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Emmanuel Macron le 17 février 2022 © capture d'écran d'une vidéo diffusée sur le compte Twitter de l'Élysée

« Grande cause, petit bilan » : Oxfam publie un rap­port sur les droits des femmes sous Emmanuel Macron

En novembre 2017, le pré­sident de la République décré­tait l’égalité entre les femmes et les hommes « grande cause natio­nale » de son quin­quen­nat. À un peu plus d’un mois de l’élection pré­si­den­tielle à laquelle il a annon­cé sa can­di­da­ture le 3 mars, l’ONG Oxfam dresse un bilan miti­gé de cette ambition.

Que retiendra-​t-​on du (pre­mier ?) quin­quen­nat d’Emmanuel Macron en matière des droits des femmes ? Dans une lettre aux Français·es publiée dans la presse régio­nale jeu­di 3 mars, le pré­sident de la République a sol­li­ci­té un renou­vel­le­ment de la confiance des électeur·rices pour lui accor­der un nou­veau man­dat. L’heure est donc au bilan du pre­mier. L’ONG Oxfam1 a publié hier Grande cause, petit bilan, un rap­port qui décrypte les efforts de l’exécutif en matière d’égalité entre les femmes et les hommes. 

Les attentes des fémi­nistes en la matière étaient grandes. Car en plus de s’être décla­ré fémi­niste lorsqu’il était can­di­dat à la fonc­tion suprême, Emmanuel Macron avait, dès novembre 2017, décla­ré cette éga­li­té « grande cause nationale ». 

En notant cinq grands postes où se sont logés les efforts de l’exécutif (bud­get et ins­ti­tu­tions ; lutte contre les vio­lences ; éga­li­té pro­fes­sion­nelle et lutte contre les inéga­li­tés éco­no­miques ; diplo­ma­tie fémi­niste et droits sexuels et repro­duc­tifs), le rap­port dresse un bilan miti­gé de cette ambi­tion. D’autant plus dans un contexte socié­tal où les ques­tions de domi­na­tion patriar­cale et des vio­lences de genre ont fait irrup­tion sur le devant de la scène média­tique. « Au niveau inter­na­tio­nal, ces cinq der­nières années ont été mar­quées par des mou­ve­ments sociaux et des vagues de mobi­li­sa­tion jamais vues, au pre­mier rang des­quelles l’onde de choc #MeToo », rap­pelle ain­si Oxfam en pré­am­bule de son rap­port. C’est d’ailleurs dans la fou­lée de cette onde de choc que le pré­sident de la République décide de cette « grande cause natio­nale ». Par la suite, #MeTooInceste ou plus récem­ment #DoublePeine sur la façon dont sont (mal) reçues les femmes vic­times de vio­lences conju­gales ou sexuelles dans les com­mis­sa­riats ont, là encore, obli­gé le gou­ver­ne­ment de se sai­sir de ces sujets. En ce sens, note Oxfam, « nous aurions pu don­ner une excel­lente note en com­mu­ni­ca­tion, car le gou­ver­ne­ment répète sou­vent qu’il a un bilan exem­plaire en matière d’égalité femmes-​hommes. » « Malheureusement, com­plète Sandra Lhote-​Fernandes, res­pon­sable du plai­doyer Droits des femmes d’Oxfam France, quand on creuse, les mesures prises ne sont pas très ambi­tieuses ni suf­fi­sam­ment financées. »

Des moyens en deçà des ambitions

De fait, puisque l’argent est le nerf de la guerre des poli­tiques publiques, c’est d’abord là que le bât blesse aux yeux d’Oxfam. L’ONG a accor­dé une men­tion « insuf­fi­sant » aux efforts bud­gé­taires de l’exécutif. « Le bud­get dédié à l’égalité femmes-​hommes a certes aug­men­té mais il reste trop faible, explique le rap­port. 0,25 % du bud­get géné­ral en 2022. » Dans le détail, il est tout de même à noter que le bud­get spé­ci­fique au minis­tère de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances a qua­si dou­blé entre 2017 et 2022, pas­sant de 29,8 mil­lions à 50,6 mil­lions d’euros. Ce bud­get, qui repré­sente à peine 0,01 % du bud­get glo­bal de la France, per­met notam­ment de finan­cer les asso­cia­tions d’aide aux vic­times comme le 3919 ou d’accès aux droits repro­duc­tifs comme le Planning fami­lial. À ce bud­get minis­té­riel, il faut ajou­ter des bud­gets de poli­tique trans­ver­sale, sou­vent gérés par les minis­tères de l’Intérieur et de la Justice, notam­ment dans le cadre de la lutte contre les vio­lences, et qui per­mettent donc d’arriver au chiffre de 0,25 %, soit 1,3 mil­liard d’euros en 2022.

Des cabi­nets minis­té­riels encore très masculins

En ce qui concerne l’égalité au sein des ins­ti­tu­tions, si le gou­ver­ne­ment actuel est com­po­sé de plus de femmes ministres (dix-​sept) que d’hommes (qua­torze) et de cinq secré­taires d’État femmes pour six hommes, Oxfam pointe une pari­té de sur­face. Ainsi, encore 80 % des minis­tères ont un direc­teur de cabi­net masculin.

Quel argent pour la lutte contre les violences ?

Pour Oxfam et les asso­cia­tions par­te­naires, on est donc très loin du mil­liard d'euros qu'elles exigent pour spé­ci­fi­que­ment pour la lutte contre les vio­lences conju­gales. Là encore, c'est le manque de moyens qui jus­ti­fie une men­tion « insuf­fi­sant » aux poli­tiques publiques enga­gées. Depuis l'annonce, en conclu­sion du Grenelle contre les vio­lences conju­gales de l'automne 2019, d'allouer 360 mil­lions d'euros exclu­si­ve­ment à cette lutte, le flou artis­tique règne. « Ce chiffre est depuis uti­li­sé par le gou­ver­ne­ment pour dési­gner tan­tôt la lutte contre "les vio­lences conju­gales", tan­tôt la lutte contre "les vio­lences faites aux femmes" en géné­ral », dénonce Oxfam. 

Le flop de « l’outrage sexiste »

Au-​delà de cette guerre finan­cière, Oxfam aus­culte une loi emblé­ma­tique du pas­sage de Marlène Schiappa au secré­ta­riat à l’Égalité : la créa­tion, en 2018, d’une infrac­tion d’outrage sexiste cen­sée lut­ter contre le har­cè­le­ment de rue. Comme d’autres avant elle, l’ONG observe que « la prin­ci­pale limite de ce dis­po­si­tif est que les fla­grants délits [qui condi­tionnent l’infraction, ndlr] sont rares ».

Où sont les bra­ce­lets anti-​rapprochement et les télé­phones grave danger ?

En ce qui concerne les vio­lences conju­gales, Oxfam juge « inad­mis­sible » qu’encore « quatre femmes sur dix qui en font la demande n’aient aucune solu­tion d’hébergement », mal­gré la créa­tion de places sup­plé­men­taires tout au long du quin­quen­nat. De la même manière, l’ONG déplore que le télé­phone grave dan­ger ne soit dis­po­nible que pour 2 % des vic­times, ain­si qu’un « recours limi­té au bra­ce­let élec­tro­nique anti-​rapprochement (BAR) », mal­gré une cir­cu­laire de sep­tembre 2020 auto­ri­sant son appli­ca­tion avant la condam­na­tion du conjoint violent. La sous-​utilisation du BAR (seule­ment 469 actifs le 21 décembre 2021, selon les chiffres du minis­tère de la Justice) s’explique par de grandes dis­pa­ri­tés ter­ri­to­riales d’application par les tri­bu­naux : « Le 25 octobre 2021, sou­ligne Oxfam, un seul BAR était actif à Paris (envi­ron 2,1 mil­lions d’habitants) contre 38 à Val-​de-​Briey (envi­ron 8000 habi­tants). » Parmi les 113 fémi­ni­cides recen­sés en 2021 par le gou­ver­ne­ment, de nom­breuses femmes n’avaient pas été pro­té­gées ni par le télé­phone grave dan­ger ni par le BAR, comme l’a mon­tré l’emblématique cas de Chahinez Daoud pour lequel les man­que­ments de l’institution poli­cière avaient été pointés.

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#DoublePeine et manque de for­ma­tion des policier·ères

C'est d'ailleurs le gros point noir de la lutte contre les vio­lences conju­gales et, plus lar­ge­ment, sexistes et sexuelles : la prise en charge des vic­times par la police, comme en attestent les mil­liers de témoi­gnages qui ont émer­gé sous le hash­tag #DoublePeine à l'automne 2021. Dans son rap­port, Oxfam tance l'insuffisance struc­tu­relle de la for­ma­tion des forces de l'ordre à l'accueil, l'écoute et l'accompagnement des vic­times, mal­gré l'engagement pris lors du Grenelle de 2019 à « for­mer 100% des élèves poli­ciers et gen­darmes ». « Lors de ses vœux à la presse en jan­vier 2022, Elisabeth Moreno annon­çait que 90 000 poli­ciers et gen­darmes avaient reçu une for­ma­tion pour un meilleur accueil et un meilleur accom­pa­gne­ment des vic­times, c'est encore insuf­fi­sant sachant que la France compte plus de 250 000 forces de l'ordre », observe Oxfam.

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Pour conclure sur ce sujet, l’ONG ne manque pas de rap­pe­ler que les nomi­na­tions de Gérald Darmanin à l’Intérieur, qui fai­sait alors l’objet d’une pro­cé­dure judi­ciaire pour viol, et d’Éric Dupond-​Moretti à la Justice, qui avait tenu des pro­pos anti­fé­mi­nistes en réac­tion au mou­ve­ment #MeToo, ont enta­ché la com­mu­ni­ca­tion de l’exécutif sur le volon­ta­risme de lut­ter contre les vio­lences de genre. D’ailleurs, Emmanuel Macron lui-​même avait choi­si de s’alarmer du risque d’une « socié­té de l'Inquisition », après la dif­fu­sion d’une enquête d’Envoyé spé­cial don­nant la parole à des femmes accu­sant son ancien ministre de la Transition éco­lo­gique Nicolas Hulot d’agressions sexuelles.

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Égalité pro­fes­sion­nelle : l'index mis à l'index

Autre sujet de décep­tion : l’égalité pro­fes­sion­nelle, sur laquelle le gou­ver­ne­ment avait choi­si de lut­ter avec une mesure phare, un index dédié pour toute entre­prise d’au moins 50 salarié·es. Sur le papier, les dif­fé­rents indi­ca­teurs (écart de rému­né­ra­tion, écart dans les pro­mo­tions…) per­met­taient de noter sur 100 points l’application de l’égalité sala­riale dans ces socié­tés. Mais pour Oxfam, « le diable se cache dans les détails » : « Sous la pres­sion du patro­nat, les indi­ca­teurs de l’index ont été construits de telle manière qu’ils per­mettent de for­te­ment mini­mi­ser, voire cacher la réa­li­té des inéga­li­tés de salaire au sein des entre­prises. » Ainsi, sur l’indicateur des aug­men­ta­tions au retour d’un congé mater­ni­té – une obli­ga­tion légale –, « il suf­fit par exemple que l’employeur aug­mente toutes les sala­riées de retour d’un congé mater­ni­té d’un mon­tant d’un euro pour obte­nir [la note de] 15/​15. » De fait, pour Oxfam, la note de 85/​100 obte­nue en moyenne par les entre­prises concer­nées le 8 mars 2021 n’est pas for­cé­ment fiable… Et contri­bue à mas­quer l’écart per­sis­tant de salaire moyen glo­bal en France de 23 % entre les hommes et les femmes (16,5 % à poste égal).

L'espoir de la loi Rixain

Oxfam sou­ligne cepen­dant les avan­cées qu’a per­mises la loi Rixain pour « bri­ser le pla­fond de verre » : avec l’instauration de quo­tas au sein des postes de direc­tion des entre­prises de plus de 1 000 salarié·es, les comi­tés exé­cu­tifs devraient se fémi­ni­ser d’ici 2030 (l’objectif est de 40 %) sous peine d’amendes conséquentes.

La frus­tra­tion du congé deuxième parent

Côté acquis sociaux, le gou­ver­ne­ment peut mettre en avant le congé deuxième parent, por­té à vingt-​huit jours en juillet 2021 (contre onze aupa­ra­vant), dont sept obli­ga­toires. Toujours insuf­fi­sant pour Oxfam, qui plaide pour une éga­li­té dans ces congés, enjeu cru­cial d’égalité au sein des couples. 

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De bonnes nou­velles du côté des finances

En revanche, l’individualisation de l’impôt et des pres­ta­tions sociales (pro­messe de cam­pagne de 2017) et l’extension récente, le 1er mars 2022, du dis­po­si­tif de lutte contre les impayés des pen­sions ali­men­taires sont à por­ter au cré­dit du gouvernement.

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La grande décep­tion de l'AAH

Mais le refus de l’exécutif de décon­ju­ga­li­ser l’Allocation adulte han­di­ca­pé (AAH) – et ce, mal­gré la grande mobi­li­sa­tion, via une péti­tion signée par plus de 100 000 per­sonnes – vient ter­nir, là encore, ces mesures en faveur de l’égalité.

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Une PMA pour toutes enfan­tée dans la douleur

Question droits repro­duc­tifs, le man­dat pré­si­den­tiel a reçu les « encou­ra­ge­ments » d'Oxfam, avec, en terme de mesure phare, l'ouverture de l'Assistance médi­cale à la pro­créa­tion (AMP) aux femmes céli­ba­taires et aux femmes les­biennes – une pro­messe de cam­pagne. À son pro­pos, Oxfam note que ce nou­veau droit a été arra­ché au Parlement en juin 2021 au prix d'un com­bat légis­la­tif long et pous­sif. Dans le cadre de la loi bioé­thique qui l'a por­tée, on peut aus­si sou­li­gner l'autorisation de l'autoconservation des ovocytes.

Une amé­lio­ra­tion en matière de san­té des femmes

Pour le reste, on sou­li­gne­ra que les mobi­li­sa­tions fémi­nistes ont por­té leurs fruits, avec, en vrac, l’arrivée de ces nou­velles lois ou mesures : la gra­tui­té de la contra­cep­tion pour les femmes jusqu’à leurs 25 ans et un effort pour lut­ter contre la pré­ca­ri­té mens­truelle (avec une hausse du bud­get consa­cré, de 1 à 5 mil­lions d’euros), le récent allon­ge­ment du délai de l’IVG (de douze à qua­torze semaines), lui aus­si obte­nu à la suite d’un long com­bat légis­la­tif, et une stra­té­gie natio­nale de lutte contre l’endométriose qui finan­ce­ra la recherche (mais fait l’impasse sur la recon­nais­sance de cette mala­die, qui tou­che­rait une femme sur dix, comme affec­tion longue durée (ALD)).

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L'éclosion d'une "diplo­ma­tie féministe"

Enfin, Oxfam consacre tout un cha­pitre à la « diplo­ma­tie fémi­niste » mise en place par Emmanuel Macron dès 2018 lors de son dis­cours à l’Assemblée géné­rale de l’Organisation des Nations unies (ONU), qui elle aus­si est saluée par les « encou­ra­ge­ments » de l’ONG. Par exemple, la France a annon­cé octroyer « 120 mil­lions d’euros en faveur des mou­ve­ments fémi­nistes [dans les pays du Sud] » ou encore, en juin 2021 lors du Forum Génération éga­li­té, « 100 mil­lions d’euros sur les cinq pro­chaines années sur les droits sexuels et repro­duc­tifs ». Notre pays a aus­si « sou­te­nu à hau­teur de 6,2 mil­lions d’euros le Fonds mon­dial pour les survivant·es de vio­lences sexuelles liées aux conflits, à l’initiative des Prix Nobel de la Paix Denis Mukwege et Nadia Murad. » Oxfam invite la France à pour­suivre cet engagement(amorcé en 2013 sous François Hollande) en ren­for­çant ses bud­gets d’aides ciblant spé­ci­fi­que­ment l’égalité femmes-​hommes : si l’objectif est d’intégrer l’égalité dans 50 % de son aide exté­rieure, le chiffre n’atteint que 31 % aujourd’hui, loin der­rière le Canada ou la Suède, pays pion­niers en la matière.

  1. accom­pa­gnée des ONG Equipop et CARE France et avec la par­ti­ci­pa­tion d’associations expertes telles que la Fondation des femmes[]
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