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Préfecture de police de Paris © Jorge Láscar / Flickr

Accueil des femmes vic­times de vio­lences : la pré­fec­ture de police publie enfin les résul­tats catas­tro­phiques du rap­port com­man­dé en 2018

Huit jours après notre article révé­lant que la pré­fec­ture de police ne sou­hai­tait pas publier le rap­port qu'elle avait com­man­dé en 2018 au Centre Hubertine Auclert sur l'accueil des femmes vic­times de vio­lence, elle l'a fina­le­ment dis­crè­te­ment mis en ligne sur son site. Il dresse un tableau lamentable.

On com­prend mieux les réti­cences de la pré­fec­ture de police de Paris à en par­ler : les résul­tats du rap­port « sur l’accueil des femmes vic­times de vio­lences conju­gales et/​ou sexuelles dans les com­mis­sa­riats de Paris et sa petite cou­ronne » sont fran­che­ment mau­vais. Alors qu'elle nous avait assu­ré que cette enquête, prête depuis juin 2019, ne serait pas publiée car réser­vée à un « usage interne », la pré­fec­ture de police a fina­le­ment déci­dé, le 19 jan­vier, de le rendre acces­sible. Soit huit jours après la publi­ca­tion de notre article révé­lant que la pré­fec­ture avait déci­dé d'enterrer le rap­port, mais sans aucun bruit. Pas de com­mu­ni­qué de presse, pas d'explication de texte : la jour­na­liste Léa Chamboncel a en fait décou­vert sa mise en ligne sur le site de la pré­fec­ture au hasard d'une recherche et l'a révé­lé sur Twitter. 

Un chan­ge­ment d'avis pour le moins dis­cret, sur lequel le ser­vice de presse de la pré­fec­ture de police n'avait aucune expli­ca­tion à nous four­nir. Tout juste a‑t-​il tenu à pré­ci­ser à Causette ce 27 jan­vier que « ce rap­port date de 2018 et les dis­po­si­tifs ont lar­ge­ment évo­lué depuis. Il ne reflète plus la réa­li­té de la prise en charge des com­mis­sa­riats. » Et à lire le conte­nu de cette syn­thèse, on com­prend que la pré­fec­ture insiste sur ce point.

En 24 pages, le Centre Hubertine Auclert, à qui la pré­fec­ture de police avait com­man­dé cette étude en 2018 pour 18 000 euros, dresse un bilan amer de l'accueil réser­vé aux femmes venant cher­cher assis­tance auprès de la police fran­ci­lienne dans le cadre de vio­lences conju­gales et/​ou sexuelles. « Manque de confi­den­tia­li­té à toutes les étapes du pré-​accueil » ; « plaintes pour vio­lences conju­gales au conte­nu hété­ro­gène et sou­vent insuf­fi­santes » ; « pos­ture pro­fes­sion­nelle sou­vent inadap­tée face aux dif­fi­cul­tés spé­ci­fiques des femmes vic­times » ou encore « manque de sui­vi interne des dos­siers » : les neuf titres des cha­pitres du rap­port se suf­fisent à eux-​mêmes pour prendre la mesure des dys­fonc­tion­ne­ments rele­vés par le Centre Hubertine Auclert… D'autant que les trois com­mis­sa­riats où les expertes du centre fran­ci­lien pour l'égalité femmes-​hommes ont pu se rendre ont été « choi­sis par la préfecture ».

Une prise en charge "très inégale" des victimes

Question méthode, les per­sonnes mis­sion­nées ont pu mener des entre­tiens avec l'ensemble des ser­vices de police, réa­li­ser des obser­va­tions de ter­rain, col­lec­ter et ana­ly­ser des pro­cès ver­baux de plaintes, des mains cou­rantes et des comptes ren­dus d'intervention à domi­cile. L'analyse de ces docu­ments montre une prise en charge « très inégale » des plaintes pour vio­lences conju­gales, due au fait que les policier·ères ne s'appuient sur une trame de ques­tions pré­cises que dans un tiers des audi­tions étu­diées. « Dans plus de 20% des plaintes, les faits anté­rieurs ne sont pas décrits ; dans 80% des plaintes, le com­por­te­ment de l’agresseur n’est pas décrit clai­re­ment ; dans 28% des plaintes où des enfants à charge sont évo­qués, aucune ques­tion n’est pour­tant posée sur leur pré­sence au moment des faits ; et dans 65% des audi­tions, les consé­quences des vio­lences pour la vic­time ne sont pas décrites », détaille le rap­port. Mais encore : « dans 80% des plaintes pour vio­lences phy­siques, aucune ques­tion n’est posée sur les vio­lences sexuelles. » Des plaintes donc sou­vent incom­plètes, ren­dant plus dif­fi­cile par la suite le tra­vail de la justice.

Les autrices de l'étude pointent éga­le­ment que les audi­tions (qu'il s'agisse de vio­lences conju­gales ou sexuelles) « ont ten­dance à être plus courtes et moins struc­tu­rées la nuit » et ajoutent que les pro­blèmes récur­rents de confi­den­tia­li­té lorsqu'elles sont réa­li­sées dans des bureaux par­ta­gés sont de nature à entra­ver la parole des vic­times, qui « peuvent alors avoir ten­dance à mini­mi­ser les faits ». En ce qui concerne la recherche de preuves phy­siques, « dans 25% des audi­tions, aucun rendez-​vous aux UMJ [Unités médico-​judiciaires char­gées de consta­ter les bles­sures, ndlr] pour la déli­vrance d’un cer­ti­fi­cat éva­luant les jours d’ITT n’a été pro­po­sé. » Dans le même ordre d'idées, « la prise de pho­to [pour éta­blir des constats de vio­lences phy­siques, ndlr] au moment de l’audition est une pra­tique très rare (dans 4 PV de plaintes soit 7%) », loin des pra­tiques idéa­li­sées des télé­films en la matière.

Dimension psy­chique oubliée

La dimen­sion psy­chique des vio­lences conju­gales est loin d'être sys­té­ma­ti­que­ment prise en compte par les policier·ères. Ainsi, dans 44% des cas, aucune ques­tion n'a été posée à la vic­time pour savoir si elle avait peur, notam­ment pour sa vie (ce qui pour­rait appuyer la mise en place d'une ordon­nance d'éloignement ou d'un dis­po­si­tif grave dan­ger). Dès lors, les pos­si­bi­li­tés d'accompagnement semblent bien loin­taines : « dans 84% des plaintes, il n’y a aucune men­tion du sou­hait de la vic­time d’être accom­pa­gnée ou non par une asso­cia­tion ; et encore moins par un·e psy­cho­logue ou intervenant·e social·e en com­mis­sa­riat (ISC), y com­pris quand ces dis­po­si­tifs existent localement. »

L'ensemble de ces chiffres amène le Centre Hubertine Auclert au constat sui­vant : trop sou­vent encore, les situa­tions de vio­lences conju­gales ne sont repé­rées qu'en cas de « vio­lences phy­siques graves » – met­tant ain­si de côté la cyber­sur­veillance des conjoints, les vio­lences psy­cho­lo­giques, éco­no­miques ou encore sexuelles. « Les viols conju­gaux sont peu repé­rés et jugés dif­fi­ci­le­ment carac­té­ri­sables », sou­ligne le rap­port. Quant aux vio­lences psy­cho­lo­giques ou ver­bales, « sou­vent bana­li­sées par les vic­times » qui ne les recon­naissent pas « comme des formes de vio­lence », elles « ne vont pas être repé­rées par les ser­vices de police ». « Par exemple, lit-​on, les plaintes pour har­cè­le­ment ou menaces de mort que nous avons ana­ly­sées sont géné­ra­le­ment plus courtes et moins détaillées que l’ensemble des autres plaintes pour vio­lences conju­gales. »

Encore des mobiles "pas­sion­nels"

En fait, il est fait état d'un retard struc­tu­rel, mal­gré la prise de conscience socié­tale autour des vio­lences à l'encontre des femmes, au sein de l'institution poli­cière. Ainsi, le Centre Hubertine Auclert explique avoir lu dans dix entêtes de pro­cès ver­baux sur 158 ana­ly­sés la men­tion d'un pseu­do mobile « pas­sion­nel ». « Ce mobile n’est pour­tant pas issu du Code Pénal mais relève du registre du sen­ti­ment amou­reux et contri­bue à atté­nuer les faits de vio­lence dénon­cés », tacle le rap­port. Qui émet toute une série de recom­man­da­tions pour amé­lio­rer la prise en charge des vic­times : pré­voir une salle d'audition confi­den­tielle ; uti­li­ser sys­té­ma­ti­que­ment une trame de plainte pour n'oublier aucun élé­ment ain­si qu'une grille d'évaluation du dan­ger pour pro­té­ger la vic­time (et donc évi­ter des fémi­ni­cides) ; faci­li­ter le lien avec les asso­cia­tions spécialisées…

Au final, ce tra­vail confirme les faits dénon­cés dans les mil­liers de tweets sous le hash­tag #DoublePeine, comme le chiffre issu d'un son­dage #NousToutes, révé­lant que 66% des vic­times de vio­lences conju­gales ou sexuelles font état d'une mau­vaise prise en charge par les forces de l'ordre au moment du dépôt de plainte. « Ce rap­port ren­force et rend objec­tifs les constats fémi­nistes qu'on fait depuis des années, sou­pire Raphaëlle Rémy-​Leleu, élue EELV de Paris qui se mobi­li­sait depuis des mois pour qu'il soit publié. La machine d'Etat s'en rend compte avec dix ans de retard, soit. Il fau­drait désor­mais éva­luer les actions menées depuis que la pré­fec­ture l'a en sa pos­ses­sion. » Car au vu des dys­fonc­tion­ne­ments mis à jour, il est fort à parier que por­ter plainte à Paris pour vio­lences conju­gales ou vio­lence sexuelle relève encore sou­vent d'un par­cours de la combattante.

Lire aus­si l #DoublePeine : un rap­port sur le trai­te­ment des vio­lences envers les femmes dans les com­mis­sa­riats fran­ci­liens passe à la trappe

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