Suite à l’affaire « Pascal OP » : pro­po­si­tions pour que le por­no change enfin, par Olympe de G.

Réalisatrice de pornographie alternative, éthique et féministe, l'ancienne performeuse Olympe de G. a souhaité revenir, pour Causette, sur l'affaire French Bukkake. Et esquisser un futur souhaitable de la pornographie.

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French horror story

Le Monde a consacré, en décembre, une longue enquête à l’affaire « Pascal OP », du nom du réalisateur et producteur du site pornographique French Bukkake. Elle détaille comment un rabatteur se faisait passer sur les réseaux sociaux pour une mannequin, « Axelle », afin de convaincre des jeunes femmes en situation de précarité que l’escorting leur procurerait de l’argent facilement et rapidement. Ce rabatteur organisait une première passe à Reims, et c’est en fait lui qui les rejoignait, les violait, avant de partir sans les payer. Lorsqu’elles confiaient par messages à « Axelle » qu’elles venaient d’être violées, celle-ci les orientait vers les tournages de vidéos X de « Pascal OP » en leur promettant cette fois encore plus d’argent, pour une seule scène.

Les jeunes femmes, traumatisées, en difficulté financière, ayant perdu une somme d’argent non négligeable lors de leur déplacement à Reims, acceptaient de tourner leur premier porno. « Pascal OP » leur promettait des scènes soft, avec un partenaire unique, fellation et pénétration vaginale, port du préservatif, pour lesquelles elles seraient rémunérées jusqu’à 2000 euros. Les films seraient diffusés uniquement, leur garantissait-on, sur un site ultra confidentiel au Canada. Une fois sur le tournage, les jeunes femmes se voyaient contraintes de consommer alcool et stupéfiants, d’accepter des rapports anaux, des doubles pénétrations, des actes violents avec plusieurs partenaires, le tout sans test de dépistage des MST ni protection. Entre deux scènes, « Pascal OP » leur extorquait des rapports sexuels. Le supplice se prolongeait jusqu’à la vidéo finale : un bukkake, soit la mise en scène d’une quarantaine d’hommes encagoulés éjaculant sur une jeune femme. Les victimes étaient finalement jetées à une gare, parfois sans leurs affaires, et payées bien moins que promis, voire pas du tout. Quelques temps plus tard, elles découvraient que leurs vidéos étaient en ligne sur de nombreux sites X français et circulaient très largement.

Reconnues par leur entourage, harcelées, elles demandaient à ce que les vidéos soient retirées. La production exigeait alors jusqu’à 4000 euros. Désespérées, elles finissaient par s’endetter pour racheter les vidéos qui, même après leur retrait des plateformes payantes, restaient accessibles très largement sur les plateformes gratuites.

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Olympe de G., par Alexander Bee
Quelles lois, contre un cinéma de brutes et de truands ?

J’ignore à quel point les diffuseurs des vidéos de « Pascal OP », grands noms du X français, étaient au courant des pratiques criminelles de ce producteur et réalisateur. Pour ma part, j’en ai eu connaissance en 2018, grâce au livre d’investigation du journaliste Robin d’Angelo Judy, Lola, Sofia et moi. Trois ans après, l’enquête du Monde a le mérite d’exposer le fonctionnement étendu du réseau de production de vidéos de « Pascal OP ». Mais je ne peux m’empêcher de sursauter quand je lis dans ces lignes du Monde que ce dossier « pourrait sortir pour la première fois la pornographie du flou juridique qui l’entoure en envisageant de la traiter comme du proxénétisme ». Il me semble qu’il y a une distinction à faire entre « la pornographie » — c’est à dire la représentation d’actes sexuels non simulés — et une certaine forme de pornographie, faite sans le moindre respect des personnes filmées ni des droits du travail. 

Criminaliser la pornographie pour punir les crimes sexuels reviendrait à rendre répréhensible un domaine d’activité dans son ensemble. On n’a pas proposé de criminaliser toute l’industrie du cinéma lorsqu’ont été révélés les agissements de Harvey Weinstein. Ni de pénaliser les massages, quand on a découvert avec effroi le réseau d’exploitation sexuelle de mineures monté par Jeffrey Epstein et Ghislaine Maxwell. Pourtant, dans le cinéma comme dans les thérapies corporelles, des corps plus ou moins nus entrent en contact, des contacts plus ou moins intimes font l’objet de transactions financières, et les travailleurs et travailleuses de ces industries peuvent se retrouver en situation de vulnérabilité face à une équipe, à un.e client.e qui outrepasse les limites convenues. 

Le droit pénal français dispose déjà des outils nécessaires pour lutter contre l’exploitation des êtres humains et contre le viol. L’article 222-223 du code pénal indique que « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis (...) par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. » Y compris sur un tournage de film porno. Transformer une scène de pénétration vaginale en scène de pénétration anale par surprise ou contrainte est un viol. Dans le porno comme partout.

L’article 225-4-1 du code pénal définit quant à lui, dans le cadre de l’infraction de traite des êtres humains, l’exploitation comme le fait de « mettre la victime à sa disposition ou à la disposition d'un tiers », en employant la menace, la violence, en abusant de sa position d’autorité et/ou de la vulnérabilité de sa victime afin notamment de commettre contre elle des actes de proxénétisme ou d'agression sexuelle. Recruter, transporter et héberger des jeunes femmes précaires pendant plusieurs jours, comme dans l’affaire « Pascal OP », afin de leur extorquer un maximum de rapports sexuels, après les avoir poussées à consommer alcool et stupéfiants ; et tirer profit à la fois personnellement et commercialement de la situation en leur faisant miroiter une rémunération répond à cette définition. La traite d’êtres humains est un des chefs d’accusation retenus contre le réalisateur et producteur de French Bukkake.  

Ces lois visant à interdire fermement les rapports sexuels non consentis et l’exploitation sexuelle existent donc déjà. Elles ne demandent qu’à être — beaucoup mieux — appliquées. Si la solution n’est pas juridique, alors que faire ? Que faire pour que le porno ne soit plus jamais le lieu d’actes criminels prenant pour cible des femmes vulnérables ?

Diffuseurs de porno, vous avez le pouvoir de réformer cette industrie !

Les diffuseurs français de porno ont le pouvoir, et donc la responsabilité, de changer leur industrie. Canal + a réussi à imposer le port du préservatif dans le X français en décidant de ne plus acheter et diffuser que des films où les rapports sexuels filmés étaient protégés. Il est temps d’aller plus loin.

Aujourd’hui, les diffuseurs de porno peuvent et doivent imposer aux producteurs de contenus X avec qui ils collaborent des conditions de tournage impeccables. Dorcel, Jacquie & Michel, Union, Canal + et consorts, pourquoi ne pas vous rassembler et signer une charte commune ? Les producteurs qui ne respecteraient pas cette charte en tous points ne pourraient être diffusés sur aucune de vos plateformes.

Qu’inscrire dans cette charte ? Ex-performer de porno, je réfléchis aux conditions de tournage des scènes intimes depuis quelques années. Voici quelques idées que j’ai rassemblées dans le cadre de ma dernière réalisation, Une dernière fois, en m’appuyant sur mon expérience d’actrice :

1 - Je ne peux consentir à tourner une scène intime qu’après avoir rencontré mon/ma co-performer (ne serait-ce qu’en visio). Tout changement de partenaire de dernière minute, comme cela se fait trop souvent dans le X, est exclu : une rencontre sexuelle se prépare.

2 - Le porno est une fiction sexuelle, et comme toute fiction, elle doit être scriptée avec précision. Je dois pouvoir lire dans un script quels gestes sont supposés être donnés et reçus dans ma scène.

3 - Quand je débutais dans le porno, il m’était difficile d’énoncer mes limites sexuelles, car je n’y avais jamais réfléchi. J’avais pourtant plus de 30 ans ! Je souhaite donc mieux encadrer les discussions autour du consentement. Utiliser des questionnaires, inspirés de ceux que l’on trouve dans le milieu du BDSM, permet d’aborder le consentement de façon précise et aussi exhaustive que possible. Quelles parties de mon corps est-ce que j’accepte de montrer à l’image, quelles protections contre les MST me permettent de me sentir safe, quels fluides biologiques sont OK sur ma peau, quid de la pénétration, avec quel vocabulaire suis-je à l’aise ? Une fois remplis, les questionnaires seront adjoints aux contrats de comédien.ne.s des performers.

4 - Il est crucial que les performers puissent retirer leur consentement à tout moment, par exemple, si leur condition physique ou psychique a changé (douleurs, anxiété…), ou encore si les conditions de tournage ne leur conviennent plus (équipe brusque, lieu peu sécurisant…). Et si la production les payait avant la scène, et non plus après ? Les performers pourraient interrompre le tournage au moindre malaise, sans arrière-pensée pour l’argent perdu, puisqu’il leur serait acquis.

5 - Il existe des déclarations des droits des performers de porno, rédigées par les performers eux-mêmes. Notamment le Performer Bill of Rights de l’Adult Performer Advocacy Committee (APAC). J’aimerais que toute production qui travaille avec des performers s’engage à les respecter, les adjoigne à leurs contrats et les affiche bien en vue sur le lieu du tournage. J’ai commencé à collaborer avec une coordinatrice d’intimité sur mon dernier film. La coordinatrice d’intimité est une personne ressource pour les performers, qui sait précisément ce qui a été convenu et peut interrompre le tournage de la scène si elle a le moindre doute sur le bien-être d’un.e des participant.e.s. Elle est la gardienne des limites que les performers ont fixées. Je crois dur comme fer que ce poste est nécessaire, essentiel même, sur tous les tournages de X.

Au travail !

Ce n’est pas le porno qu’il faut aveuglément chercher à abattre. C’est la manière de le réaliser qui doit être réinventée. La pornographie est belle, quand elle est produite dans de bonnes conditions. Et même : la pornographie est nécessaire. Comment imaginer censurer la représentation de l’expérience humaine la plus commune, et la plus extraordinaire à la fois, qu’est la sexualité ? Quelle société serait la nôtre, si dépenser des dizaines de milliards de dollars pour représenter la violence sous toutes ses formes (films de guerre, d’apocalypse et autres blockbusters) restait un must, mais capter à l’image des sexes désirants devenait un délit ? Plutôt que de prohiber la pornographie toute entière, il faut repenser sa production. Imposer strictement des conditions de travail correctes pour les acteurs et actrices. Et soutenir activement les initiatives visant à créer du contenu sexuellement explicite éducatif, artistique, féministe — comme la Suède l’a fait en appuyant financièrement le travail de la réalisatrice Mia Engberg. La pornographie engagée existe, elle ne demande qu’à être encouragée pour mieux se développer.

Alors ? On s’y met ?

Dernier ouvrage paru d’Olympe de G., écrit avec Stéphanie Estournet, Jouir est un sport de combat, Larousse, 2021

Lire aussi l « French Bukkake » : Le Monde révèle les dessous d’une enquête tentaculaire sur les viols dans l’industrie porno

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