Le metteur en scène Sébastien Davis transpose à nouveau sur les planches Le Consentement de Vanessa Springora, cette fois au Théâtre du Rond Point à Paris. Une adaptation puissante, portée par la comédienne Ludivine Sagnier, totalement habitée par le rôle. Causette avait assisté en novembre 2022 à la pièce, alors jouée au Théâtre de la Ville de Paris.
« Quelle preuve tangible avais-je de mon existence, étais-je bien réelle ? » Au sein des murs de l'espace Pierre-Cardin du Théâtre de la Ville de Paris, cette question, parmi tant d'autres, résonne en boucle, portée par une musique électronique légèrement inquiétante. Sur la scène, surmontée d'un immense écran blanc, on aperçoit un lit, un bureau et une chaise. On pense immédiatement à la chambre de bonne de l'écrivain Gabriel Matzneff, décrite par l'autrice Vanessa Springora dans son livre Le Consentement. Deux ans et demi après sa sortie fulgurante, le texte dans lequel l'éditrice dénonce l'emprise qu'a exercée le romancier de 36 ans son aîné, alors qu'elle n'avait que 14 ans, est joué à Paris pendant une semaine.
Le metteur en scène Sébastien Davis, en ouvrant Le Consentement à la fin de l'année 2019, a reçu le livre « en pleine gueule », raconte-t-il à Causette. De cette « riposte artistique » et cette « œuvre d'art », dont l'impact sur notre société représente selon lui « un exemple du pouvoir de la culture », il en a tiré une création théâtrale courte (1h20) mais intense, qui retranscrit avec force toutes les émotions traversées par Vanessa Springora dans son écrit. Le texte est porté avec un mélange de puissance et de douceur par une Ludivine Sagnier incandescente, totalement habitée par le rôle, qui interprète « V. » dans les trois moments de sa vie racontés dans le roman autobiographique – l'enfance, l'adolescence et l'âge adulte.
Son interprétation est sublimée par la création musicale de Dan Lévy, jouée en partie à la batterie par Pierre Belleville, mais surtout par la scénographie d'Alwyne de Dardel. Dès que le personnage doute et s'interroge, Ludivine Sagnier disparaît derrière un immense écran blanc, qui, par le jeu de lumières, se transforme en une sorte de « membrane » translucide, comme la qualifie Sébastien Davis. « Il m'a paru nécessaire de créer deux espaces sur scène. Derrière ce calque, cette membrane, j'ai voulu représenter Vanessa enfant, quand elle est perdue, sous emprise et ne voit pas clair. Personne autour d’elle ne fait preuve de bons sens. Elle est emprisonnée. Ces sensations rejaillissent sur elle sous la forme de douleurs physiques. Derrière l'écran, son corps se rebelle », explique-t-il.
Le Consentement avait créé un bouleversement dans la société française lors de sa sortie. Son adaptation théâtrale prolonge l'incrédulité qui nous avait saisis à la lecture du livre, face à cette mère démissionnaire, ce père absent et ce petit cercle littéraire préférant fermer les yeux, plutôt que de voir la monstruosité des actes de Gabriel Matzneff. Ce dernier est incarné à quelques moments dans la pièce par une Ludivine Sagnier caustique, donnant à la fois la rage et la nausée, quand on repense à la tolérance dont l'écrivain, aujourd'hui visé par une enquête pour viols sur mineur, a bénéficié d’une partie de l’intelligentsia et des médias en France.
« Nous avons créé le théâtre pour mieux se voir. Il agit comme un révélateur de ce que nous sommes cruellement », souligne Sébastien Davis. Avec sa pièce, il souhaite ouvrir les yeux du public sur « les pulsions viles des hommes », afin de travailler dessus et les refuser. L'écrivain de 86 ans, qui vit reclus en Italie et refuse de lire le livre de Vanessa Springora, devrait voir sa transposition théâtrale. Cela lui permettrait peut-être d'arrêter l'indécence de se faire passer pour la victime de cette affaire, à travers des écrits auto-édités ou des journaux oubliés.
Le Consentement, de Vanessa Springora, mise en scène de Sébastien Davis, avec Ludivine Sagnier. Du 7 mars au 6 avril au Théâtre du Rond Point.
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