Une centaine d’étudiant·es ont manifesté place du Panthéon à Paris jeudi 14 avril pour demander la régularisation et l’inscription dans les universités de tous·tes les étudiant·es réfugié·es d’Ukraine, sans distinction de nationalité. Parmi eux·elles, Aladin, un jeune étudiant algérien qui a fui les bombes pour arriver jusqu’en France mais ne peut désormais plus étudier.
Trois. C’est le nombre de jours qu’il reste à Aladin avant de recevoir une possible obligation de quitter le territoire français (OQTF). Si l’étudiant en ingénierie microélectronique de 30 ans a fui de Kiyv les bombes russes en mars comme des milliers d’autres, il ne dispose pas de la nationalité ukrainienne mais est Algérien. La nationalité ukrainienne est indispensable pour accéder à la protection temporaire immédiate accordée par l’Union européenne aux réfugié·es fuyant l’Ukraine. Aladin, comme plus de 200 étudiant·es dans la même situation en France, ne peut pas s’inscrire dans les universités françaises pour poursuivre son cursus.
Mobilisation étudiante
Une différence de traitement jugée « indigne » et « raciste » par plusieurs organisations politiques étudiantes, qui ont décidé d’engager un bras de fer avec les présidences d’université et le gouvernement. Dans ce cadre, iels étaient une centaine à manifester, place du Panthéon, hier soir dans le Vème arrondissement de Paris. Le rendez-vous avait été donné à 18 h à l’initiative du Poing levé, organisation politique étudiante présente dans les universités de Paris 1 et Paris 8, pour demander l’inscription et la régularisation de tous·tes les étudiant·es réfugié·es venant d’Ukraine, sans distinction de nationalité.
C’était d’ailleurs une journée placée sous le signe de la mobilisation étudiante et de la convergence des luttes, car, plus tôt dans la journée, entre 200 et 300 étudiant·es s’étaient réunis à quelques pas de la place du Panthéon, devant la Sorbonne, pour protester contre l’affiche du second tour de la présidentielle.
« Le tri des réfugiés »
Devant les grilles du Panthéon, des militant·es étudiant·es et des étudiant·es étranger·ères se succèdent au micro, pour dénoncer ce qu’iels appellent « le tri des réfugiés » organisé par l’Union européenne. « On ne veut pas mettre en opposition les étudiants ukrainiens et les étudiants étrangers, mais on souhaite qu’ils aient tous droit à la même protection, assure Alexis Taieb étudiant et militant au Poing levé à Causette. Ils sont eux-aussi touchés personnellement par la guerre mais sont exclus des protections, c’est inadmissible. On demande au gouvernement et aux présidences d’université que tous les réfugiés soient immédiatement inscrits gratuitement dans les filières de leur choix. »
Les pays de l’UE ont effectivement accepté, le 4 mars dernier, d’accorder « une protection temporaire » aux réfugié·es de nationalité ukrainienne fuyant la guerre en Ukraine pour leur permettre de séjourner dans l’Union européenne pendant un an renouvelable. Un cadre favorable leur permettant d’étudier, de travailler ou encore d’accéder à un logement en France tout étant dispensé·es de faire une demande d’asile. Entre le 9 et le 14 mars, ce sont ainsi quelque 1 500 protections temporaires qui ont été délivrées par les préfectures françaises, très majoritairement à des Ukrainien·nes.
Car ce dispositif s’applique seulement aux Ukrainien·nes, aux conjoint·es étranger·ères d’Ukrainien·nes ainsi qu’aux étranger·ères ayant en Ukraine le statut de réfugié·es. Les étudiant·es étranger·ères qui vivaient en Ukraine mais ne disposent pas de la nationalité ukrainienne ne sont donc pas concerné·es. Une instruction du gouvernement datant du 10 mars précise ainsi que sont exclu·es de la protection « les ressortissants de pays tiers qui sont en mesure de regagner leur pays d’origine dans des conditions sûres et durables ». Une disposition qui exclut de fait nombre d’étudiant·es étranger·ères, dont beaucoup proviennent du Maghreb et d’Afrique de l’Ouest et qui ont choisi la France parce qu’iels parlent déjà la langue.
« Pas venu pour la Tour Eiffel »
C’est donc le cas d’Aladin, rencontré jeudi soir lors de la manifestation parisienne devant le Panthéon. « Il paraît que de grands hommes sont enterrés ici » dit-il avec un grand sourire, accolé aux grilles du monument. « Il paraît », car les préoccupations d’Aladin, 30 ans, depuis son arrivée en France, il y a un mois, ne sont pas au tourisme. « Je ne suis pas venu pour prendre des photos de la Tour Eiffel, d’ailleurs je n’y ai même pas mis un pied, je suis juste venu pour finir mes études, en tout cas essayer », explique-t-il à Causette.
Fuir la guerre
Aladin a quitté son Algérie natale à 28 ans après avoir obtenu son master en microélectronique. « Je ne pouvais pas passer de doctorat dans mon pays alors je suis parti ailleurs », raconte-il. Aladin choisit l’Ukraine en raison « des études peu coûteuses, de la vie moins chère et de la facilité d’obtention des visas ». L’Ukraine comptait en 2020 quelque 61 000 étudiant·es étranger·ères, dont 17 379 Africain·es, d’après les derniers chiffres disponibles de l’Unesco. Aladin précise avoir payé 3 000 euros pour son visa étudiant et 2 000 pour une année de doctorat en Ukraine.
Aladin vivait dans un petit studio de Kyiv lorsque la guerre a éclaté le 24 février. Il a vu de sa fenêtre les blindés russes pénétrer dans la capitale ukrainienne. « Le premier missile a été tiré à 5 km de chez moi, souffle-t-il. J’ai appelé l’ambassade d’Algérie qui m’a répondu de rester chez moi, au début j’ai cru que la guerre ne durerait pas. »Au bout du cinquième jour, l’étudiant prend son sac à dos et se rend à la gare de Kyiv pour prendre un train vers la Pologne. Mais sur place, Aladin se heurte au refus des gardes-frontières qui ne laissent monter que les femmes et les enfants à bord des trains. « J’ai dit que j’étais étranger mais ils m’ont frappé et m’ont visé avec un fusil », déclare-t-il.
L’étudiant réussit finalement à prendre in extremis un train, sans connaître sa destination. Manque de chance, ce dernier l’emmène au cœur de l’Ukraine où il est accueilli une dizaine de jours par une famille ukrainienne. « J’ai vu des cadavres, j’ai vécu plusieurs jours dans une cave humide où on entendait continuellement la sirène, j’étais terrifié », soupire le jeune homme. Tous les jours, Aladin marche vingt kilomètres jusqu’à la gare, en vain. Les gardes-frontières refusent toujours de faire monter les hommes, alors même qu’Aladin ne dispose pas de la nationalité ukrainienne et n’est donc normalement pas soumis à la mobilisation générale mise en place par le président Zelensky au début de la guerre.
Attente
C’est de la voiture d’un ami que viendra le salut pour Aladin. La route vers la Pologne dure trois jours au lieu des dix heures habituelles. « Il y avait énormément de circulation, on était arrêtés tous les 20 kilomètres, à chaque fois on avait peur qu’ils ne nous laissent pas passer, ils ne voulaient même pas parler aux étrangers », témoigne-t-il. Arrivé à la frontière polonaise, Aladin, comme les autres étudiant·es étranger·ères, est placé dans une file d’attente. « Ils ont mis les Ukrainiens d’un côté et nous de l’autre, raconte-il. J’ai senti le racisme immédiatement, la file des Ukrainiens avançait beaucoup plus vite que la nôtre. »
Au bout de plusieurs heures d’attente, Aladin finit par entrer en Pologne. Puis, direction l’Allemagne avant d’atterrir à Paris, le 12 mars. Avec d’autres étudiant·es réfugié·es, il se rend immédiatement à la préfecture. « Les autorités ont régularisé le séjour des Ukrainiens, par contre, nous les étrangers, ils nous ont donné un mois pour quitter la France alors qu’on a galéré ensemble, on a vécu la même guerre, les mêmes atrocités », explique le jeune homme. Depuis un mois, l’étudiant est hébergé dans un hôtel parisien du XIIIème arrondissement grâce à une association qui vient en aide aux réfugié·es. Il espère désormais pouvoir poursuivre son doctorat.
Si Aladin a gardé son sourire, il reste très inquiet pour la suite. « Je ne sais pas ce que je vais faire, peut-être que je vais devoir vivre ici illégalement en tant que sans papier. J’ai tout quitté en Algérie pour pouvoir faire des études, avoir une belle vie et j’ai l’impression d’avoir fait tout cela pour rien, je n’ai pas d’avenir professionnel dans mon pays », déplore-t-il, désespéré.
La manifestation place du Panthéon s’est interrompue. Une militante vient de prendre le micro pour alerter que la police est en train de déloger la centaine d’étudiant·es mobilisé·es depuis mercredi à l’intérieur de l’université de la Sorbonne, pour protester contre l’affiche du second tour de la présidentielle. Pour les soutenir, la foule descend alors la rue Soufflot, direction la Sorbonne située à quelques pas. Sur le chemin, nous rencontrons Oussama, 25 ans qui lui aussi a quitté l’Algérie pour poursuivre un doctorat en toxicologie en Ukraine. Il est arrivé à Kryvierog il y a quatre mois.
"Je demande seulement à étudier, c’est tout"
Lorsque la guerre a éclaté, Oussama a marché 45 kilomètres pour rejoindre la frontière polonaise. « C’était très dur, on a attendu debout pendant deux jours dans le froid, il faisait ‑13 degrés la nuit, les gens tombaient malades, on avait faim », confie le jeune homme dans un français parfait. Oussama est arrivé en France le 10 mars mais n’a pas encore pris rendez-vous avec la préfecture. « Je sais qu’ils vont me dire de repartir en Algérie mais je ne peux pas continuer mes études là-bas, je demande seulement à étudier, c’est tout », implore-t-il.
Notre interview avec Oussama s’arrête net. Quelques mètres plus bas, les étudiant·es courent affolé·es dans l’autre sens et du gaz lacrymogène s’échappe de la rue Cujas où les policier·ères viennent de riposter contre les jeunes. Tard dans la soirée, les étudiant·es qui occupaient la Sorbonne ont finalement quitté les lieux après une journée de rassemblement.