Le 28e rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre sur l’état du mal-logement en France, publié ce mercredi 1er février, montre que les femmes souffrent davantage de problèmes de logement que les hommes.
Déjà 28 ans que la Fondation Abbé Pierre (FAP) tire, année après année, la sonnette d’alarme sur l’état du mal-logement en France. Ce 28e rapport, rendu public ce mercredi 1er février, qui s’intitule d'ailleurs « D'une crise à l’autre » ne fait pas exception. Celles et ceux qui ont été les plus affecté•es par la crise sanitaire risquent en effet de se retrouver à nouveau en première ligne des effets de la crise énergétique et de l'inflation galopante.
Des ménages déjà fragilisés par la hausse des prix qui subissent la double peine de ne pas disposer d’un logement digne et décent pour vivre. Sur 67 millions de Français·es, 4,1 millions étaient mal-logé·es en 2022. Et la Fondation estime plus largement que 12,1 millions de personnes sont « fragilisées par rapport au logement », c’est-à-dire en situation d’impayés, de surpeuplement ou encore de précarité énergétique.
Chose nouvelle toutefois : cette année, pour la première fois, la Fondation a choisi d’analyser ce phénomène sous le prisme du genre. Le rapport de 322 pages, consulté par Causette, consacre ainsi son premier chapitre au « genre du mal-logement » et montre en effet que « les femmes, massivement, comme les minorités de genre se trouvent parmi les grandes victimes des problèmes de logement ».
Le revenu salarial des femmes reste inférieur en moyenne de 22 % à celui des hommes.
Jusqu’à présent, le genre a rarement été considéré comme un facteur déclenchant ou aggravant du mal-logement, souligne le rapport en préambule. Pourtant, l’inégalité entre les femmes et les hommes se retrouve aussi dans le droit d’accès à une habitation digne. Pour expliquer ce constat, un premier facteur réside dans l’inégalité des ressources financières, déterminantes pour accéder à un logement décent. Les femmes célibataires, qui bénéficient de moins bonnes conditions d’emplois et de revenus sont effectivement moins bien logées. Elles sont plus souvent en situation de précarité que les hommes, leur revenu salarial restant inférieur en moyenne de 22 % à celui des hommes, rappelle le rapport.
Une précarité d’autant plus forte quand ces femmes seules ont des enfants. Les familles monoparentales, qui dans 83 % des cas ont une femme à leur tête, sont en effet 40 % à être mal logées, contre 20 % pour l’ensemble de la population, souligne le rapport. En tout, 36 % des familles monoparentales constituées de femmes seules avec enfants vivent sous le seuil de pauvreté.
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Le rapport de la FAP s’est aussi intéressé aux inégalités d’accès à la propriété des femmes : ces dernières sont moins propriétaires que les hommes de leur propre logement et lorsqu’un·e seul·e membre du couple est propriétaire, il s’agit le plus souvent de l’homme. Dans 27 % des cas, le logement est détenu soit exclusivement soit à majorité par celui-ci. Cette proportion n’atteint que 15 % pour les femmes.
Cette différence s’explique, selon le rapport, par l’écart de richesse entre hommes et femmes. « Ils ont une position plus favorable que les femmes sur le marché du travail et ils héritent davantage et plus tôt », souligne la Fondation Abbé Pierre, ajoutant que la différence d’âge au sein du couple compte également. Les hommes étant bien souvent plus âgés que leurs compagnes au moment de la mise en couple, cela leur permet d’avoir un patrimoine propre plus important.
Lors d’une séparation conjugale, les femmes perdent 15 % de niveau de vie quand les hommes en gagnent 4 %.
Alors que l’homme est propriétaire ou titulaire du bail, la femme se retrouve dans une situation de dépendance dont elle peine à se libérer. Même en cas de rupture. Car au-delà des inégalités de richesse et de patrimoine, la plus grande fragilité des femmes en matière de logement se trouve surtout dans différents moments de rupture. Lorsqu’elles quittent le domicile familial – elles le font plus tôt que les hommes – lorsqu'elles se séparent ou que leur conjoint·e décède.
La séparation représente d’ailleurs un choc financier plus important pour les femmes que pour les hommes. Selon l’Insee, les femmes perdent 15 % de niveau de vie lors d’une séparation conjugale quand les hommes en gagnent 4 %, rappelle le rapport de la FAP. Une diminution de leur niveau de vie qui conduit d’ailleurs certaines à basculer sous le seuil de pauvreté.
La fragilité vis-à-vis du logement s’aggrave avec les violences conjugales. Ces dernières constituent un facteur particulièrement fort, notamment parce qu’elles entraînent bien souvent la perte du logement pour les victimes et l’entrée dans une spirale d’errance au gré des disponibilités en hébergement temporaire, faute de dispositifs d’accueil pérennes suffisants. D’après le rapport, 80 % des femmes victimes de violences conjugales sont hébergées dans des dispositifs qui ne sont pas adaptés à leur situation. « La Fédération Nationale Solidarité Femmes estime ainsi qu’il faudrait a minima créer 15 000 places d’hébergement supplémentaires », indique la FAP.
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Autre moment crucial dans la vie d’une femme : le passage à la retraite ou le décès du conjoint. La Fondation Abbé Pierre souligne que les femmes vieillissent plus pauvres et plus seules que les hommes du même âge. Les veuves ont ainsi un taux de pauvreté plus élevé que les veufs : 11,7 % contre 3,7 %. La pension de retraite moyenne des femmes est également inférieure de 40 % à celle des hommes. Une focale intéressante à l’heure où nos yeux sont rivés sur la pénalisation des femmes dans le projet de réforme des retraites du gouvernement.
Les propositions de la Fondation Abbé Pierre
Pour pallier les inégalités entre les femmes et les hommes par rapport au mal-logement, la Fondation Abbé Pierre propose une série de mesures, parmi lesquelles un rééquilibrage entre les revenus en renforçant les politiques d’égalité salariale dans les entreprises. Autres pistes : l’allongement de la durée du congé paternité, aujourd’hui de 25 jours, à l’exemple de la Suède où il est possible pour le père ou la mère de prendre un congé de seize mois indemnisé ; le versement automatique des pensions alimentaires sans avoir à le demander à la CAF ou encore la sensibilisation des notaires et avocat·es à la transmission de patrimoine égalitaire.
Les personnes LGBTQIA+ victimes elles-aussi du mal-logement
Le rapport pointe également que l’orientation sexuelle et l’identité de genre peuvent également être un facteur de vulnérabilité face au logement. L’exclusion du domicile familial, mais aussi les discriminations dans l’emploi en raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre augmentent de fait les risques pour ces personnes de se retrouver à la rue.
Par exemple, d’après les associations accompagnant les personnes transgenres, les discriminations dans l’accès au logement privé seraient fréquentes, notamment quand la transition est visible physiquement ou que le changement d’état-civil n’a pas été réalisé. « Les propriétaires font souvent l’association entre femme trans et prostituée. Souvent c’est compliqué de prouver que cela relève d’une discrimination car le refus n’est pas assumé comme tel par le propriétaire », témoigne ainsi l’Association ACCEPTESS‑T auprès de la Fondation.
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