of Fame, à Hollywood, brillent dans le cœur des femmes de la nuit dont elle est deve­nue une égé­rie fière, indé­pen­dante et res­pec­tée. Comme dans les rêves d’une Rose… 

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