Née le 8 mars 2021, Radio Begum, conçue par et pour les femmes afghanes, continue d'émettre sous le régime taliban, malgré la censure. Une bulle de liberté, entre reportages, programmes psycho et cours pour les collégiennes et lycéennes, d'autant plus indispensables aujourd'hui que les talibans ont fermé la porte des établissements scolaires aux adolescentes.
« Nous savons que le ministère de la culture et de l'information taliban nous écoute mais pour l'heure, ils nous laissent tranquilles. » Hamida Aman, bientôt 50 ans, a fondé Radio Begum le 8 mars 2021 avec l'objectif de faire entendre la voix des femmes afghanes, qu'elles soient journalistes, psychologues ou encore, professionnelles de l'éducation. Exilée en Suisse avec sa famille à 8 ans en 1981 pour fuir les combats dus à l'intervention soviétique, Hamida Aman deviendra journaliste radio. Après le 11 septembre 2001, elle se porte volontaire pour retourner en Afghanistan et ainsi couvrir l'intervention de l'OTAN. « Ça a changé ma vie », dit celle qui se reconnecte alors avec son pays d'origine et lance en 2004 depuis la France Awaz Communication, une boite de production au service du développement des institutions et des médias afghans.
Radio Begum – titre honorifique féminin signifiant « princesse » ou « maîtresse » dans cette région du monde – est lancée à Kaboul, où Hamida Aman se rend très régulièrement, et émet dans huit provinces. L'enjeu est dès le départ posé : Radio Begum se veut être un espace de liberté entre femmes, connectant les jeunes journalistes qui y officient et les auditrices qui se passionnent pour des programmes qui les concernent de près : des talks en antenne libre qui laissent place à l'humour, une émission santé animée par une gynéco, une émission psy, une autre animée par une docteure en théologie, des programmes de fiction et, surtout, des programmes éducatifs pour les jeunes filles en collèges et lycées. Pas moins de six matières sont proposées durant School on the air, des sessions de cours d'une demi-heure, dispensés le matin en dari et l'après-midi en pachtu, les deux langues officielles du pays. Pour vous rendre compte de ce que cela peut donner, voici un cours d'anglais.
Des lycéennes tuées dans un attentat taliban
Deux mois après l'arrivée sur les ondes de Radio Begum, le 8 mai 2021, un attentat taliban fait au moins 85 morts dans une école à Kaboul. L'immense majorité sont des filles. Passé l'effroi, Hamida Aman et ses équipes comprennent l'absolue nécessité de leur travail. Dans le prisme taliban, le seul fait de recréer dans School on the air l'atmosphère d'une classe avec, à chaque fois, des jeunes invitées à suivre les leçons, devient un acte politique subversif.
Dans ce contexte, par prudence, la radio cesse d'émettre pendant un mois à la suite de la prise de Kaboul, le 15 août 2021. Certaines des membres de l'équipe – qui compte actuellement 12 reporters qui ont entre 20 et 30 ans et trois techniciens – sont exfiltrées grâce aux contacts diplomatiques d'Hamida Aman. « Toutes rêveraient de partir, mais la fenêtre d'ouverture s'est vite refermée », souligne la fondatrice de la radio. Pour reprendre le travail en sécurité avec celles qui restent, Hamida Aman prend rendez-vous le 15 septembre avec le responsable média des talibans et obtient son autorisation d'émettre. « Ils nous ont encouragées à continuer tant que nous respectons les principes de l'islam et l'interdiction de diffuser des "informations nuisibles" au régime, ce qui sous-entend que nous n'avons pas le droit de parler de la résistance », raconte-t-elle. Une contrainte qu'elle accepte bon gré mal gré, tant la mission éducative de Radio Begum est cruciale dans ce moment de ténèbres.
Le plus dur désormais, c'est peut-être de devoir se passer de musique à l'antenne. « L'absence imposée de la musique, c'est terrible, car la musique est la colonne vertébrale d'une radio, elle permet aussi la respiration entre les différents contenus », soupire celle qui doit maintenant se cantonner aux musiques religieuses et a mis en place des concours de poésie pour combler. Dans le pays, les jeunes écrivent de la poésie comme d'autres en France du rap. À la façon d'un ingénieux cadavre exquis, la première candidate déclame un poème, dont le dernier vers doit être faire office d'accroche pour le poème de la suivante. C'est dire le bien que procure l'écoute de Radio Begum à ses auditeur·rices. Car oui, il y a aussi des hommes qui écoutent et interviennent, notamment durant l'émission psycho, qui prend des airs de « consultation gratuite ». « Des hommes appellent pour interagir avec des femmes sur les sujets de santé mentale – qui ont pris une tournure encore plus cruciale maintenant que l'Afghanistan vit sous le joug des talibans – parce que la société est désormais tellement ségréguée que la radio devient un espace d'échanges entre les sexes », observe Hamida Aman.
Ruser sous la censure
Côté actualités, Radio Begum contourne avec ruse la censure. Depuis un peu plus d'un mois, les journalistes retournent sur le terrain, avec pour consigne d'aller partout où les femmes travaillent encore : les ateliers de confection textile, par exemple, deviennent des lieux de reportages pensés pour « redonner le moral et enlever la peur de sortir » aux femmes.
Lorsque, le 23 mars dernier, les talibans ont débarqué dans les classes des collégiennes et des lycéennes pour les fermer le jour même de leur réouverture, les reporters de Radio Begum étaient là pour filmer « les larmes des adolescentes et la colère des parents », témoigne Hamida Aman – la radio diffuse de nombreux reportages vidéo sur ses réseaux sociaux. Comme lorsque, en février, le média avait couvert l'irruption dans les villages de talibans armés venus fouiller les maisons pour y débusquer des poches de résistance, Radio Begum tend le micro pour diffuser l'information : « Nous ne sommes pas embêtées par le régime parce que ce sont les gens qui racontent ce qui se passe, pas nous », explique Hamida Aman.
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La journaliste et entrepreneuse estime que ce qui protège Radio Begum contrairement aux médias isolés en province à la merci de petits chefs talibans, « c'est d'avoir pignon sur rue à Kaboul ». Reste que le modèle économique du média, reposant naguère sur la publicité, est en péril. Avec l'effondrement de l'économie du pays et le départ des client·es, Radio Begum fait désormais appel à la solidarité de chacun·e pour survivre. Une campagne est actuellement en cours sur le site Hello Asso, pour que les voix des femmes afghanes – comme celles qui ont manifesté, avec un immense courage leur rage et leur désespoir après l'ouverture avortée des écoles – puissent continuer de résonner.
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