En novembre 2017, le président de la République décrétait l’égalité entre les femmes et les hommes « grande cause nationale » de son quinquennat. À un peu plus d’un mois de l’élection présidentielle à laquelle il a annoncé sa candidature le 3 mars, l’ONG Oxfam dresse un bilan mitigé de cette ambition.
Que retiendra-t-on du (premier ?) quinquennat d’Emmanuel Macron en matière des droits des femmes ? Dans une lettre aux Français·es publiée dans la presse régionale jeudi 3 mars, le président de la République a sollicité un renouvellement de la confiance des électeur·rices pour lui accorder un nouveau mandat. L’heure est donc au bilan du premier. L’ONG Oxfam1 a publié hier Grande cause, petit bilan, un rapport qui décrypte les efforts de l’exécutif en matière d’égalité entre les femmes et les hommes.
Les attentes des féministes en la matière étaient grandes. Car en plus de s’être déclaré féministe lorsqu’il était candidat à la fonction suprême, Emmanuel Macron avait, dès novembre 2017, déclaré cette égalité « grande cause nationale ».
En notant cinq grands postes où se sont logés les efforts de l’exécutif (budget et institutions ; lutte contre les violences ; égalité professionnelle et lutte contre les inégalités économiques ; diplomatie féministe et droits sexuels et reproductifs), le rapport dresse un bilan mitigé de cette ambition. D’autant plus dans un contexte sociétal où les questions de domination patriarcale et des violences de genre ont fait irruption sur le devant de la scène médiatique. « Au niveau international, ces cinq dernières années ont été marquées par des mouvements sociaux et des vagues de mobilisation jamais vues, au premier rang desquelles l’onde de choc #MeToo », rappelle ainsi Oxfam en préambule de son rapport. C’est d’ailleurs dans la foulée de cette onde de choc que le président de la République décide de cette « grande cause nationale ». Par la suite, #MeTooInceste ou plus récemment #DoublePeine sur la façon dont sont (mal) reçues les femmes victimes de violences conjugales ou sexuelles dans les commissariats ont, là encore, obligé le gouvernement de se saisir de ces sujets. En ce sens, note Oxfam, « nous aurions pu donner une excellente note en communication, car le gouvernement répète souvent qu’il a un bilan exemplaire en matière d’égalité femmes-hommes. » « Malheureusement, complète Sandra Lhote-Fernandes, responsable du plaidoyer Droits des femmes d’Oxfam France, quand on creuse, les mesures prises ne sont pas très ambitieuses ni suffisamment financées. »
Des moyens en deçà des ambitions
De fait, puisque l’argent est le nerf de la guerre des politiques publiques, c’est d’abord là que le bât blesse aux yeux d’Oxfam. L’ONG a accordé une mention « insuffisant » aux efforts budgétaires de l’exécutif. « Le budget dédié à l’égalité femmes-hommes a certes augmenté mais il reste trop faible, explique le rapport. 0,25 % du budget général en 2022. » Dans le détail, il est tout de même à noter que le budget spécifique au ministère de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances a quasi doublé entre 2017 et 2022, passant de 29,8 millions à 50,6 millions d’euros. Ce budget, qui représente à peine 0,01 % du budget global de la France, permet notamment de financer les associations d’aide aux victimes comme le 3919 ou d’accès aux droits reproductifs comme le Planning familial. À ce budget ministériel, il faut ajouter des budgets de politique transversale, souvent gérés par les ministères de l’Intérieur et de la Justice, notamment dans le cadre de la lutte contre les violences, et qui permettent donc d’arriver au chiffre de 0,25 %, soit 1,3 milliard d’euros en 2022.
Des cabinets ministériels encore très masculins
En ce qui concerne l’égalité au sein des institutions, si le gouvernement actuel est composé de plus de femmes ministres (dix-sept) que d’hommes (quatorze) et de cinq secrétaires d’État femmes pour six hommes, Oxfam pointe une parité de surface. Ainsi, encore 80 % des ministères ont un directeur de cabinet masculin.
Quel argent pour la lutte contre les violences ?
Pour Oxfam et les associations partenaires, on est donc très loin du milliard d'euros qu'elles exigent pour spécifiquement pour la lutte contre les violences conjugales. Là encore, c'est le manque de moyens qui justifie une mention « insuffisant » aux politiques publiques engagées. Depuis l'annonce, en conclusion du Grenelle contre les violences conjugales de l'automne 2019, d'allouer 360 millions d'euros exclusivement à cette lutte, le flou artistique règne. « Ce chiffre est depuis utilisé par le gouvernement pour désigner tantôt la lutte contre "les violences conjugales", tantôt la lutte contre "les violences faites aux femmes" en général », dénonce Oxfam.
Le flop de « l’outrage sexiste »
Au-delà de cette guerre financière, Oxfam ausculte une loi emblématique du passage de Marlène Schiappa au secrétariat à l’Égalité : la création, en 2018, d’une infraction d’outrage sexiste censée lutter contre le harcèlement de rue. Comme d’autres avant elle, l’ONG observe que « la principale limite de ce dispositif est que les flagrants délits [qui conditionnent l’infraction, ndlr] sont rares ».
Où sont les bracelets anti-rapprochement et les téléphones grave danger ?
En ce qui concerne les violences conjugales, Oxfam juge « inadmissible » qu’encore « quatre femmes sur dix qui en font la demande n’aient aucune solution d’hébergement », malgré la création de places supplémentaires tout au long du quinquennat. De la même manière, l’ONG déplore que le téléphone grave danger ne soit disponible que pour 2 % des victimes, ainsi qu’un « recours limité au bracelet électronique anti-rapprochement (BAR) », malgré une circulaire de septembre 2020 autorisant son application avant la condamnation du conjoint violent. La sous-utilisation du BAR (seulement 469 actifs le 21 décembre 2021, selon les chiffres du ministère de la Justice) s’explique par de grandes disparités territoriales d’application par les tribunaux : « Le 25 octobre 2021, souligne Oxfam, un seul BAR était actif à Paris (environ 2,1 millions d’habitants) contre 38 à Val-de-Briey (environ 8000 habitants). » Parmi les 113 féminicides recensés en 2021 par le gouvernement, de nombreuses femmes n’avaient pas été protégées ni par le téléphone grave danger ni par le BAR, comme l’a montré l’emblématique cas de Chahinez Daoud pour lequel les manquements de l’institution policière avaient été pointés.
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#DoublePeine et manque de formation des policier·ères
C'est d'ailleurs le gros point noir de la lutte contre les violences conjugales et, plus largement, sexistes et sexuelles : la prise en charge des victimes par la police, comme en attestent les milliers de témoignages qui ont émergé sous le hashtag #DoublePeine à l'automne 2021. Dans son rapport, Oxfam tance l'insuffisance structurelle de la formation des forces de l'ordre à l'accueil, l'écoute et l'accompagnement des victimes, malgré l'engagement pris lors du Grenelle de 2019 à « former 100% des élèves policiers et gendarmes ». « Lors de ses vœux à la presse en janvier 2022, Elisabeth Moreno annonçait que 90 000 policiers et gendarmes avaient reçu une formation pour un meilleur accueil et un meilleur accompagnement des victimes, c'est encore insuffisant sachant que la France compte plus de 250 000 forces de l'ordre », observe Oxfam.
Pour conclure sur ce sujet, l’ONG ne manque pas de rappeler que les nominations de Gérald Darmanin à l’Intérieur, qui faisait alors l’objet d’une procédure judiciaire pour viol, et d’Éric Dupond-Moretti à la Justice, qui avait tenu des propos antiféministes en réaction au mouvement #MeToo, ont entaché la communication de l’exécutif sur le volontarisme de lutter contre les violences de genre. D’ailleurs, Emmanuel Macron lui-même avait choisi de s’alarmer du risque d’une « société de l'Inquisition », après la diffusion d’une enquête d’Envoyé spécial donnant la parole à des femmes accusant son ancien ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot d’agressions sexuelles.
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Égalité professionnelle : l'index mis à l'index
Autre sujet de déception : l’égalité professionnelle, sur laquelle le gouvernement avait choisi de lutter avec une mesure phare, un index dédié pour toute entreprise d’au moins 50 salarié·es. Sur le papier, les différents indicateurs (écart de rémunération, écart dans les promotions…) permettaient de noter sur 100 points l’application de l’égalité salariale dans ces sociétés. Mais pour Oxfam, « le diable se cache dans les détails » : « Sous la pression du patronat, les indicateurs de l’index ont été construits de telle manière qu’ils permettent de fortement minimiser, voire cacher la réalité des inégalités de salaire au sein des entreprises. » Ainsi, sur l’indicateur des augmentations au retour d’un congé maternité – une obligation légale –, « il suffit par exemple que l’employeur augmente toutes les salariées de retour d’un congé maternité d’un montant d’un euro pour obtenir [la note de] 15/15. » De fait, pour Oxfam, la note de 85/100 obtenue en moyenne par les entreprises concernées le 8 mars 2021 n’est pas forcément fiable… Et contribue à masquer l’écart persistant de salaire moyen global en France de 23 % entre les hommes et les femmes (16,5 % à poste égal).
L'espoir de la loi Rixain
Oxfam souligne cependant les avancées qu’a permises la loi Rixain pour « briser le plafond de verre » : avec l’instauration de quotas au sein des postes de direction des entreprises de plus de 1 000 salarié·es, les comités exécutifs devraient se féminiser d’ici 2030 (l’objectif est de 40 %) sous peine d’amendes conséquentes.
La frustration du congé deuxième parent
Côté acquis sociaux, le gouvernement peut mettre en avant le congé deuxième parent, porté à vingt-huit jours en juillet 2021 (contre onze auparavant), dont sept obligatoires. Toujours insuffisant pour Oxfam, qui plaide pour une égalité dans ces congés, enjeu crucial d’égalité au sein des couples.
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De bonnes nouvelles du côté des finances
En revanche, l’individualisation de l’impôt et des prestations sociales (promesse de campagne de 2017) et l’extension récente, le 1er mars 2022, du dispositif de lutte contre les impayés des pensions alimentaires sont à porter au crédit du gouvernement.
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La grande déception de l'AAH
Mais le refus de l’exécutif de déconjugaliser l’Allocation adulte handicapé (AAH) – et ce, malgré la grande mobilisation, via une pétition signée par plus de 100 000 personnes – vient ternir, là encore, ces mesures en faveur de l’égalité.
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Une PMA pour toutes enfantée dans la douleur
Question droits reproductifs, le mandat présidentiel a reçu les « encouragements » d'Oxfam, avec, en terme de mesure phare, l'ouverture de l'Assistance médicale à la procréation (AMP) aux femmes célibataires et aux femmes lesbiennes – une promesse de campagne. À son propos, Oxfam note que ce nouveau droit a été arraché au Parlement en juin 2021 au prix d'un combat législatif long et poussif. Dans le cadre de la loi bioéthique qui l'a portée, on peut aussi souligner l'autorisation de l'autoconservation des ovocytes.
Une amélioration en matière de santé des femmes
Pour le reste, on soulignera que les mobilisations féministes ont porté leurs fruits, avec, en vrac, l’arrivée de ces nouvelles lois ou mesures : la gratuité de la contraception pour les femmes jusqu’à leurs 25 ans et un effort pour lutter contre la précarité menstruelle (avec une hausse du budget consacré, de 1 à 5 millions d’euros), le récent allongement du délai de l’IVG (de douze à quatorze semaines), lui aussi obtenu à la suite d’un long combat législatif, et une stratégie nationale de lutte contre l’endométriose qui financera la recherche (mais fait l’impasse sur la reconnaissance de cette maladie, qui toucherait une femme sur dix, comme affection longue durée (ALD)).
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L'éclosion d'une "diplomatie féministe"
Enfin, Oxfam consacre tout un chapitre à la « diplomatie féministe » mise en place par Emmanuel Macron dès 2018 lors de son discours à l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU), qui elle aussi est saluée par les « encouragements » de l’ONG. Par exemple, la France a annoncé octroyer « 120 millions d’euros en faveur des mouvements féministes [dans les pays du Sud] » ou encore, en juin 2021 lors du Forum Génération égalité, « 100 millions d’euros sur les cinq prochaines années sur les droits sexuels et reproductifs ». Notre pays a aussi « soutenu à hauteur de 6,2 millions d’euros le Fonds mondial pour les survivant·es de violences sexuelles liées aux conflits, à l’initiative des Prix Nobel de la Paix Denis Mukwege et Nadia Murad. » Oxfam invite la France à poursuivre cet engagement(amorcé en 2013 sous François Hollande) en renforçant ses budgets d’aides ciblant spécifiquement l’égalité femmes-hommes : si l’objectif est d’intégrer l’égalité dans 50 % de son aide extérieure, le chiffre n’atteint que 31 % aujourd’hui, loin derrière le Canada ou la Suède, pays pionniers en la matière.
- accompagnée des ONG Equipop et CARE France et avec la participation d’associations expertes telles que la Fondation des femmes[↩]