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© Manuel Braun pour Causette

November ultra : "je suis fille d’ouvrier et je suis grosse : c’est mon exis­tence qui est politique"

Auréolée d’une Victoire de la musique à 34 ans, la musi­cienne pri­sée des fémi­nistes, apôtre des bal­lades cosy et d’un soft folk rose bon­bon, réédite son pre­mier album avant de par­tir faire la tour­née des salles combles.

La dou­ceur, est-​ce très chiant ? On pou­vait légi­ti­me­ment craindre le pire à la vue de la pochette de son pre­mier EP ornée de tulle frou­frou­tant, ou à l’écoute de mor­ceaux d’où s’élèvent des gazouillis d’oiseaux et des ron­rons de chat. Si les bons sen­ti­ments dégou­li­nants et le sen­ti­men­ta­lisme siru­peux n’ont jamais tué per­sonne, ils ont en revanche de quoi hor­ri­pi­ler. Pas d’inquiétude, November Ultra s’amuse de ces réserves : « On m’a déjà dit : “Ton truc, ça frôle le kitsch” parce que c’est rose, ça fait Bisounours, c’est trop. »

Orfèvre d’une musique qui ambi­tionne de reva­lo­ri­ser des émo­tions fémi­nines dédai­gnées comme la ten­dresse, dans son titre Soft & Tender, elle l’assume plei­ne­ment. Largement dif­fu­sée à la faveur des confi­ne­ments, cette ber­ceuse aux ver­tus conso­la­trices – son pre­mier suc­cès solo – a enchan­té les foyers, récon­for­té les oreilles et réchauf­fé les cœurs échau­dés par la pan­dé­mie. « Je l’ai faite en un week-​end, détaille la musi­cienne. J’ai aus­si enre­gis­tré et ajou­té plein de petites voix, mais c’était sur­tout pour cacher le fait que je n’arrivais pas encore à bien édi­ter les gui­tares sur [le logi­ciel de pro­duc­tion] Ableton. »

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© Manuel Braun pour Causette

Le por­trait qui accom­pagne la chan­son la montre enrou­lée dans le grand man­teau rose et duve­teux qu’elle affec­tionne. Dans le clip de Miel, elle fraye avec un gros bour­don cro­qui­gno­let dans un coquet logis bario­lé, façon Formica. Une fan­tai­sie chan­tée qui se nour­rit des comé­dies musi­cales six­ties de son enfance, comme La Mélodie du bon­heur ou Les Demoiselles de Rochefort. Elle se sou­vient : « Petite, j’allais dans ma chambre, je pre­nais ma couette pour me faire une fausse robe et chan­ter mes pas­sages pré­fé­rés de ces films, qui m’ont trans­mis l’idée de faire de la vie quelque chose de magique. Je me ren­dais compte que le réel n’était presque pas suf­fi­sant pour moi. »

Cette enfance soli­taire et intro­ver­tie est égayée par la chan­son : « Dès que j’ai su par­ler, je chan­tais tout le temps, tout le temps, au point que ça enqui­qui­nait mes parents. Mon grand-​père m’a appris ma pre­mière chan­son, une chan­son tra­di­tion­nelle espa­gnole, et je l’ai chan­tée devant un par­terre de vieilles dames, mon arrière- grand-​mère et mes arrière-​grands-​tantes. Ça a créé une connexion avec mon grand- père que j’ai trou­vée très forte. Cela m’a per­mis d’associer la joie et la musique. »

De Winehouse à Sciamma

Depuis, November Ultra n’a jamais renié ses pre­mières amours qui comptent aus­si Jeff Buckley, Amy Winehouse ou encore feu le boys band One Direction. Aujourd’hui, la musi­cienne encense autant la culture popu­laire que des réfé­rences plus poin­tues : elle a récem­ment pleu­ré à chaudes larmes dans les gra­dins de Starmania, tout en citant volon­tiers des œuvres poli­ti­sées comme Portrait de la jeune fille en feu, de Céline Sciamma, ou les BD des des­si­na­trices Mirion Malle et Julie Delporte. Les fémi­nistes de tout poil le lui rendent bien, louant tour à tour sa bien­veillance et sa voix de velours : « Avec elle, c’est comme plon­ger dans un nuage de Barbapapa, s’enflamme une ama­trice sur Instagram. Son uni­vers est inclu­sif, c’est une femme grosse sur scène, comme on en voit peu, elle fait de la place pour tout le monde et je me sens la bienvenue. »

Guitariste auto­di­dacte sur le tard, elle pra­tique le pia­no au conser­va­toire dès l’âge de 6 ans. Après des études en audio­vi­suel, Nova pour les intimes prend pour nom de scène un pseu­do qui amal­game son mois de nais­sance (novembre) et le titre d’une mix­tape du chan­teur Frank Ocean (Nostalgia, Ultra). À 24 ans, elle ren­contre sur Internet les futurs membres du trio de pop pari­sien Agua Roja, dont elle sera le timbre élé­giaque jusqu’à leur sépa­ra­tion en 2018. À l’époque, Robin Mahieux, coréa­li­sa­teur de leur clip Be Alone, se sou­vient avoir été « sur­pris par sa puis­sance vocale ». La chan­teuse fait tout son appren­tis­sage au sein de cette jeune for­ma­tion : « J’y ai vécu toutes mes pre­mières fois. C’est la pre­mière fois que j’ai dû écrire des chan­sons pour d’autres gens. Avant, j’attendais un peu la grâce divine. Là, j’ai dû me pro­fes­sion­na­li­ser et en faire un métier. » Surtout, la chan­teuse recon­naît a pos­te­rio­ri que le col­lec­tif a agi comme une thé­ra­pie, adou­cis­sant son anxié­té, voire sa pho­bie sociale : « Pendant long­temps, j’avais peur de sor­tir dans la rue, confie-​t-​elle. J’avais peur des hommes, du viol. Avant de mon­ter ce groupe, je n’avais aucune vie sociale. Quand je dis que la musique m’a sor­tie de ma chambre, c’est littéral. »

Lorsqu’elle reçoit la Victoire de la musique dans la caté­go­rie Révélation fémi­nine le 10 février, elle rap­pelle, très émue, que la récom­pense est une recon­nais­sance tar­dive, à 34 ans. « Quand j’avais 22 ans, j’ai fait une dépres­sion parce que je ne savais pas ce que je vou­lais faire de ma vie. Je me disais : “Merde, même en termes de rela­tion sen­ti­men­tale, je ne suis pas nor­male, ma vie, c’est un échec total.” J’avais aus­si inté­rio­ri­sé de la gros­so­pho­bie. J’étais capable de regar­der d’autres femmes et de me dire : “Mais pour­quoi elle met un biki­ni ?” alors que moi, je met­tais un une-​pièce. Aujourd’hui, je ne veux plus que les gens res­sentent ce que moi j’ai vécu à des moments où je n’étais pas bien. »

Au dire de ses fans les plus transi·es, l’objectif semble atteint : après avoir four­bi ses armes en pre­mière par­tie de ses com­parses Mélissa Laveaux, Pomme ou encore Clara Luciani, November Ultra s’efforce de créer, dans les salles de concerts où elle tran­site, un refuge sécu­ri­sant. À l’image de cette soi­rée à Montréal, l’an der­nier : « Il fai­sait super chaud, c’était cani­cu­laire, mais il y avait une éner­gie très douce. Quand je suis sortie, j’avais les bat­te­ries rechar­gées. J’ai aus­si joué à Los Angeles, où, à l’inverse, il y avait une espèce d’hystérie qui m’a dépas­sée. Quand tu fais des ber­ceuses et qu’il y a des cris stri­dents entre les chan­sons, c’est trop étrange. » La dif­fu­sion sur la pla­te­forme TikTok de ses chan­sons, majo­ri­tai­re­ment com­po­sées en anglais et en espa­gnol, a per­mis l’organisation d’une tour­née nord-​américaine pré­vue pour juin : long­temps com­plexée par ses ori­gines por­tu­gaises et espa­gnoles, ce tri­lin­guisme lui a fina­le­ment ouvert les portes d’un mar­ché international.

Talismans et objets précieux

Grande timide en dépit de sa noto­rié­té, November Ultra n’est tou­jours pas à son aise sur la route ni à l’étranger. Elle n’a d’ailleurs jamais quit­té le quar­tier de son enfance, à Boulogne-​Billancourt (Hauts-​de-​Seine), dans la ban­lieue ouest de Paris. Sa colo­ca­taire depuis quelques mois est une amie de longue date, ren­con­trée elle aus­si via Internet : Éva, 32 ans, est desi­gneuse de maté­riel pro­mo­tion­nel chez Universal, mai­son mère de son label Virgin Records, et a aus­si contri­bué à cer­tains cos­tumes de scène et à la pochette de son vinyle. Elle décrit un inté­rieur choi­si méticuleuse- ment où tout est à sa place, gar­ni avec soin de « talis­mans et d’objets pré­cieux. Dans la chambre de November ou dans le salon, tous les objets ont une signi­fi­ca­tion : il y a des dés, des pièces d’un jeu d’échecs, un pos­ter du chan­teur Harry Styles… Elle a besoin d’être entou­rée de ses objets qui la ras­surent. »

Réédité ce mois-​ci avec de nou­veaux tracks comme Novembre, son pre­mier album, Bedroom Walls, sor­ti en 2022, a jus­te­ment été entiè­re­ment com­po­sé et enre­gis­tré dans sa chambre, où elle a joué les femmes-​orchestres grâce à la MAO (musique assis­tée par ordi­na­teur). « Je me suis ren­du compte qu’avec juste de la voix, j’étais capable de faire un mor­ceau moi-​même de A à Z et ça m’a don­né beau­coup d’indépendance dans ma pro­duc­tion. J’ai dit à un de mes édi­teurs : “J’ai besoin que tu me trouves un binôme de tra­vail, tout le monde tra­vaille en binôme.” Il m’a répon­du : “Cette per­sonne, c’est toi.” »

Depuis, elle écrit éga­le­ment pour d’autres, comme Barbara Pravi ou encore Claire Laffut. Sa der­nière col­la­bo­ra­tion est un fea­tu­ring sur un titre du chan­teur Voyou, Soleil Soleil, une ritour­nelle feel good qui fleure bon l’insouciance et l’autoroute des vacances. Très proches, les deux artistes se sont ren­con­trés à une soi­rée il y a cinq ans : « On a le même rap­port à la dou­ceur, à la musique comme quelque chose qui doit faire du bien, confirme Voyou. On tra­vaille aus­si tous les deux seuls et on a du mal à col­la­bo­rer avec d’autres. On passe des heures à peau­fi­ner le moindre détail. On peut dire qu’on est légè­re­ment obsessionnels… »

“C’est mon exis­tence qui est politique”

Aujourd’hui, la chan­teuse s’interroge sur les leviers d’action à dis­po­si­tion des artistes pour se faire entendre dans l’arène poli­tique. Fille d’un ouvrier dans le bâti­ment et d’une gar­dienne d’immeuble, elle s’inquiète pour la réforme des retraites et se désole : « Ma mère est allée voir un méde­cin. On lui a dit : “Vous avez eu un acci­dent de voi­ture ? Votre dos est tota­le­ment défon­cé.” C’est parce qu’elle cirait les esca­liers à quatre pattes. Donc oui, il y a des métiers où l’on n’arrive pas jusqu’à la retraite. Forcément, tu te sens concer­née. » Si elle a appe­lé à voter à la der­nière pré­si­den­tielle plu­tôt que de signer des lettres ouvertes, elle pré­fère s’adresser au plus grand nombre, par fidé­li­té à ses ori­gines popu­laires. « Parfois, je me dis que je pré­fé­re­rais don­ner cette pla­te­forme à quelqu’un qui va incroya­ble­ment bien s’exprimer, et mieux le faire que moi. Moi, je suis fille d’ouvrier et je suis grosse : c’est mon exis­tence qui est poli­tique. Je peux peut-​être avoir un impact à tra­vers ce que je dis, mes concerts et ce que je mets dans mes chan­sons. » Une semaine avant de fêter ses 30 ans, elle a jus­te­ment com­po­sé Miel, hymne aux paroles affran­chies : « I don’t want to get mar­ried, don’t wan­na have your baby. » « Les paroles qui sont sor­ties ce jour-​là, c’est “Je ne veux pas avoir d’enfant”. Je pense que je res­sen­tais une pres­sion per­son­nelle, explique-​t-​elle. Puis j’ai vu des amies autour de moi qui me res­semblent faire ce choix-​là et je me suis dit : “Ah, OK, on a le droit.” » Et comme cette férue d’astrologie (scor­pion ascen­dant ver­seau) croit fort aux signes et aux sym­boles, son pro­chain concert dans la salle mythique de l’Olympia à Paris aura lieu, for­cé­ment, en novembre. 

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Bedroom Walls, de November Ultra. Virgin Records. En tour­née en 2023

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