Planning fami­lial : la laï­ci­té est-​elle en danger ? 

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Avis de tem­pête au Planning fami­lial ! Début octobre, alors que l’association pré­pare son tra­di­tion­nel congrès natio­nal (les 26, 27 et 28 octobre), ses copré­si­dentes reçoivent un cour­rier de Marlène Schiappa. Motif ? La secré­taire d’État char­gée de l’Égalité entre les femmes et les hommes s’inquiète de « la sup­pres­sion de la valeur “laï­ci­té” des sta­tuts de l’association », et pro­pose « un échange direct » afin d’évoquer les « poten­tielles consé­quences » que pour­rait avoir cette déci­sion pour le Planning qui, rappelle-​t-​elle, « per­çoit une sub­ven­tion de l’État d’un mon­tant de 272 000 euros chaque année au niveau cen­tral ».
Une menace à peine voi­lée, qui fait suite à un article paru en sep­tembre dans Charlie Hebdo, dans lequel l’hebdomadaire accu­sait l’association de renier son posi­tion­ne­ment fémi­niste uni­ver­sa­liste au pro­fit d’une approche « inter­sec­tion­nelle » (qui prend en compte les pro­blé­ma­tiques sexistes, mais aus­si éco­no­miques, raciales ou reli­gieuses). En février, déjà, le jour­nal sati­rique avait publié une enquête explo­sive sur le mou­ve­ment, l’accusant de « renon­cer à la laï­ci­té » et de ver­ser dans le rela­ti­visme cultu­rel, jusqu’à tolé­rer l’excision par res­pect des par­ti­cu­la­rismes reli­gieux. De quoi don­ner des sueurs froides et nous inter­ro­ger : le Planning a‑t-​il renié ses valeurs ? 

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Véronique Séhier

Coprésidente du Planning familial 

« La laï­ci­té n’a jamais dis­pa­ru des sta­tuts du Planning fami­lial : elle n’y a jamais figu­ré. Nos sta­tuts, qui défi­nissent l’objet de l’association, sont axés sur l’égalité, la défense des droits sexuels et repro­duc­tifs, des droits des femmes et la lutte contre les dis­cri­mi­na­tions et les vio­lences. Et nous avons une charte, signée par toutes les per­sonnes inter­ve­nant en notre nom, qui, elle, men­tionne que nous sommes une asso­cia­tion laïque. Nous avons tou­jours défen­du la laï­ci­té telle qu’elle est ins­crite dans la loi de 1905, qui garan­tit la liber­té de croire ou de ne pas croire et n’a jamais impo­sé à qui que ce soit, en dehors des fonc­tion­naires, une neu­tra­li­té dans l’espace public. Au Planning, nous accueillons de manière incon­di­tion­nelle toutes les femmes – usa­gères ou mili­tantes –, qu’elles portent un débar­deur échan­cré ou un fou­lard. 
Il ne faut pas se trom­per de com­bat : il y a aujourd’hui, en France, une bagarre idéo­lo­gique sur la laï­ci­té, ins­tru­men­ta­li­sée à des fins poli­tiques, et cette ques­tion dépasse lar­ge­ment le Planning. Nous sommes un mou­ve­ment démo­cra­tique, avec soixante et onze asso­cia­tions dépar­te­men­tales : des débats internes et des groupes de tra­vail, il y en a tou­jours eu, sur ce sujet comme sur d’autres. Et c’est peut-​être ce qui nous vaut ces attaques. Quand Charlie Hebdo écrit que nous ne serions pas claires sur l’excision, je trouve cela hon­teux ! On lutte depuis très long­temps contre cette pra­tique, avec d’autres : le Gams (Groupe pour l’abolition des muti­la­tions sexuelles et des mariages for­cés), Stop Excision… C’est un pro­cès d’intention qui nous est fait là, et il aurait été bien que Charlie Hebdo nous appelle avant d’écrire son article. Nos fon­da­men­taux sont les mêmes depuis tou­jours : per­mettre l’accès aux mêmes droits pour toutes les per­sonnes, y com­pris pour celles qui en sont le plus éloignées. »

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Marlène Schiappa

Secrétaire d’État char­gée de l’Égalité entre les femmes et les hommes 

« J’ai tenu à ren­con­trer les deux pré­si­dentes du Planning fami­lial au sujet de la laï­ci­té car, outre l’enquête de Charlie Hebdo, cela fait un peu plus d’un an que j’ai des remon­tées de ter­rain ques­tion­nantes sur Le Planning. Elles peuvent pro­ve­nir d’autres asso­cia­tions ou même de femmes ayant recours aux ser­vices du Planning. Au même moment, une des antennes a pro­po­sé publi­que­ment de reti­rer le prin­cipe de laï­ci­té de la charte, donc je me suis dit que ce n’était pas juste des faits iso­lés, mais peut-​être une forme de chan­ge­ment de ligne.
Certes, le terme de “laï­ci­té” n’a été ajou­té qu’en 2016 dans la charte, mais si l’insérer n’est pas neutre, deman­der qu’il soit reti­ré ne l’est pas non plus. Les deux pré­si­dentes m’ont assu­ré qu’il s’agissait d’une demande locale, mais quel est le pro­jet der­rière ? Je serai très vigi­lante aux conclu­sions du congrès à ce pro­pos. Il n’appartient pas au gou­ver­ne­ment d’arbitrer des débats internes aux asso­cia­tions, mais d’assurer la défense des valeurs répu­bli­caines au quo­ti­dien dans l’accueil et l’information don­nés aux femmes. L’orientation poli­tique du Planning lui appar­tient et jamais je ne remet­trai en cause une sub­ven­tion pour cela, mais j’exige que le cadre répu­bli­cain soit res­pec­té.
Par exemple, lorsqu’une mili­tante du Planning de Marseille écrit, dans un com­men­taire sur la page Facebook de son antenne locale, que l’excision peut être un choix, cela s’appelle du rela­ti­visme cultu­rel et nous devons le com­battre. Les pré­si­dentes du Planning ont été très claires sur le fait que ces pro­pos n’auraient pas dû être, que c’était une erreur et m’ont assu­ré de leur enga­ge­ment sur ce sujet-​là, donc je suis ras­su­rée. Je ne crois pas que la natio­na­li­sa­tion ou l’étatisation des indis­pen­sables actions du Planning soit une solu­tion. Ce serait dom­ma­geable pour la struc­ture his­to­rique tout comme pour leurs usa­gères, qui y trouvent une iden­ti­té mili­tante et une ouver­ture d’esprit précieuses. » 

portrait A. Romerio A
© DR

Alice Romerio

Sociologue*

« Le Planning est une asso de ter­rain. On y relève une forte hété­ro­gé­néi­té géné­ra­tion­nelle et des posi­tion­ne­ments fémi­nistes : on peut s’y reven­di­quer de Caroline Fourest comme de Virginie Despentes ou d’Angela Davis… Sans que ce soit cli­vant au quo­ti­dien. Si les mili­tantes parlent de laï­ci­té, c’est avant tout à l’image du reste de la socié­té : au déjeu­ner ou devant un café, en réac­tion à l’effet de loupe média­tique. Et ces échanges reflètent les dif­fé­rents points de vue au sein de l’espace fémi­niste fran­çais. Le congrès, moment très poli­tique, pola­rise méca­ni­que­ment ces positions.

Avec la loi sur le voile à l’école, en 2004, le terme “laï­ci­té” a acquis une charge poli­tique forte. Le gros chan­ge­ment, c’est que les pou­voirs publics font de plus en plus de la laï­ci­té une injonc­tion, et elle devient omni­pré­sente dans les appels à pro­jets, les conven­tions, etc. Le finan­ce­ment des asso­cia­tions dépar­te­men­tales dépend de ces contraintes ins­ti­tu­tion­nelles. Du coup, cer­taines mili­tantes s’interrogent sur l’usage et le sens de ce terme au sein de leur mou­ve­ment. Mais on reste très loin d’un “lob­by inter­sec­tion­nel” dans les rangs du Planning ! Rappelons que le Planning reste évi­dem­ment non confessionnel. » 

* Autrice de la thèse « Le tra­vail fémi­niste. Enquête sur la pro­fes­sion­na­li­sa­tion du mili­tan­tisme fémi­niste au Planning fami­lial », 2019. 

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