Valérie Pécresse a annoncé dimanche avoir retiré le prix Simone Veil à Zineb El Rhazoui en raison de ses propos tenus sur le conflit israélo-palestinien. Il y a quatre ans, au moment de la remise du prix, les propos déjà polémiques de la journaliste sur les violences urbaines n’avaient pourtant pas dérangé la présidente de la Région Ile-de-France.
C’est ce qu’on appelle un rétropédalage en règle. Quatre ans après lui avoir décerné le prix Simone-Veil des Trophées Elles de France, Valérie Pécresse (LR) a annoncé sur son compte Facebook, dimanche 10 décembre, avoir retiré ce prix à Zineb El Rhazoui. La présidente de la Région Ile-de-France justifie ce retrait par la récente prise de position de la journaliste et essayiste sur le conflit israélo-palestinien.
Plus particulièrement un retweet d'un post publié sur X (ex-Twitter) où sont comparés les bombardements de l’armée israélienne sur la bande de Gaza depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre dernier avec la Shoah. Pour Valérie Pécresse, les déclarations “outrancières et choquantes” de Zineb El Rhazoui ne lui semblent “absolument pas conformes au message de paix porté toute sa vie par Simone Veil”. C’est donc “en accord avec les ayant droits de Simone Veil”, a‑t-elle précisé sur Facebook, qu’elle lui a retiré ce prix.
Trouble et consternation
Parmi les ayant droits de Simone Veil, son petit-fils, Aurélien Veil, s’était justement exprimé sur X avant l’annonce de Valérie Pécresse. “Parmi les combats de ma grand-mère figurent la transmission de la mémoire de la Shoah et le refus de la banalisation du génocide commis par les nazis”, a‑t-il écrit à destination de la présidente de la Région, ajoutant que si “chacun est libre de ses idées et de ses déclarations, et Mme El Rhazoui comme tout autre. […] [Il ne peut] toutefois s’empêcher de [lui] faire part de [son] trouble et [sa] consternation de constater que le nom de [sa] grand-mère est associé” à celui de Zineb El Rhazoui.
Pour décrypter le rétropédalage de Valérie Pécresse, il faut rembobiner le fil d’une autre polémique et se rendre compte alors que la présidente de la Région Ile-de-France fait là preuve d’une indignation à géométrie variable. Retour pour cela en novembre 2019. Au 7 novembre 2019 très exactement. Jour où Zineb El Rhazoui se voit remettre le prix Simone Veil des Trophées Elles de France, des mains de Jean Veil, fils de Simone, en personne.
Le prix récompense chaque année, depuis 2018, une francilienne incarnant "l’héritage de Simone Veil”, c'est-à-dire, en l'occurrence, selon le site de la Région Ile-de-France, “sa détermination et son dévouement à défendre une cause”. Face à l’ex-collaboratrice de Charlie Hebdo et “son courage et son combat contre l’islamisme”, huit autres femmes sont aussi en lice : l’actrice Isabelle Adjani, l'ingénieure centralienne Lucie Basch, la directrice générale d’Air France Anne Rigail, l'enseignante engagée pour la paix Samia Essaba, la chercheuse au Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement Valérie Masson-Delmotte, l'auteure engagée dans la lutte contre la précarité et l'exclusion Henriette Steinberg et la dessinatrice et réalisatrice iranienne Marjane Satrapi. Seul·es votant·es, les internautes francilien·nes plébiscitent très largement Zineb El Rhazoui. Selon le média Arrêt sur Images, la journaliste et essayiste totalise en effet 7 999 voix, sur les quelque 10 256 votes exprimés. Sur Twitter, la Région Ile-de-France félicite la lauréate et loue “son courage et sa force dans toutes les formes d’obscurantisme et de l’égalité entre les femmes-hommes”.
Propos polémiques en 2019
Sauf que l’attribution de ce prix honorifique à Zineb El Rhazoui provoque à l’époque une levée de bouclier. En cause, des propos tenus trois jours plus tôt sur CNews, où la journaliste tient alors une place de chroniqueuse régulière. Alors que le plateau de Pascal Praud débat des violences urbaines qui émaillent alors les Yvelines depuis plusieurs semaines, Zineb El Rhazoui se désole que les policier·ières ne puissent pas tirer “à balles réelles” sur les jeunes banlieusard·es s’en prenant aux forces de l’ordre. Une sortie de route mémorable puisqu’elle aura réussi à choquer Pascal Praud, bien forcé de recadrer les propos de sa chroniqueuse. Face aux réactions embarrassées des autres personnes sur le plateau, Zineb El Rhazoui n’en démord pas : “Vous avez un guet-apens de 100 barbares […] Oui, il faut que la police puisse [se défendre ndlr] (…) La police américaine aurait tiré des barres réelles.”
Trois jours après avoir tenu ces propos, Zineb El Rhazoui recevait donc, tout de même, le prix Simone Veil, suscitant alors nombre de critiques et de contestations. Le groupe d'opposition au Conseil régional Alternative écologique et sociale avait par exemple publié un communiqué de protestation, expliquant que ses membres ne se "reconnaissent pas dans les valeurs portées par Zineb El Rhazoui et par Valérie Pécresse, qui ne cherchent qu’à dresser les Français-es les uns contre les autres ".
Du côté de la Région Ile-de-France, on choisit de botter en touche et de défendre surtout la lauréate : “On ne peut pas réduire son combat à ces propos [sur le fait de vouloir “tirer à balles réelles”]. Par ailleurs, Zineb El Rhazoui a clarifié et précisé les paroles tenues le 5 novembre dernier”. Le lendemain de son intervention sur le plateau de CNews, la journaliste était en effet invitée à s’expliquer sur celui de LCI. “C’est une fausse polémique. Lorsque j’ai dit ça, je parlais du guet-apens de Mantes-la-Jolie où cent racailles ont tendu un piège à la police et aux pompiers […] J’ai rappelé un principe légal qui s’appelle la légitime défense. Les policiers sont armés, ils n’ont pas des pistolets à eau. […] Moi je pose la question : pourquoi la police n’a‑t-elle pas recours à son droit à la légitime défense quand on a des guet-apens comme cela.”
Flirt avec l'extrême droite
Si l’on laissera chacun·e juger du bien-fondé de la polémique, reste que cette clarification ne laisse plus vraiment de doute quant à la position de Zineb El Rhazoui, farouche défenseuse de la laïcité et de la liberté d’expression, qui n’en finit plus d'entretenir des liens troubles avec l’extrême droite. En 2019, au moment de la remise du fameux prix Simone Veil, un cliché pris en 2018 par la maison d’édition Ring – réputée pour éditer des figures classées à l'extrême droite et qui a édité plusieurs livres de Zineb El Rhazoui – refait en effet surface.
On y voit Zineb El Rhazoui poser au côté d’Ugo Gil Jimenez, alias Papacito, youtubeur d’extrême droite et figure éminente de la fachosphère. Parmi ses nombreux faits d’armes, on peut citer la simulation en juin 2021 d’une exécution d’un mannequin déguisé en électeur de gauche dans une vidéo diffusée sur son compte YouTube, rapidement supprimée par la plateforme.
Volte-face
Retour au 10 novembre dernier. S’il y a quatre ans, les propos tenus par Zineb El Rhazoui sur les violences urbaines ne semblaient pas déranger Valérie Pécresse ou du moins suffir à ne pas lui décerner le prix Simone Veil, la présidente de la Région Ile-de-France a depuis changé son fusil d’épaule. Le débat n’est pas de savoir si Zineb El Rhazoui aurait dû garder ou non le prix, la comparaison entre la Shoah et les bombardements à Gaza méritant en effet le retrait de cette distinction, mais de se demander : pourquoi ne pas lui avoir déjà retiré lorsqu’elle incitait à tirer sur les jeunes de banlieue ? C'est ce deux poids deux mesures qui interroge.
De son côté, la principale intéressée a semble-il pris acte de cette décision, mettant à jour sa biographie sur X, se présentant désormais comme "Prix Simone Veil 2019 /retiré en 2023 pour avoir dénoncé les massacres israéliens à Gaza". Pour rappel, le prix Simone Veil récompense une Francilienne certes mais surtout une détermination et un dévouement à défendre une cause. Pour Valoche, suffit juste de choisir la bonne.