Comme chaque année, Causette vous livre sa sélection toute subjective des spectacles du Off. Petite particularité de cette édition, les femmes sont nombreuses
à porter leurs textes, ou ceux des autres, seules sur les planches.
« L’occupation »
Annie Ernaux + Romane Bohringer, quel meilleur combo ? La comédienne, tour à tour espiègle, ironique, incandes- cente, joueuse, met toute son âme pour faire entendre la langue de l’autrice. Ici, le fameux récit, millimétré, d’une jalousie amoureuse obsédante et irrationnelle. Une mise en scène hyper inventive et enlevée très intelligemment accompagnée par la musique en live de Christophe « Disco » Minck.
D’Annie Ernaux. Théâtre des Halles, à 14 heures. Durée : 1h5.
« La femme à qui rien n'arrive »
C’est l’histoire d’une femme dévorée par les ser- vitudes du quotidien. Une charge mentale qui la maintient bien posée près de son tas de pommes de terre. Son univers s’est tellement rétréci que maintenant, c’est sûr, plus rien ne pourra lui arriver. Mais les mots sont là, comme des patates à éplucher, à découper. Léonore Chaix, autrice, comédienne, les connaît bien, elle les a déshabillés avec succès dans Déshabillez-mots, un spectacle écrit avec Flor Lurienne.
Quand l’aventure a pris fin, Léonore s’est cru en panne. Mais les mots sont là, toujours, qui sauvent, qui libèrent. Avec sa plume fine et ciselée, elle se joue de l’absurde en triturant les phrases, en les savourant, elle est comme une enfant qui découvre la langue. Sous nos yeux, la jeune femme si bien assise avec ses genoux tellement serrés se déploie en prenant les apparences de ses monstres intérieurs effrayants, hilarants. La femme devient clown. C’est jouissif, burlesque, on rit à gorge déployée. La Femme à qui rien n’arrive, c’est l’histoire d’une renaissance. Et d’un kilo de pommes de terre. C.Y.
De Léonore Chaix. Artéphile, à 11 h 40. Durée : 1h5.
« Chambre 2 »
Décidément, Chambre 2, le premier ouvrage de Julie Bonnie, paru en 2013, a un destin multiple : prix du roman Fnac à sa sortie, adaptation pour le cinéma en 2020 sous le titre Voir le jour, il vit une troisième vie au théâtre. Sur scène, le quotidien de Béatrice, une auxiliaire de puériculture à bout de souffle dans un hôpital lui-même mal en point. Très inspiré par l’histoire personnelle de l’autrice, musicienne qui a travaillé pendant dix ans dans une maternité avant de se mettre à l’écriture, ce texte, aussi politique qu’intime, raconte à la fois les problématiques de l’hôpital public et le grand huit émotionnel que traversent les femmes qui deviennent mères. Intense.
De Julie Bonnie. Avignon-Reine Blanche, à 16 heures. Durée : 1h20.
« Quand je serais grande… tu seras une femme, ma fille »
À l’origine de ce spectacle, une résidence artistique à Villeneuve-Saint-Georges au cours de laquelle Catherine Hauseux est allée à la rencontre des femmes de ce territoire, de tous âges et de tous milieux. De ces paroles glanées elle a fait une synthèse, joliment écrite, pour dessiner le portrait de quatre générations de femmes et faire surgir un propos, finalement universel. Que reçoit-on ? Que transmet-on ? Comment se situe-t-on en tant que femme dans un monde d’hommes hier et aujourd’hui ? C’est elle-même qui interprète avec émotion ces femmes aussi attachantes que pro- fondes. Mention spéciale à la dernière d’entre elles.
De Catherine Hauseux. Les 3 Soleils, à 11 h 35. Durée : 1h15.
« Quand je serai grande, je serai Patrick Swayze »
Si vous aimez le théâtre, vous avez peut-être déjà croisé la route de Chloé Oliveres, cofondatrice du collectif Les Filles de Simone, dont Causette vous a souvent recommandé les spectacles (C’est (un peu) compliqué d’être l’origine du monde et Les Secrets d’un gainage efficace). Cette fois, la comédienne se lance en solitaire pour une pièce rafraîchissante qui retrace son parcours de jeune femme née dans les années 1980, élevée aux injonctions contradictoires. Entre une mère gaucho-féministe et une passion pour Dirty Dancing, des princesses pour seul modèle et une farouche volonté d’émancipation, pas toujours facile de s’y retrouver. Le portrait pop et plein d’autodérision d’une « féministe et midinette, ou midiniste, ou féminette », comme elle dit.
De Chloé Oliveres. Théâtre des Béliers, à 14h30. Durée : 1 heure.
« Guten tag, madame Merkel »
Attention bijou ! Tout est parfaitement maîtrisé dans ce seule en scène sur l’ex-chancelière allemande. Jeu jubilatoire, scénographie classieuse, texte drôle et passionnant. Tout coule. On est immédiatement happé par ce portrait d’Angela Merkel, personnage mystérieux et puissant qu’Anna Fournier, autrice et interprète de ce texte, aborde côté coulisses. On croise Sarkozy, Poutine et une impayable direc- trice de com. Avec en toile de fond cette question lancinante : qu’est-ce qu’être une femme en politique ?
D’Anna Fournier. Théâtre du train bleu, à16h25. Durée : 1h20.
« De la mort qui tue »
Quel meilleur moyen pour contrer ses angoisses que de les affronter ? C’est en tout cas le pari d’Adèle Zouane, qui consacre un spectacle entier à la mort. Histoire de la regarder en face une bonne fois pour toutes. Après À nos amours, en 2016, tout entier consacré à Éros, l’autrice et comédienne s’attelle à Thanatos. La prouesse, c’est qu’elle parvient à nous faire (mourir de) rire. Play-back sur des scènes mythiques du cinéma, méditation inversée pour bien se connecter avec le néant, fausses morts sur scène. Une proposition burlesque et métaphysique qui relie, comme rarement au théâtre, les vivant·es que nous sommes. Une vraie expérience collective. Et un drôle d’exutoire.
D’Adèle Zouane. Artéphile, 14 h 5. Durée : 1 h 15.
« Gardiennes »
Il est toujours utile de se souvenir d’où reviennent les femmes, et ce qu’elles ont traversé. Leurs corps, surtout. Fanny Cabon, convoque avec pudeur, mais détermination, celles de sa famille et ses récits – de son arrière-grand-mère à sa fille en passant par les tantes et les grand-mères –, pour raconter des vies modestes, émaillées de grossesses pas toujours souhaitées, d’avortements clandestins, de maris mal dégrossis, de sexualité pas toujours épanouissante, d’enfants aimés et désirés, aussi. À travers elles, c’est toute la condition féminine du XXe siècle qui défile. Et c’est poignant.
De Fanny Cabon. Les 3 Soleils, à15h5. Durée : 1h15.